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Les vaccins chinois anti-Covid-19 en Europe : qu'en penser ?

Un employé inspecte des seringues du vaccin contre le Covid-19 produit par Sinovac dans son usine de Pékin. (Source : LATIMES)
Un employé inspecte des seringues du vaccin contre le Covid-19 produit par Sinovac dans son usine de Pékin. (Source : LATIMES)
Les vaccins chinois contre le Covid-19 commencent à être diffusés en Europe. La Hongrie a approuvé le Sinopharm 1 fin janvier, et prévoit de vacciner le quart de sa population. Un nouveau défi de Victor Orban aux institutions européennes, qui se déclarent prêtes à examiner les mérites des vaccins chinois et russes. Bruxelles vient de commencer à le faire pour le Sputnik 5. Quels sont les entreprises derrière les vaccins chinois ? Quelles sont leurs caractéristiques et leur efficacité ? La France peut-elle exclure de les utiliser si elle n’a pas suffisamment de vaccins occidentaux ?
La Chine s’était lancée très tôt dans la course aux traitements et aux vaccins contre le coronavirus. Elle était la première à disposer de cohortes de malades pour réaliser des tests cliniques à grande échelle. Elle fut aussi la première à inoculer ses vaccins dès l’été 2020 à un million d’agents publics chinois jugés prioritaires, avant même la réalisation des tests cliniques dits de « phase trois ». Elle a soumis au total six vaccins aux procédures de validation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soit davantage qu’aucun autre pays au monde.
À partir de l’automne 2020, le panorama change. La phase trois des tests cliniques sur les vaccins chinois s’effectue à l’étranger dans un certain nombre de pays, car le virus ne circule plus suffisamment en Chine. Cette phase se prolonge, et les vaccins chinois ne sont pas les premiers à être autorisés à l’échelle internationale. Ils ne le sont toujours pas auprès de l’OMS actuellement. L’efficacité des vaccins chinois fait encore débat, avec des résultats parfois contradictoires selon les pays où sont réalisés les tests cliniques. Ce qui n’empêche pas la Chine de se lancer dans une diplomatie très active du vaccin auprès d’un grand nombre de « pays amis ».
« Chaque jour que nous passerions à attendre Bruxelles, nous perdrions 100 vies hongroises », déclare Victor Orban pour justifier sa décision d’acheter des vaccins à la Russie et à la Chine. Il publie sur sa page Facebook le 28 février des photos le montrant se faire injecter le vaccin Sinopharm 1. La Serbie, dont le Président Aleksandar Vucic se plaignait de l’absence de solidarité européenne, obtient de son côté la livraison d’un million de doses du même vaccin, permettant de vacciner 15 % de la population serbe. Début mars, la République Tchèque se lance également dans des commandes de vaccins à la Russie et à la Chine. Le retard de l’UE dans la diffusion des vaccins crée un appel d’air pour des décisions nationales, qui va être difficile à contenir si le programme européen de vaccination ne s’accélère pas rapidement.

Quelles sont les acteurs et les caractéristiques des vaccins chinois ?

Les principaux acteurs de la campagne de vaccination chinoise sont au nombre de cinq. Leurs vaccins ont été mis au point avec l’aide de différents laboratoires publics, à partir d’une variété de technologies classiques. Aucun n’est fondé sur la nouvelle génération des vaccins dit génétiques à base d’ARN messager (comme BioNtech ou Moderna). Le Shanghaïen Fosun pharamceutical a toutefois noué un partenariat avec BioNtech pour la diffusion de son vaccin à Hong Kong depuis fin janvier, puis peut-être dans le reste de la Chine si les autorités de Pékin l’y autorisent.
Le premier acteur chinois est la société d’État Sinopharm. Ce vaste conglomérat emploie près de 120 000 salariés et comprend six sociétés cotées en bourse. Il déclare être le sixième producteur mondial de vaccins. Sinopharm a développé deux vaccins contre le Covid-19 en partenariat avec deux laboratoires de recherche : le Wuhan Institute of Biological Products et le Beijing Institute of Biological products. Les deux vaccins sont fondés sur la technologie traditionnelle du virus inactivé – des particules virales tuées permettant d’exposer le système immunitaire au virus. Ils sont inoculés en deux étapes et peuvent être conservés dans un réfrigérateur, ce qui simplifie considérablement la logistique de distribution.
Le second acteur est Sinovac Biotech. Cette licorne chinoise, créée il y a une vingtaine d’années, est spécialisée dans les vaccins contre la grippe et l’hépatite. Sinovac avait en 2019 un chiffre d’affaires encore modeste de 250 millions de dollars et employait environ un millier de salariés. La diffusion à grande échelle de son vaccin, le Coronavac, dont la technologie est la même que celle de Sinopharm, devrait permettre à Sinovac d’entrer dans la cour des grands de la vaccination mondiale. D’autant qu’elle est fortement soutenu par le gouvernement chinois, qui utilise largement son vaccin dans les accords bilatéraux conclus avec différents pays.
Le troisième acteur est la start-up Cansino Biologics, créée il y a une dizaine d’années et spécialisée dans la production de vaccins. Cansino est listée à la bourse de Hong Kong. La société est également entrée fin 2020 en phase trois des tests cliniques dans une demi-douzaine de pays pour son vaccin contre le coronavirus. Il s’agit d’un vaccin à vecteur viral similaire à celui d’AstraZeneca, qui a été développé conjointement avec l’Institut de biotechnologie de l’Académie des sciences médicales de l’Armée populaire de libération (APL) chinoise. Ces liens privilégiés avec l’APL expliquent que le vaccin de Cansino Biologics ait obtenu dès juin 2020 une autorisation spéciale pour une utilisation expérimentale sur des personnels militaires. Ce vaccin a l’avantage d’être à injection unique.
Le quatrième acteur est l’Anhui Zhifei Longcom Biopharmaceutical Company, filiale d’un groupe de biopharmacie coté à Shenzhen. Cette société a développé en partenariat avec l’Académie des Sciences un vaccin fondé sur la technologie dite de « sous-unité », qui n’utilise qu’une partie spécifique du virus que le système immunitaire doit reconnaître. Les tests cliniques de phase trois de ce vaccin sont toujours en cours.
Un cinquième acteur, l’institut de biologie moléculaire de l’Académie chinoise des Sciences médicales, est à un stade moins avancé de développement. Il a commencé en février 2021 des tests cliniques de phase trois en Malaisie, et son dossier n’est pas encore accepté pour examen par l’OMS.
Si l’on inclut les vaccins aux stades un ou deux des tests cliniques, 17 vaccins chinois sont en cours de développement. La presse chinoise, et notamment le quotidien anglophone officiel China Daily, met en avant Walvax Biotechnology qui a trois vaccins en cours de tests, dont un à base d’ARN messager.

Quelle est l’efficacité des vaccins chinois ?

À ce stade, les différents vaccins chinois ne semblent pas présenter de risques particuliers. Dans la phase expérimentale du second semestre 2020, les vaccinés étaient essentiellement chinois et très peu d’informations ont filtré sur les effets secondaires éventuels des vaccins distribués par Sinopharm, Sinovac et Cansino. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des campagnes de vaccination à grande échelle ont commencé depuis deux, trois mois dans différents pays comme les Émirats arabes unis, le Chili, l’Indonésie ou le Maroc, tandis que les tests de phase trois menés dans une quinzaine de pays n’ont pas donné lieu à des incidents notables – à part deux, trois interruptions temporaires de campagnes de tests.
Sont-ils pour autant efficaces ? Les informations sur ce point ne sont pas exhaustives et restent parfois contradictoires. Contrairement à Sputnik 5, dont l’efficacité a été confirmée dans un article du Lancet du 2 février dernier – avec un taux d’efficacité très élevé de 91,6 % -, aucun vaccin chinois n’a fait l’objet d’une publication internationale portant sur l’ensemble des tests cliniques de phase trois. La Chine elle-même n’a pas fourni d’informations détaillées, et les données disponibles résultent soit de déclarations des fabricants eux-mêmes, soit de communications faites par certains pays où les tests de phase trois ont eu lieu.
Le bilan à ce stade est le suivant : Sinopharm a annoncé fin décembre que son premier vaccin (développé avec le Beijing Institute of Biological Products) était efficace à 79 %, sur la base de résultats partiels de sa campagne de tests de phase trois, tandis que les Émirats arabes unis évaluaient son efficacité à 86 % dans leur pays. Le vaccin de Sinovac a été jugé très efficace en Turquie (avec un taux de 91 %), mais passait à peine la barre des 50 % d’efficacité au Brésil (atteignant tout de même 78 % de protection contre les formes graves de l’infection) et 65 % en Indonésie. Le second vaccin de Sinopharm (celui du Wuhan Institute of Biological products) aurait, selon son concepteur, une efficacité moyenne de 72,5 %. Le vaccin de Cansino a une efficacité un peu inférieure de 65 %, portée à 84 % par les autorités de santé du Pakistan.
Globalement, les vaccins chinois semblent donc avoir une efficacité comparable à celle d’AstraZeneca. En Asie, seuls les pays développés – Corée du Sud, Japon, Singapour – hésitent encore à les approuver. Les discussions sino-coréennes portent sur la possibilité d’administrer l’un ou l’autre des vaccins chinois au million de résidents chinois en Corée du Sud. Bon nombre de pays en développement ont toutefois franchi le pas en raison de l’urgence et de la disponibilité insuffisante des vaccins occidentaux. Exemple avec le Chili, qui n’avait reçu fin décembre que 150 000 doses du vaccin de Pfizer-BioNtech alors qu’il en avait commandé dix millions. C’est l’arrivée de quatre millions de doses du vaccin de Sinovac fin janvier qui permet au pays d’avoir vacciné près de 25 % de sa population à la date du 6 mars (selon le vaccination tracker du Financial Times). Au palmarès des vaccinations de chefs d’État ou de gouvernement, la Chine est en bonne place avec notamment les vaccinations successives des présidents turc, indonésien et serbe, du Roi du Maroc et du Premier ministre hongrois.

Comment les vaccins chinois ont-ils été approuvés ?

Il faut distinguer les autorisations temporaires de mise sur le marché liées à l’urgence, et les autorisations permanentes. La plupart des pays ont donné des autorisations temporaires en attendant les résultats définitifs des tests cliniques. Les premiers à donner une autorisation permanente sont les Emirat arabes unis, qui ont autorisé le vaccin Sinopharm 1 le 8 décembre, trois semaines avant la Chine elle-même.
C’est que les autorités chinoises se montrent relativement prudentes : après l’approbation de Sinopharm 1 fin décembre, Pékin n’a donné une autorisation globale de mise sur le marché à Sinopharm 2 et au vaccin de Sinovac que le 25 février. Déjà approuvé de façon permanente au Mexique et au Pakistan, le vaccin de Cansino est, lui, toujours en attente d’une autorisation en Chine. De son côté, l’OMS est en phase finale d’examen des vaccins de Sinopharm et de Sinovac, et devrait les approuver « au plus tôt en mars », selon son site Internet.

Les vaccins chinois vont-ils faire partie de la panoplie des vaccins utilisés en France ?

Les engagements pris par les sociétés pharmaceutiques chinoises vis-à-vis des pays tiers sont déjà considérables. Ils portent pour 2021 sur plus de 500 millions de doses destinées à 45 pays selon Associated Press, sans compter les fabrications locales sous licence. Par ailleurs, la Chine elle-même n’a vacciné que moins de 4 % de sa population, et les objectifs de production de l’ensemble des vaccins chinois pour 2021 se situent entre 2 et 2,5 milliards de doses. C’est considérable, mais pas suffisant pour servir l’ensemble de la population chinoise en plus des nombreux pays avec lesquels des engagements sont déjà pris.
Dans ce contexte, vendre à l’Union européenne n’est pas une priorité pour la Chine. Côté européen, une discussion de fond avec la Chine supposera l’approbation préalable des premiers vaccins chinois par l’OMS, ou à tout le moins des études internationales crédibles comme celle dont dispose désormais le Sputnik 5. Un processus qui prendra au moins quelques semaines.
Si toutefois une approbation européenne était en vue, Pékin ne pourra pas négliger l’enjeu. Vendre à toute l’Europe placerait définitivement la Chine aux avant-postes de la bataille mondiale pour la vaccination contre le coronavirus. On ne peut donc pas exclure que certains d’entre nous ne reçoivent un vaccin chinois d’ici la fin de l’année si les alternatives occidentales ne permettent pas à l’Union européenne d’atteindre ses objectifs.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.