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Coronavirus : comment sortir de la dépendance à la Chine pour nos médicaments ?

La Chine produit 80 % des médicaments consommés par les Européens. (Source : Le Soir)
La Chine produit 80 % des médicaments consommés par les Européens. (Source : Le Soir)
On connaissait la « diplomatie du masque » menée par la Chine à travers le monde. La crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 a mis en pleine lumière la très forte dépendance de l’Occident à l’égard de la Chine pour ses médicaments.
Cette dépendance résonne comme un avertissement pour la souveraineté des pays occidentaux en matière de santé. Elle souligne leur très grande vulnérabilité. Au fil des ans, la Chine est devenue leader dans la production mondiale de médicaments au point d’être aujourd’hui l’usine de production de plus de 80 % des principes actifs utilisés par l’industrie pharmaceutique mondiale. Cette situation de domination est encore plus écrasante dans le registre des matières premières servant à l’élaboration des médicaments puisque l’industrie chinoise représente à elle seule entre 80 et 90 % du marché mondial.
C’est ainsi que les Américains dépendant aujourd’hui de la Chine pour garantir leur approvisionnement en antibiotiques qui proviennent à 97 % de leur rival asiatique. En pleine crise sino-américaine, il y a de quoi frémir. En réalité, des milliers de médicaments génériques consommés aux États-Unis dépendent de la Chine pour leurs principes actifs. « Si vous êtes chinois et que vous voulez nous détruire, vous arrêtez tout simplement de nous envoyer des antibiotiques », soulignait l’agence de presse officielle Chine nouvelle (Xinhua) en avril dernier.
La situation n’est guère plus brillante pour l’Europe. L’Académie nationale de pharmacie en France tire la sonnette d’alarme depuis dix ans déjà. Le grand basculement a eu lieu dans les années 1990. Avant cette date, l’industrie pharmaceutique européenne produisait 80 % des médicaments consommés par les pays européens. Aujourd’hui, c’est exactement le contraire : la Chine produit 80 % des médicaments consommés par les Européens. Au point que l’Europe ne produit plus un seul gramme de paracétamol !

Prise de conscience des occidentaux

De fait, la Chine est devenue en moins de trente ans le premier producteur et le premier exportateur mondial de vitamines, d’antibiotiques, d’analgésiques, de médicaments anti-infectieux et de corticoïdes, souligne l’agence Xinhua. Même l’Inde, qui est en position de numéro deux derrière Pékin pour la production de génériques, est tributaire de la Chine où elle doit s’achalander pour acquérir les principes actifs dont elle a besoin.
Cette dépendance a pris un tour inquiétant avec la pandémie qui a provoqué des ruptures d’approvisionnement d’usines chinoises brutalement mises à l’arrêt. Cette pénurie soudaine a ouvert les yeux des décideurs occidentaux. D’où l’annonce par le président Emmanuel Macron, le 16 juin, de la volonté de la France de relocaliser la production de paracétamol sur le sol français d’ici trois ans. Le découplage des États-Unis avec la Chine dans le secteur des médicaments est également une piste sérieuse envisagée et actuellement discutée au congrès américain.
« Pour 86 % des hôpitaux en Europe, la question des pénuries est devenue un sujet de préoccupations quotidien, souligne Bruno Bonnemain, président d’un groupe de travail sur les ruptures d’approvisionnement, cité par Le Figaro. Les principales classes impactées sont […] les anti-infectieux et les anticancéreux, suivis de près par des médicaments d’urgence, de réanimation, des médicaments de cardiologie et les anesthésiques. Personne n’a réagi à nos rappels à l’ordre quand il était encore temps. La grande erreur de nos gouvernements a été de ne plus considérer les médicaments comme des produits stratégiques. En privilégiant le critère du coût, on a laissé les entreprises faire n’importe quoi. Il y a eu un abandon de souveraineté. » Retrouver une production nationale du médicament va cependant prendre des années, sinon même des décennies.
[asl-article-interitre]Le « trésor » de la médecine traditionnelle[/asl-article-intertitre]
En attendant, la Chine a ouvert un nouveau front avec la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC), que le président Xi Jinping a qualifiée de « trésor de la civilisation chinoise ». Elle représente 30 % du marché du secteur de la santé dans le pays, avec un chiffre d’affaires de plus de 786 milliards de yuans (environ 100 milliards d’euros). Elle emploie quelque 452 000 praticiens et représente près de 4 000 hôpitaux qui lui sont exclusivement consacrés.
Vieille de plus de deux millénaires, elle englobe l’acupuncture, la moxibustion et la pharmacopée. Le continent africain est la cible de choix pour les exportations chinoises de MTC. Les experts occidentaux demeurent néanmoins très critiques sinon franchement septiques quant à leur efficacité réelle. Dans les faits, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît pourtant les apports de la MTC en matière de pharmacologie et l’attribution du prix Nobel de médecine en 2015 à la chercheuse en pharmacie chinoise Tu Youyou a représenté un énorme coup de pouce pour la filière.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).