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Analyse

L’Asie et la vaccination contre le Covid-19 : accélérer ou pas ?

Vaccination contre le Covid-19 dans un centre de santé à Hefei, dans la province chinoise de l'Anhui vaccine, le 29 décembre 2020. (Source : PBS)
Vaccination contre le Covid-19 dans un centre de santé à Hefei, dans la province chinoise de l'Anhui vaccine, le 29 décembre 2020. (Source : PBS)
L’Asie est loin d’être en avance dans la vaccination contre le coronavirus. Le pays le plus actif, Singapour, fait à peine mieux que la France malgré la petite taille de la population de la cité-État. Ce n’est pas faute de vaccins, car plusieurs pays asiatiques ont les leur et la plupart ont passé des commandes importantes aux principaux fournisseurs mondiaux. Mais il y a en gros deux camps en Asie : ceux qui sont pressés comme l’Inde et l’Indonésie, très touchées par la pandémie et par ses conséquences économiques, ainsi que la Chine qui veut rester exemplaire, et ceux qui ont à peu près jugulé la pandémie – l’Asie de l’Est et quelques pays d’Asie du Sud-Est – et qui semblent vouloir se donner du temps avant un développement à grande échelle des vaccinations. Après la course de vitesse de la prévention contre l’épidémie où l’Asie a été très efficace, c’est maintenant dans certains pays une course de lenteur. Ce qui n’empêche pas l’Inde et la Chine d’entrer en compétition dans une diplomatie du vaccin qui va prendre de l’ampleur.
Le « vaccine tracker » du Financial Times donne des indications intéressantes sur la place de l’Asie dans la course aux vaccins. Alors que les trois pays les plus avancés dans le monde ont donné une première injection de vaccins à 54 % de la population en Israël, 35 % aux Émirats arabes unis et 15 % au Royaume-Uni, l’Asie est peu présente. Au 31 janvier, le premier pays asiatique en nombre de vaccinations rapportées à la population est Singapour à 2,7 %. Suivent la Chine (1,7 %), l’Inde (0,8 %) le Sri Lanka (0,6 %) et l’Indonésie (0,3 %). La plupart des pays asiatiques n’ont tout simplement pas commencé à vacciner, y compris les stars de la lutte contre l’épidémie que sont Taïwan, la Corée du Sud, la Thaïlande et le Vietnam. Même le Japon, qui est confronté à l’échéance des Jeux Olympiques en août prochain, ne commencera son programme de vaccination que fin février.

La mobilisation indienne, chinoise et indonésienne

L’Inde, qui représente à elle seule près de la moitié des contaminations et 40 % des décès officiellement déclarés en Asie, est clairement le pays le plus motivé. La campagne de vaccination indienne a été lancée mi-janvier, avec l’ambition de vacciner 300 millions d’Indiens (soit 22 % de la population) d’ici le mois d’août. Elle s’appuie sur deux vaccins : celui d’AstraZeneca produit localement à grande échelle par le Serum Institute of India, et le Covaxin, produit par la société indienne Bharat Biotech – autorisé début janvier malgré l’absence de résultats complets de la phase trois des tests cliniques. La campagne de vaccination a démarré fort, avec un million de vaccinés en 6 jours, un record mondial. Narendra Modi, qui a 70 ans, se veut exemplaire dans le respect de la discipline collective : il a annoncé qu’il se ferait vacciner dans la seconde phase de la campagne en mars ou avril, quand les personnels de santé et les citoyens fragiles auront été vaccinés.
La Chine avait été pionnière dans la vaccination de ses personnels de santé dès l’été dernier, à un moment où les vaccins conçus par Sinopharm et Sinovac n’avaient pas encore fait l’objet de tests cliniques de phase trois. Les deux sociétés chinoises ont par la suite pris cinq mois pour finir ces tests cliniques, réalisés dans différents pays du monde compte tenu de la très faible circulation du virus en Chine même. La vaccination de la population reprend ensuite à partir de la mi-décembre, et connaît une accélération ces dernières semaines. Les autorités ont évoqué un objectif de court terme consistant à vacciner 50 millions de personnes avant les fêtes du Nouvel an chinois (qui commencent le 11 février au soir), ce qui représente 3,6 % de la population. Mais elles n’ont pas publié d’objectifs de plus long terme, se contentant d’évoquer une possible immunité de groupe pour la fin de l’année 2021.
En Asie du Sud-Est, c’est l’Indonésie qui est la plus volontariste. Fortement touchée par la pandémie, avec un nombre officiel de décès par million d’habitants comparable à celui de l’Inde (113 décès par million), elle a lancé sa campagne pratiquement au même moment, à la mi-janvier. Son président Joko Widodo n’a pas eu les pudeurs de Narendra Modi. Il s’est fait vacciner en premier devant les caméras de télévision le 13 janvier en compagnie du célèbre chanteur et acteur Raffih Ahmad et d’un certain nombre de responsables politiques. La campagne indonésienne va s’appuyer sur un mix de vaccins chinois (Sinovac), occidentaux (AstraZeneca, Novavax) et indonésien (Merah Putih, développé conjointement par six institutions publiques du pays). Elle a pour ambition de vacciner les deux-tiers de la population indonésienne d’ici mars 2022.

La prudence des pays moins touchés par la pandémie

La Corée du Sud a sécurisé des doses pour l’ensemble de sa population en les commandant auprès d’AstraZeneca, Pfizer-BioNtech, Moderna et Janssen ainsi qu’auprès de Covax. Il s’agit d’une initiative multilatérale lancée conjointement l’an dernier par la France, l’UE et l’OMS pour distribuer deux milliards de doses de vaccins d’ici fin 2021, principalement dans les pays en développement. Pour autant, le CDC sud-coréen (centre de contrôle des épidémies) n’a annoncé le lancement de la campagne de vaccination dans le pays que pour fin février, suscitant une polémique entre les partisans de la prudence, qui estiment que la Corée peut se permettre d’attendre compte tenu du faible nombre de contaminations et de décès dans le pays, et ceux qui jugent indispensable d’accélérer le mouvement. Le Premier ministre Chung Sye-kyun a voulu mettre fin à cette polémique en déclarant devant l’Assemblée nationale : « La Corée a sa propre stratégie, qui lui convient. »
Le Japon a une démarche proche de la Corée du Sud, mais pour des raisons différentes. Les commandes de vaccins auprès des fournisseurs mondiaux sont suffisantes pour servir l’ensemble de la population, tandis que la campagne de vaccination doit démarrer également fin février. L’approche prudente du gouvernement est cette fois-ci liée à l’hostilité aux vaccins d’une bonne partie de la population : le Japon est l’un des pays aux monde où l’adhésion à la vaccination est la plus faible en raison de précédents historiques dramatiques (un vaccin déficient contre la diphtérie en 1948 et un autre provoquant une série de cas de méningites chez les enfants en 1989). Par ailleurs, le processus envisagé est manifestement très bureaucratique, avec un faible usage des outils numériques. Si bien que la vaccination restera très probablement insuffisante à l’horizon des Jeux Olympiques, ce qui conduit le Premier ministre Yoshihide Suga à souligner devant la Diète japonaise : « Nous préparerons des Jeux Olympiques sûrs sans faire de la vaccination une précondition. »
Le CDC taïwanais n’est pas très bavard sur son programme de vaccination. Il a annoncé le 30 décembre dernier qu’il avait acheté vingt millions de doses de vaccins à AstraZeneca et à l’initiative Covax, soit presque l’équivalent de la population du pays. L’ambition affichée est de vacciner 65 % des Taïwanais, mais avec une campagne de vaccinations démarrant seulement en mars. Avec huit décès depuis le début de la pandémie, Taïwan peut clairement s’offrir le luxe d’attendre un peu.
La Thaïlande, la Malaisie, le Vietnam et les Philippines vont démarrer leur campagne de vaccination en février, avec une montée en puissance au cours du deuxième et troisième trimestre. En Thaïlande, c’est Siam Bioscience, une société rattachée aux actifs de la couronne royale, qui a obtenu la licence de production d’AstraZénéca, ce qui alimente les polémiques à un moment où la popularité du Roi est au plus bas. Le Vietnam n’a approuvé son premier vaccin contre la Covid-19 – celui d’AstraZénéca – que fin janvier. Les trois autres pays ont passé des commandes alliant vaccins chinois et occidentaux, tout en se ralliant à l’initiative Covax. La Malaisie a par ailleurs commandé à l’Institut russe Gamaleya 18 millions de doses du Sputnik V.
La montée en puissance assez progressive des programmes de vaccination en Asie s’accompagne d’une offensive diplomatique opposant l’Inde et la Chine.

L’essor de la diplomatie asiatique du vaccin

Narendra Modi concentre sa diplomatie des vaccins sur l’Asie du Sud et l’océan Indien. Il a ainsi prévu de fournir, pour une bonne part gratuitement, vingt millions de doses de vaccins à ses voisins – Bangladesh, Népal, Sri Lanka et Afghanistan – ainsi qu’aux Seychelles, aux Maldives et à l’Île Maurice. Dans un second temps, l’offensive diplomatique indienne va concerner certains pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie centrale (l’Afrique du Sud et le Brésil ont déjà reçu des livraisons indiennes). Il ne faut pas oublier que l’Inde fournit globalement 60 % des vaccins dans le monde et dispose d’une capacité de production considérable qu’elle est en mesure de mettre au service de ses ambitions internationales.
La Chine pour sa part s’est imposée avec Sinovac et Sinopharm comme l’un des fournisseurs principaux d’une bonne partie de l’Asie du Sud-Est et de son allié traditionnel en Asie du Sud qu’est le Pakistan, avec une combinaison complexe de dons et de prix préférentiels dont la transparence est assez limitée. Elle s’est engagée à offrir dix millions de doses de ses vaccins à la facilité Covax, dès que l’OMS les aura officiellement approuvés. La compétition sino-indienne bénéficie à certains pays comme le Népal, le Brésil ou les Maldives, qui ont déjà reçu des dons des deux géants asiatiques.
Globalement, la saga des vaccinations en Asie ne fait que commencer. C’est seulement au cours du second semestre 2021 qu’elle atteindra son rythme de diffusion le plus élevé. L’énorme taille de la population asiatique, avec ses 4,6 milliards d’habitants, rend particulièrement complexes les enjeux industriels, logistiques et financiers auxquels les systèmes de santé du continent sont confrontés.
Par Hubert Testard

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A propos de l'auteur
Hubert Testard est un spécialiste de l’Asie et des enjeux économiques internationaux. Il a été conseiller économique et financier pendant 20 ans dans les ambassades de France au Japon, en Chine, en Corée et à Singapour pour l’Asean. Il a également participé à l’élaboration des politiques européennes et en particulier de la politique commerciale, qu’il s’agisse de l’OMC ou des négociations avec les pays d’Asie. Il enseigne depuis huit ans au collège des affaires internationales de Sciences Po sur l’analyse prospective de l’Asie. Il est l’auteur d’un livre intitulé "Pandémie, le basculement du monde", paru en mars 2021 aux éditions de l’Aube, et il a contribué au numéro de décembre 2022 de la "Revue économique et financière" consacré aux conséquences économiques et financières de la guerre en Ukraine.