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Un message clair pour Pékin : les flottes américaine et française croisent en mer de Chine du Sud

Le porte-avions américain USS Nimitz a participé à un rare exercice conjoint avec le porte-avions USS Roosevelt en mer de Chine du Sud, le 9 février 2021. (Source : FT)
Le porte-avions américain USS Nimitz a participé à un rare exercice conjoint avec le porte-avions USS Roosevelt en mer de Chine du Sud, le 9 février 2021. (Source : FT)
Deux porte-avions américains accompagnés de leurs flottilles croisent depuis ce mardi 9 février en mer de Chine du Sud. C’est le plus important déploiement américain dans cette zone revendiquée par Pékin depuis des mois. Pratiquement au même moment, un sous-marin nucléaire d’attaque et un bâtiment de surface français s’y sont trouvés. Un message politique que Washington entend adresser à Pékin et à ses alliés dans la région indo-pacifique. Ce jeudi, Joe Biden a évoqué le sujet directement avec Xi Jinping dans son premier entretien avec le président chinois depuis son arrivée à la Maison Blanche.
Les porte-avions USS Theodore Roosevelt et USS Nimitz étaient accompagnés des croiseurs lance-missiles USS Bunker Hill et USS Princeton et des destroyers USS Russell et USS John Finn. Leur présence vise à démontrer la capacité de la flotte américaine à maintenir la paix et son engagement à faire respecter le principe d’une région indo-pacifique « libre et ouverte », a expliqué la marine américaine dans un communiqué. « Les bâtiments et les avions des deux groupes d’attaque coordonnent leurs opérations dans une zone ou le trafic [maritime] est très dense pour démontrer la capacité de la flotte américaine à opérer dans des environnements porteurs de défis », a souligné ce communiqué.
« Par le biais d’opérations comme celle-ci, nous voulons nous assurer que nous sommes efficaces pour relever les défis que représente le maintien de la paix et continuer à montrer à nos partenaires et nos alliés dans la région que nous sommes engagés à promouvoir la paix dans une région indo-pacifique libre et ouverte », a quant à lui expliqué l’amiral Doug Verissimo, commandant du Groupe d’attaque n°9.
Une telle démonstration de force dans la zone par les États-Unis est sans précédent depuis sept mois, lorsqu’une opération conjuguée de deux porte-avions en mer de Chine du Sud était elle-même devenue une première depuis six ans. Dans le même temps, le destroyer lance-missiles américain USS John S. McCain est passé dans le détroit de Taïwan jeudi 4 février.
Pékin a réagi plutôt avec mesure, usant de sa rhétorique habituelle. « Les États-Unis envoient fréquemment des bateaux et des avions en mer de Chine du Sud afin de montrer leur force, ce qui n’est pas favorable à la paix régionale et à sa stabilité, a déclaré Wang Wenbin, porte-parole du ministère des Affaires étrangères à Pékin. La Chine continuera de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder la souveraineté et la sécurité nationales et travaillera de concert avec les pays de la région pour fermement maintenir la paix et la stabilité en mer de Chine du Sud. »

La France se considère comme un « acteur autonome »

L’entrée de ces deux groupes navals américain intervient exactement au lendemain de la présence dans ces mêmes eaux du sous-marin nucléaire d’attaque français Émeraude et du bâtiment de soutien Seine. Pour Collin Koh, chercheur à l’École des Études Internationales Rajaratnam de l’Université Nanyang Technological de Singapour, cité par le South China Morning Post, la flotte américaine a voulu envoyer le message de sa volonté d’opérer « partout où elle le désire et là où le droit international le permet, quelle que soit la menace de Pékin ». Quant à la France, elle entendait « montrer le drapeau français à l’appui des intérêts de Paris dans la région indo-pacifique » où la France « se considère comme un acteur autonome » afin de présenter une alternative pour les pays qui ne souhaitent pas s’aligner trop étroitement sur la Chine ou les États-Unis.
« Cette patrouille hors normes vient d’achever un passage en mer de Chine méridionale. Une preuve éclatante de la capacité de notre marine nationale à se déployer loin et longtemps en lien avec nos partenaires stratégiques australiens, américains ou japonais », a pour sa part tweeté la ministre française des Armées Florence Parly.

La France, alliée des États-Unis, notamment au sein de l’Otan, et qui possède d’importantes zones économiques exclusives dans le Pacifique du fait de ses terres d’outre-mer, considère depuis plusieurs années que la zone indo-pacifique et la défense de la liberté de navigation sont des priorités. « Pourquoi une telle mission ? Pour enrichir notre connaissance de cette zone et affirmer que le droit international est la seule règle qui vaille, quelle que soit la mer où nous naviguons », a développé la ministre sur Twitter.

« Pas une once de démocratie dans les os du squelette »

Quant au président américain Joe Biden, il a, dans un geste de courtoisie, choisi l’ouverture en Chine des festivités qui marquent traditionnellement le Nouvel An lunaire pour enfin téléphoner ce jeudi 11 février à son homologue chinois Xi Jinping, qu’il a fait lanterner près de trois semaines depuis son investiture le 20 janvier.
Mais si le numéro un chinois espérait recevoir de la part de Washington l’expression d’une volonté d’apaisement dans les relations sino-américaines, il en a été pour ses frais. En effet, Joe Biden a profité de cet entretien pour exhorter son interlocuteur à respecter les droits de l’homme, énumérant la répression contre les Ouïghours au Xinjiang, la situation à Hong Kong et les multiples manœuvres militaires chinoises visant à intimider Taïwan.
Xi Jinping a répondu que ces diverses questions relevaient toutes des affaires intérieures de la Chine et a mis en garde Joe Biden sur le fait que la poursuite de la confrontation entre les deux premières puissances économiques de la planète constituerait pour elles « un désastre ».
Rappelons les termes que Joe Biden avait employés à l’endroit de Xi Jinping le 26 février 2020 sur la chaîne de télévision américaine CBS : cet homme est « un voyou », « un type qui n’a pas une once de démocratie dans les os de son squelette ». Dimanche 9 février, il a répété ces mots, à l’exception de celui de « voyou ».
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).