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Les relations Chine-Occident tournent à l’aigre

Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a rejeté comme "illégales" les revendications de Pékin en mer de Chine du Sud, le 13 juillet 2020. (Source : New York Post)
Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a rejeté comme "illégales" les revendications de Pékin en mer de Chine du Sud, le 13 juillet 2020. (Source : New York Post)
Virage diplomatique américain sur la mer de Chine du Sud, Huawei banni du Royaume-Uni, les Européens à l’offensive sur Hong Kong… Les indicateurs ont franchement tourné au rouge dans les relations entre la Chine et plusieurs pays occidentaux au cours de la semaine écoulée.
La première annonce est d’importance : le ministre britannique de la Culture et du Numérique Oliver Dowden a révélé ce mardi 14 juillet que le Royaume Uni avait pris la décision d’exclure le géant chinois des télécoms Huawei du futur réseau 5G sur le sol britannique, en raison de « risques pour la sécurité nationale ». Les achats d’équipements Huawei seront bannis à compter de la fin 2020, les équipements existants devant être tous démontés d’ici à 2027. En janvier dernier, le Royaume-Uni avait, au grand dam de Washington, autorisé Huawei à construire jusqu’à 35 % des réseaux 5G non stratégiques britanniques. La décision de mardi porte un coup dur au géant chinois, qui est déjà écarté de la 5G aux États-Unis et en Australie. La Chine a aussitôt répliqué, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Hua Chunying soulignant que le gouvernement de son pays « s’oppose fermement » à la décision britannique. Et d’ajouter que Pékin prendrait « des mesures pour protéger les intérêts légitimes » des entreprises chinoises.
Le 5 juillet, par la voix du directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), Guillaume Poupard, la France avait quant à elle annoncé que s’il n’y aurait pas de bannissement total de Huawei, les opérateurs qui n’utilisent pas le groupe chinois pour la future 5G en France devraient « continuer sur la même voie » : « Nous les incitons à ne pas y aller, car c’est un peu le sens naturel des choses, Ceux qui l’utilisent déjà, nous délivrons des autorisations dont la durée varie entre trois et huit ans », avait-il ajouté. Une mesure qui revient à l’exclusion de fait de Huawei de la 5G française. L’Allemagne envisage elle aussi des restrictions pour Huawei.

Porte-avions américains en mer de Chine du Sud

La deuxième annonce est toute aussi forte. Ce lundi 13 juillet, les États-Unis, par la voix de leur secrétaire d’État Mike Pompeo, ont rejté en bloc les revendications de Pékin sur la mer de Chine du Sud. « Nous le disons clairement : les revendications de Pékin sur les ressources offshore dans la plus grande partie de la mer de Chine méridionale sont complètement illégales, de même que sa campagne d’intimidation pour les contrôler », a déclaré Mike Pompeo. Il a rappelé qu’un tribunal de la cour permanente d’arbitrage de La Haye avait jugé en 2016 que la Chine n’avait pas de base légale pour revendiquer des « droits historiques » sur cette zone de près de 3,5 millions de km2. Il s’agit là d’un virage de la diplomatie américaine qui s’était, jusqu’à présent, abstenue de prendre position dans les différends territoriaux dans cette région, se contentant d’y affirmer la « liberté de navigation ».
La zone est jugée capitale puisqu’elle est la route maritime la plus courte entre le Pacifique Nord et l’océan Indien. Depuis 1987, la Chine contrôle l’intégralité des îles Paracels et une bonne partie des îles Spratleys, sur lesquelles elle a installé des pistes d’atterrissage de même que des équipements de guerre électronique et des batteries de missiles sol-mer et sol-air. Une partie de ces îles sont également revendiquées par le Vietnam, Taïwan, les Philippines, la Malaisie et Brunei. Des incidents récurrents opposent la marine chinoise à des bateaux de pêche vietnamiens, philippins et indonésiens. Rappelons que du 1er au 5 juillet, des manœuvres militaires chinoises autour des Paracels avaient brusquement fait monter la tension dans cette zone réputée riche pour ses réserves halieutiques. Washington y avait répondu en y envoyant deux porte-avions, le Ronald Reagan et le Nimitz, un déploiement de forces sans précédent depuis 2014.

« Réponse coordonnée » de l’UE sur Hong Kong

À cela s’ajoute la réaction lundi de l’Union européenne à l’instauration à Hong Kong de la désormais tristement célèbre « loi sur la sécurité nationale », qui prévoit des peines allant jusqu’à la prison à perpétuité de tout ressortissant jugé coupable de subversion, sécession ou collusion avec un pays étranger. « L’Union européenne va développer une réponse coordonnée en soutien de l’autonomie de Hong Kong », a déclaré Josep Borrell. Évoquant des visas et des bourses pour permettre aux habitants de Kong Kong de se rendre dans l’UE et des restrictions à l’exportation d’armes destinées aux forces de sécurité, le chef de la diplomatie européenne a ajouté : « Nous avons adopté aujourd’hui un double message avec un soutien à l’autonomie de Hong Kong et aux libertés fondamentales, et à l’adresse de la Chine, nous disons que les mesures vont avoir un impact sur nos relations. »
Ce mercredi 15 juillet, le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian avait déclaré que la France n’allait pas rester les bras croisés sur la question hongkongaise. « Nous envisageons des mesures que je serai amené à diffuser le moment venu », a-t-il ajouté, soulignant vouloir le faire en « coordination » avec d’autres pays européens. « Il y a vraiment une rupture par rapport à la loi fondamentale de 1997, par rapport au principe « un pays, deux systèmes », […] donc on ne va pas rester comme cela », a insisté le ministre. Jeudi, Jean-Yves Le Drian est revenu sur le sujet : « Cette loi sur la sécurité est un acte très grave qui remet en cause, de notre point de vue, la loi fondamentale de 1997 qui validait la forme d’autonomie de Hongkong sous la référence « un pays deux systèmes ». »
La compagnie Air France s’est quant à elle retrouvée au cœur d’une polémique avec Pékin : au nom de « la réciprocité », Paris avait décidé il y a une semaine de limiter à un vol hebdomadaire les fréquences aériennes chinoises entre la Chine et la France et faisait pression pour obtenir un deuxième vol hebdomadaire Paris-Shanghai pour Air France. Le gouvernement français a obtenu satisfaction ce jeudi 16 juillet, l’ambassade de Chine en France ayant annoncé l’autorisation demandée pour un deuxième vol. La Chine ayant trois grandes compagnies volant à l’international (Air China, China Eastern, China Southern), ces dernières pouvaient jusqu’ici effectuer chacune un vol Chine-France par semaine, soit trois au total, tandis qu’Air France n’était autorisé qu’à un vol hebdomadaire.
Ces aléas interviennent sur fond de critiques visant la chancelière allemande Angela Merkel qui s’est retrouvée cette semaine la cible de déclarations acerbes à propos de ses liens avec Pékin. Des responsables allemands de l’ensemble du spectre politique du pays lui ont reproché d’être trop proche des intérêts chinois. « Ce que dit le gouvernement allemand sur Hong Kong est un minimum absolu, ce n’est juste pas suffisant », a ainsi déclaré Norbert Röttgen, un membre de la CDU, le parti de la chancelière et le chef de la Commission des affaires étrangères du parlement allemand dans des commentaires rapportés par le quotidien britannique Financial Times. « La politique chinoise de Merkel ne va pas dans le sens de l’Histoire », a renchéri Nils Schmid, porte-parole du SPD, parti membre de la coalition au pouvoir, cité par le même journal. Angela Merkel se déclare, depuis des années, favorable à des liens économiques et diplomatiques très étroits avec la Chine qui est l’une de ses priorités politiques. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Allemagne. Elle avait déclaré la semaine dernière qu’elle « continuerait à rechercher le dialogue » avec la Chine, insistant sur le caractère « stratégique » des liens entre la Chine et l’Union européenne. Rappelons que la chancelière allemande Merkel assure depuis le 1er juillet la présidence de l’Union Européenne.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).