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Jusqu'où ira l'escalade entre la Chine et les États-Unis ?

Le président Donald Trump et son homologue chinois Xi Jinping au sommet du G20 à Osaka le 29 juin 2019. (Source : CNBC)
Le président Donald Trump et son homologue chinois Xi Jinping au sommet du G20 à Osaka le 29 juin 2019. (Source : CNBC)
Fermetures soudaines des consulats chinois à Houston et américain à Chengdu, joutes verbales d’une grande virulence, appel américain à « une coalition du monde libre » contre la Chine… La guerre froide entre la Chine et les États-Unis a connu en une semaine à peine une escalade dramatique qui conduit les observateurs à se poser la question : jusqu’où ira-t-elle ?
Alors que personne ne s’y attendait, le Département d’État américain a ordonné ce mercredi 22 juillet la fermeture du consulat chinois à Houston dans le Texas, dans un délai de 72 heures. Une mesure inédite depuis l’établissement des relations diplomatiques entre Washington et Pékin en 1979. « Les États-Unis ne toléreront pas les violations de notre souveraineté et l’intimidation de notre peuple par la Chine, tout comme nous n’avons pas toléré les pratiques commerciales injustes, le vol des emplois américains et d’autres comportements flagrants. Le président Trump insiste sur la justice et la réciprocité dans les relations sino-américaines, a expliqué Morgan Ortagus, une porte-parole du département d’État américain, rappelant que, selon, la convention de Vienne, les diplomates d’État doivent « respecter les lois et règles du pays hôte » et « ont le devoir de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures de cet État ». « Cette semaine, nous avons fermé le consulat chinois à Houston car il était devenu un repaire pour un réseau d’espionnage et de vol de propriété intellectuelle, a, lui, indiqué le secrétaire d’État américain Mike Pompeo. La Chine nous vole notre propriété intellectuelle si précieuse et s’empare de secrets qui coûtent des millions d’emplois à travers l’Amérique. »
Pékin a presque immédiatement répliqué en décidant ce vendredi 24 juillet d’imposer la fermeture du consulat américain de Chengdu. La fermeture de cette représentation diplomatique, ouverte en 1985 dans la capitale de la province du Sichuan, n’est pas sans conséquence pour les États-Unis puisqu’elle couvre tout le sud-ouest de la Chine, dont en particulier la « région autonome du Tibet ». Selon son site Internet, elle compte pas moins de 200 employés, dont 150 de statut local.
Sitôt la fermeture du consulat chinois de Houston, Mike Pompeo s’est livré jeudi 23 juillet à une diatribe extrêmement virulente à l’égard de la Chine. Ses mots rappelaient plus que jamais la Guerre froide avec l’Union soviétique. Le chef de la diplomatie américaine a appelé « le monde libre » à « triompher » face à la « nouvelle tyrannie » incarnée selon lui par la Chine communiste. « La Chine d’aujourd’hui est de plus en plus autoritaire à l’intérieur du pays, et plus agressive dans son hostilité face à la liberté partout ailleurs », a-t-il déclaré dans un discours prononcé depuis la bibliothèque présidentielle Richard Nixon à Yorba Linda, en Californie. Si nous nous inclinons maintenant, nos petits-enfants pourraient être à la merci du Parti communiste chinois, dont les actes constituent le premier défi du monde libre. » La diplomatie chinoise a quant à elle dénoncé une « calomnie malveillante » qui « démolit le pont d’amitié entre les Chinois et les Américains ».

« Coalition mondiale » contre la Chine

Mais Mike Pompeo ne s’est pas arrêté là. Mardi 21 juillet, en visite à Londres, le secrétaire d’Etat a appelé de ses vœux la création d’une « coalition mondiale » pour contrer « la menace » représentée, selon lui, par la Chine. Le même jour, le département américain de la Justice a rendu public un acte d’inculpation visant trois ressortissants chinois accusés de cyber-espionnage entre 2014 et 2020 – les trois hommes sont soupçonnés d’avoir piraté plusieurs entreprises américaines, dont certaines liées à la recherche sur la pandémie de Covid-19, pour leur dérober des secrets industriels. La police américaine soupçonne en outre une chercheuse chinoise, Tang Juan, accusée d’avoir dissimulé ses liens avec l’Armée populaire de libération (APL) pour obtenir un visa américain, de s’être réfugiée au consulat chinois de San Francisco afin d’échapper à son arrestation. Le département de la Justice a finalement annoncé son arrestation vendredi.
La rivalité sino-américaine s’est singulièrement envenimée avec la pandémie du Covid-19. Dans leur escalade verbale, les États-Unis et la Chine en sont venus aux insultes. Et la Chine n’est pas en reste. Dans un entretien téléphonique avec son homologue russe Sergey Lavrov le 18 juillet, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a insisté sur le fait qu’à ses yeux, « les États-Unis, qui ont recours à des mesures extrêmes et crée des points chauds et la confrontation dans les relations internationales, ont perdu la tête, leur moralité et leur crédibilité. Les États-Unis ont poursuivi leur politique « America First », poussant l’égoïsme, l’unilatéralisme et l’intimidation jusqu’à son extrême limite et ce n’est pas ce qu’une grande puissance devrait être. »
Seule information positive dans ce sombre paysage, l’annonce mardi par le secrétaire américain à la Défense Mark Esper de son souhait de se rendre en visite en Chine d’ici la fin de l’année afin, a-t-il dit, « de renforcer la coopération dans des domaines d’intérêt commun et d’établir les systèmes nécessaires de communication en situation de crise ».
Les tensions de la Chine avec l’Union européennes se sont également tendues. Selon le quotidien anglophone de Hong Kong South China Morning Post qui a consulté un projet de document, le Conseil européen a l’intention de restreindre la vente par les 27 pays membres de l’UE de « matériels pouvant être utilisés par les forces de sécurité de Hong Kong pour la répression de mouvements de contestation et pour la surveillance de la population ». Ce document doit être adopté en réaction à l’imposition le 30 juin par Pékin de la « loi sur la sécurité nationale » à Hong Kong. Ce document européen, qui doit être formellement adopté d’ici la fin juillet, juge que cette loi controversée représente « un sujet de grave inquiétude » « non conforme avec les engagements internationaux souscrits par la Chine avec la déclaration conjointe sino-britannique de 1984 » qui régit Hong Kong depuis sa rétrocession à la Chine en 1997.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).