Politique
Analyse

100 ans du Parti communiste chinois : quand Xi Jinping réécrit l'histoire

Le président chinois Xi Jinping veut redorer l'image de la période maoïste entre 1949 et 1976. (Source : Foreign Affairs)
Le président chinois Xi Jinping veut redorer l'image de la période maoïste entre 1949 et 1976. (Source : Foreign Affairs)
La Révolution culturelle ? Une « expérience précieuse ». La période maoïste de 1949 à 1976 ? « 27 années de grandes réalisations, aux résultats impressionnants ». Tels sont les nouveaux éléments de langage de Xi Jinping et ses proches pour réécrire l’histoire du Parti. Pour le centenaire du PCC, il faut revenir aux sources, quitte à tourner le dos à la vision de Deng Xiaoping. Et à faire comme si la Chine vivait isolée du monde.
*Non seulement pour les événements de juin 1989, mais aussi de juin 1999.
Le mois de juin est une période toujours sensible pour le Parti*. À moins de trois semaines des célébrations de son centenaire, la pression est palpable. En témoigne le l’appel de Xi Jinping le 1er juin à donner l’image d’une Chine aimable et respectée. Cela en dit long sur l’atmosphère générale : le Parti doit changer de discours pour faire bonne figure en juillet. Est-ce l’annonce d’un vrai changement de cap après plus de quatre ans de politique étrangère agressive ? Il est permis d’en douter. D’autant plus que l’appareil du Parti-État, une fois lancé, est difficilement arrêtable. D’un point de vue purement maoïste, ce changement de ton s’apparente plutôt à une sorte de guérilla rhétorique : changer de discours de manière drastique pour faire réagir et déstabiliser le monde extérieur. Par ailleurs, notons que Xi s’est adressé directement à la fois au monde extérieur et aux cadres du Parti durant une rencontre du Politburo : cela ressemble à une tentative de contourner l’influence de Wang Huning, l’idéologue du Parti, au sein de l’appareil de propagande.
*Par exemple, le Centre de recherche sur la littérature du Parti (中共中央文献研究室). **习近平论坚持和推动构建人类命运共同体. Sun Yeli a participé à l’édition de tous ces volumes, en plus des œuvres choisies de Hu Jintao et des « Trois représentativités » de Jiang Zemin. ***Une brève histoire du Parti communiste chinois (中国共产党简史).
Le message de Xi arrive comme une bouffée d’air frais. En coulisses, les responsables des instituts de recherche du Parti** sont remplacés par des cadres spécialistes des idées du numéro un chinois. Exemples avec Sun Yeli (孙业礼) au département de la propagande et Huang Yibing (黄一兵), directeur adjoint du centre de recherche sur la littérature du Parti. Xi cherche à placer des cadres qui, comme Huang Yibing, ont travaillé sur son œuvre : la « pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère », La Gouvernance de la Chine, Xi Jinping sur la promotion de la construction d’une communauté ayant un avenir partagé pour le futur de l’humanité**, ou encore au développement du nouveau livre sur l’histoire du Parti*** afin de consolider l’orthodoxie idéologique au sein du PCC.

*旗帜鲜明反对历史虚无主义.
Depuis un moment déjà, Xi tente de réunifier le Parti autour d’une nouvelle version de son histoire, autour d’un discours plus près de sa compréhension de cette histoire afin de mettre de côté les autres interprétations concurrentes. Mais pourquoi maintenant ? En fait, il existe bon nombre d’incohérences et de confusion entourant l’histoire du Parti – probablement dues à « l’incursion d’idées étrangères » et de « nihilisme historique ». À ce titre, il ne faut pas oublier le commentaire de Xi publié dans la revue du Parti, Qiushi (Rechercher la vérité), le 19 avril dernier intitulé « Avoir une position claire contre le nihilisme historique »*. En d’autres termes, éviter de comprendre l’histoire du Parti autrement que par le biais de la vision officielle.
*Les deux hommes ne s’entendent pas non plus sur l’histoire de la guerre sino-japonaise de 1937-1945. Selon Wen, l’incident du pont Marco Polo de juillet 1937 marque le début de huit ans de résistance. Ce qui selon Xi Jinping est la version gouvernement du Parti Nationaliste (KMT). Du point de vue « communiste », le point de départ est « l’incident de Moukden » le 18 septembre 1931, durant l’invasion japonaise de la Mandchourie.
Par ailleurs, et c’est ce qui dérange également Xi, certains utilisent des références à l’histoire du Parti pour parfois critiquer le pouvoir en place. Le meilleur exemple récent est sans aucun doute la lettre de Wen Jiabao à sa mère publiée à Macao. L’ancien Premier ministre y critique sévèrement les sévices subis par son père durant la Révolution culturelle, ce qui se veut une critique détournée du « virage à gauche » opéré par Xi. Cependant, ce virage, qui se veut une tentative de sauver le Parti de l’héritage de Deng Xiaoping, caractérise la présidence de l’actuel numéro un chinois depuis le début. En ce sens, critiquer la Révolution culturelle devient une manière de critiquer Xi, chose que le secrétaire général du Parti ne peut accepter*.
*正确认识和科学评价党史上的重大事件、重要会议、重要人物.
Dans son discours publié le 31 mars dans Qiushi, Xi Jinping appelait à se méfier des « mauvaises tendances » lorsque l’on étudie l’histoire du Parti. En effet, certains passages ont pu être exagérés et certaines personnes pourraient essayer d’en faire une arme pour salir le Parti ou encore déformer son histoire. Bien entendu, sans avoir besoin de le dire de manière explicite, Xi semble faire référence ici au « Grand Bond en avant » ainsi qu’à la Révolution culturelle. Nous avons besoin, écrit-il, « d’une compréhension correcte et d’une évaluation scientifique des événements importants, des réunions et des personnalités importantes du Parti »*. Tout cela devient de plus en pressant à l’approche du centenaire du Parti, qui se doit d’avoir une vision cohérente et unifiée de son passé, aux yeux du secrétaire général.
*统一思想, 统一认识.
Voilà pourquoi, selon Xi, il faut rétablir le contrôle sur le flux des idées, l’histoire et la doctrine officielle afin d’unifier la pensée et la compréhension des événements*. La logique du Parti veut qu’unifier l’idéologie freine la dissidence tout en renforçant la direction actuelle. Cependant, chaque révision affaiblit les fondements du Parti, car ceux-ci s’éloignent à chaque fois un peu plus de la réalité des événements. Or, l’examen minutieux de l’histoire du Parti n’est pas permis – et peut même être perçu comme diffamatoire.

Une « Brève histoire du Parti »

*取得了巨大成就的27 年, 取得的成就令人瞩目
Le nouveau volume de la Brève histoire du Parti, publié au début 2021, passe en revue l’héritage des différents dirigeants, mais aussi des différentes périodes. Ainsi, la Révolution culturelle n’est plus qualifiée de « décennie catastrophique » (十年浩劫), mais selon l’expression de Zhuang Rongwen, directeur exécutif du département central de la propagande et associé du Fujian de Xi, cette période doit être comprise comme une « expérience précieuse » (宝贵经验). Début mai, Zhuang a donné des cours sur l’histoire du Parti pour promouvoir de cette nouvelle version des événements. La période maoïste 1949-1976 constitue, d’après lui, « 27 années de grandes réalisations, aux résultats impressionnants »*. Il est intéressant de voir à quel point le nouveau discours officiel tente de confondre « expérience » et « leçon » lorsque l’on parle de 1949-1976, et en particulier de la Révolution culturelle.
Il en va de même pour la notice du bureau central des affaires générales, qui porte sur les « Quatre enseignements » : l’histoire du Parti, de la Nouvelle Chine, des réformes et de l’ouverture, ainsi que le développement du socialisme. Ces derniers doivent être largement transmis, notamment aux jeunes, afin d’éviter le « nihilisme historique ».
*把握新发展阶段,贯彻新发展理念,构建新发展格局.
L’idée est ici de revoir l’histoire du Parti, surtout la période 1949-1976, de la présenter sous un jour nouveau afin d’entrer dans l’ère post-Deng Xiaoping. Xi l’a dit lui-même : il faut être prêt « à saisir cette nouvelle étape de développement, à mettre en œuvre le nouveau concept de développement et à construire un nouveau modèle de développement »*. Et ce développement passe en premier lieu par une révision de l’histoire du Parti afin que celui-ci puisse faire bonne figure en juillet et qu’il puisse montrer ses réalisations à la population (et au monde), consolidant ainsi sa position pour encore 100 ans.

Une opportunité stratégique ?

Dans un article de Qiushi datant du 30 avril, Xi parle d’opportunités, de défis sans précédent. Surtout, il loue le « leadership de la Chine », qui est à ses yeux supérieur à celui d’autres pays, pour sa gestion de la pandémie. Selon certains, Xi Jinping verrait dans le chaos mondial hors de Chine une opportunité à saisir. Cependant, les grandes démocraties sont toujours debout et sur le chemin de la reprise, il est difficile de voir où se trouve cette opportunité. Il est probable qu’elle n’ait rien à avoir avec l’état actuel des relations internationales, surtout lorsque l’on sait que le Parti n’a aucunement l’intention – ni les capacités – d’arbitrer les problèmes entre États ou de prendre l’initiative pour structurer un gouvernance équitable, dirons-nous.
L’opportunité est plutôt pour le Parti de faire le ménage dans son histoire – tout en continuant de parler de Révolution culturelle – dans l’espoir de pouvoir un jour célébrer aussi cette période. Mais malgré l’opportunité qu’offre le centenaire au Parti, en matière d’image surtout, un retour à la Révolution culturelle demeure peu probable étant donné la pluralité de la société chinoise d’aujourd’hui. En fait, redéfinir la nature de la Révolution culturelle afin de redorer le blason du Parti demande d’abandonner en premier lieu l’héritage de Deng. Une telle chose ne sera pas facile : le Parti révolutionnaire est devenu un parti de gouvernance sous Deng, sans parler du développement économique et de ses immenses bénéfices pour la société. Ainsi, réviser l’histoire du Parti en redonnant un sens positif à la Révolution culturelle est en contradiction avec les accomplissements actuels du Parti, accomplissements qui seront à l’ordre du jour des célébrations du 100ème anniversaire en juillet.

Patriotisme et amour du Parti

À y regarder de plus près, le Parti tente de stimuler le patriotisme, soit l’amour de la nation en prévision de son centenaire. Cependant, depuis 1949, l’amour de la nation veut pratiquement dire l’amour du Parti (爱党). L’éducation patriotique, qui est depuis inséparable de l’idéologie du Parti, faire la promotion du PCC, comme d’ailleurs « l’éducation rouge » (红色教育). Et quoi de mieux pour « l’éducation rouge » que de parler des accomplissements de la Révolution culturelle ? Cette période (1966-1976) n’est-elle pas de l’éducation rouge – écarlate même – par excellence ? Cependant, « enseigner rouge » n’est pas tout à fait suffisant.
*Sans parler du sort réservé aux publications contenant des références à la religion.
En avril dernier, le ministère de l’Éducation a émis une ordonnance interdisant sur les campus les ouvrages jugés problématiques. L’interdiction, introduite à l’origine comme une série de « mesures administratives pour l’accès au matériel de lecture parascolaire pour les élèves du primaire et du secondaire », clarifie une « liste de 12 sujets » (12条负面清单) qui ne devraient être ni recommandés ni sélectionnés par les étudiants. De surcroît, les fonctionnaires et le personnel scolaire doivent trier les livres afin d’éviter les sanctions. L’objectif, similaire à celui du nouveau livre sur l’histoire du Parti, est d’établir un pare-feu pour « protéger » les élèves du primaire et du secondaire de l’influence des idées en provenance de l’étranger. Et le premier lot de livres à être retirés des rayons sont les plus « diffamatoires » sur l’histoire du Parti. En tant que tel, tout ce qui n’est pas propice à la fierté nationale et au soutien au Parti pourrait être censuré*.

« Dépolluer » avant le centenaire

Depuis sa fondation en 1921, le Parti a toujours su utiliser les idées et l’éducation afin de consolider sa position. Depuis la fin de l’époque Mao, l’idéologie, l’éducation, mais surtout le contrôle de l’information, ont servi en grande partie au Parti-État à maintenir la stabilité de son pouvoir. Depuis quelques années, le Big data ainsi que les technologies de l’information sont venus se joindre à l’arsenal des outils utilisés par le PCC afin de contrer l’information en provenance de l’étranger.
Le problème pour le Parti est qu’il est coincé entre le besoin d’ouvrir le champ de l’éducation pour favoriser l’innovation – surtout dans le secteur des nouvelles technologies. Cela impliquerait d’assouplir l’emprise politique sur ce secteur. Sa volonté de contrôler tous les aspects de l’éducation – et par conséquent de l’idéologie – favorise le Parti, mais entrave la circulation des idées et donc l’innovation.
Ainsi, cette position ambiguë a mené, depuis un moment déjà, à un manque de cohérence en matière d’éducation, secteur de moins en moins propice à l’essor de nouvelles idées. Les nouvelles tentatives récentes de redéfinir certaines périodes de l’histoire du Parti – notamment la Révolution culturelle – et de censurer peu à peu ce qui vient de l’étranger, ressemblent à un renouveau de la « campagne contre pollution spirituelle » lancée par Deng en 1983. Cependant, n’oublions pas ce qui s’est passé lors de cette campagne : à trop vouloir contrôler les idées, le Parti a lui-même stimulé les doléances de la population, si bien qu’il a dû rebrousser chemin. Aussi, malgré tous ces efforts pour réviser et réinterpréter l’histoire du Parti, il n’est plus possible aujourd’hui de retirer toute la « propagande obscène, barbare, réactionnaire et libérale » (en provenance de l’étranger bien sûr) de la vie publique en Chine.
La campagne du « renouveau spirituel » – dans le sens de l’esprit du Parti (党的精神) – s’inscrit dans la logique de la « nouvelle ère » de Xi Jinping. Une « nouvelle ère » qui veut revenir aux sources du Parti alors que la Chine d’aujourd’hui, bon gré mal gré, fait partie des structures internationales et de fait, est influencée par l’extérieur. Le Parti, bientôt centenaire, devrait pourtant savoir qu’à vouloir trop en faire, on ne fait que se nuire. Surtout en matière d’idéologie.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.