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Origines du Covid-19 : la Chine sous pression après la visite des enquêteurs de l’OMS

Peter Ben Embarek (au centre), chef de l'équipe des enquêteurs de l'OMS en visite à Wuhan, à la fin d'une conférence de presse le 9 février 2021. (Source : NYT)
Peter Ben Embarek (au centre), chef de l'équipe des enquêteurs de l'OMS en visite à Wuhan, à la fin d'une conférence de presse le 9 février 2021. (Source : NYT)
Deux semaines après la fin de la mission de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Wuhan visant à rechercher l’origine de la pandémie de Covid-19, la pression monte sur la Chine. Pékin est sommé d’en dire davantage et de partager ses informations avec le monde. En parallèle, les langues commencent à se délier et parlent désormais de la possibilité d’une contamination beaucoup plus large que ce qui était dit jusqu’à présent dans la métropole chinoise dès décembre 2019.
Mercredi 17 février, c’était au tour du Royaume-Uni de décocher une flèche en direction de Pékin. Selon son secrétaire d’État aux Affaires étrangères Dominic Raab cité par la BBC, la Chine doit en faire plus et coopérer avec l’OMS afin que le monde puisse enfin comprendre ce qui s’est passé et quelles ont été les responsabilités. « Nous voulons voir une coopération complète », a réclamé le chef de la diplomatie britannique. Le monde doit savoir l’origine de la pandémie « car alors seulement la question de la responsabilité pourra être comprise et ceci aussi, franchement, pour permettre d’aller de l’avant et d’en tirer les leçons », a-t-il ajouté.
La Maison Blanche est, elle aussi, montée au créneau. « Nous avons de fortes inquiétudes sur la façon dont les premiers résultats de l’enquête sur le Covid-19 ont été communiqués et des questions sur la procédure utilisée pour y parvenir, a affirmé samedi 13 février Jake Sullivan, conseiller à la Sécurité nationale de Joe Biden. Pour mieux comprendre cette pandémie et préparer la prochaine, la Chine doit rendre accessible ses données sur les premiers jours de l’épidémie. »

Virus en circulation dès décembre 2019 à Wuhan

Au terme de leur mission de presque un mois à Wuhan, les enquêteurs de l’OMS sont repartis de Chine en laissant derrière eux plus de questions que de réponses. Ils n’ont pu en effet percer les origines de la pandémie, se bornant à déclarer à la presse que le coronavirus a probablement migré de chauves-souris vers une espèce non déterminée, avant de contaminer des humains. Ils ont toutefois jugé « hautement improbable » que le Covid-19 provienne d’un laboratoire de haute sécurité de Wuhan, infirmant ainsi nombre de théories allant en ce sens.
Cependant, Peter Ben Embarek, chef de la mission, a implicitement critiqué le peu de liberté de manœuvre laissée par Pékin aux enquêteurs à Wuhan pour tenter de comprendre l’origine de l’épidémie. « Nous voulons plus de données. Nous avons demandé plus de données, a-t-il confié à l’AFP samedi 13 février. Il y a un ensemble de frustrations, mais aussi d’attentes réalistes quant à ce qui est faisable dans un délai donné. »
Deux jours plus tard, le même Peter Ben Embarek a déclaré lundi 15 février est allé plus loin dans une nouvelle déclaration à CNN : la mission de l’OMS a trouvé « plusieurs signes » attestant du fait que la pandémie est probablement plus répandue qu’imaginé. La même mission a en outre établi pour la première fois qu’il existait plus d’une douzaine de souches du virus circulant à Wuhan en décembre 2019.
Cette mission de l’OMS laisse donc un goût amer quant à la volonté réelle du régime chinois de faire la lumière sur l’origine d’une pandémie qui, en date de ce jeudi 18 février, avait contaminé plus de 109 millions de personnes et tué 2,42 millions d’autres à travers la planète.
Cela n’empêche pas la Chine de mener une diplomatie du vaccin très active. Pékin a exporté quelque 220 milliards de masques chirurgicaux en 2020, selon les chiffres du ministère chinois du Commerce, soit 40 masques par être humain vivant en dehors du pays. Premier État touché par le coronavirus, la Chine s’était rapidement imposée comme le principal fabricant de masques au monde, Pékin n’hésitant pas à en user sur le plan diplomatique avec des dons très médiatisés à l’étranger. La Chine a par ailleurs exporté 2,3 milliards de combinaisons de protection et un milliard de trousses de dépistage contre le virus, a précisé devant la presse le vice-ministre du Commerce Qian Keming. Il s’agit pour la Chine d’une « contribution importante à la lutte mondiale contre l’épidémie », s’est-il félicité le 29 janvier.
Mais qu’on se le dise, si Pékin a certes fait don d’une partie de ces masques et de ces matériels sanitaires (plusieurs millions au total), pour la très grande majorité d’entre eux, elle les a en réalité vendus, en retirant même un commerce juteux.

Dons chinois de vaccins

Il reste qu’après la diplomatie du masque, la Chine s’est dorénavant engagée dans une offensive politique et diplomatique très agressive de dons de vaccins, exportés vers 22 pays jusqu’à présent. Du Zimbabwe à la Hongrie, en passant par le Maroc ou l’Algérie, elle espère ainsi conquérir les cœurs mais aussi les sympathies de l’opinion publique à travers le monde.
C’est ainsi qu’en date du 15 février, la Chine avait expédié un total de 46 millions de doses de vaccins élaborés sur le sol chinois par les laboratoires Sinovac et Sinopharm. c’est davantage que le nombre de vaccins inoculés à la population chinoise (40,52 millions), selon les chiffres du South China Morning Post ! À cette date, une proportion de seulement 3 doses de vaccins pour 100 habitants ont été administrée en Chine, contre plus de 15 doses aux États-Unis, presque 22 doses pour 100 habitants au Royaume-Uni et même 70 doses en Israël.
Priorité donc est donnée par les autorités chinoises à leur politique de dons de vaccins sur les soins à la population chinoise ! Il est vrai que très tôt, le président chinois Xi Jinping avait promis de faire des vaccins chinois un « bien commun au service de l’humanité ».
Ce mercredi 17 février, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi ne s’est pas privé de critiquer la politique des pays occidentaux de stocker sur leur sol une grande quantité de doses, entraînant ainsi un approvisionnement insuffisant pour les pays pauvres. La coopération mondiale sur la pandémie doit être « à somme nulle », a-t-il lancé, ajoutant que la Chine n’avait, pour sa part, aucune intention géopolitique cachée dans sa politique de dons de vaccins.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).