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Chine-États-Unis : la guerre des semi-conducteurs ne fait que commencer

La maîtrise de la fabrication de semi-conducteurs de premier rang est en effet aujourd'hui l'une des clés des ambitions chinoises de devenir une véritable superpuissance mondiale. (Source : CNBC)
La maîtrise de la fabrication de semi-conducteurs de premier rang est en effet aujourd'hui l'une des clés des ambitions chinoises de devenir une véritable superpuissance mondiale. (Source : CNBC)
C’est l’un des secteurs clés des hautes technologies du futur. Petite puce de silicium qui constitue le cœur des ordinateurs, tablettes ou les smartphones, le semi-conducteur est aussi un composant essentiel des systèmes électroniques embarqués dans les voitures, les avions, les réseaux de télécommunications et les centrales nucléaires, pour ne citer qu’eux. Dans ce domaine, la rivalité entre la Chine et les États-Unis est extrême.
La course est à la miniaturisation des semi-conducteurs. Or la Chine accuse là un retard de plusieurs années, peut-être même de dix ans, si tant est qu’elle parvienne un jour à le combler. Le principal fondeur américain Intel est capable de produire des puces gravées à 10 nanomètres, tandis que les producteurs taïwanais TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacuring Company) et sud-coréen Samsung Electronics Company parviennent à graver des puces à 5 nanomètres. Ceci alors que le géant chinois SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corporation), qui tout comme Huawei est placé sur la liste noire des autorités américaines, ne réussit qu’à graver à 14 nanomètres.
Rappelons qu’un nanomètre est égal à un milliardième de mètre et qu’un microprocesseur gravé à 7 nanomètres contient des milliards de transistors qui ont chacun la capacité de contrôler l’activité électrique et les flux d’électrons. Plus un microprocesseur est petit, moins il consomme d’énergie et moins il dégage de chaleur, deux qualités essentielles pour les circuits informatiques quels qu’ils soient. Une grande partie de la révolution numérique mondiale en cours se jouera dans la maîtrise de la fabrication des semi-conducteurs.
C’est pourquoi la guerre de la miniaturisation fait rage entre la Chine d’un côté et les États-Unis, Taïwan et la Corée du Sud de l’autre. Qui va gagner ? Nul ne peut le prédire. La Chine est cependant encore placée dans une situation de dépendance à l’égard des fabricants étrangers.

Les ambitions chinoises après l’interdiction de Huawei aux États-Unis

Les Chinois ont certes réalisé des progrès saisissants dans nombre de technologies de pointe, tels que l’intelligence artificielle, la robotique, les TGV, le nucléaire civil, la fusion nucléaire, la voiture électrique, l’informatique quantique, la conquête de l’espace et bientôt l’aviation civile. Mais les semi-conducteurs restent son talon d’Achille.
La maîtrise de la fabrication de semi-conducteurs de premier rang est en effet aujourd’hui l’une des clés des ambitions chinoises de devenir une véritable superpuissance mondiale. Illustration du degré de sa dépendance à l’étranger et de son retard dans ce domaine, la Chine, premier consommateur de semi-conducteurs de la planète, en a importé pour 304 milliards de dollars en 2019, soit en valeur plus que ses importations de pétrole et plus que la totalité de ses importations en provenance de l’Union européenne, son premier partenaire commercial.
Depuis 2019, l’embargo américain concerne tous les fabricants produisant des semi-conducteurs sous licence américaine. Il touche le mastodonte Huawei de plein fouet et oblige les autorités chinoises à faire de la modernisation des capacités de production de semi-conducteurs une priorité nationale. Celle-ci a été expressément retenue dans les conclusions de la Conférence de Travail Economique Centrale qui s’est achevée à Pékin le 17 décembre dernier.
C’est ainsi que Huawei, qui était devenu brièvement le premier fabricant de smartphones du monde à l’été 2020 devant Samsung, est maintenant tombé au sixième rang mondial en raison principalement des sanctions américaines.
C’est l’ancien président Donald Trump qui, à la mi-mai 2020, avait placé Huawei et 70 de ses filiales sur une liste noire (entity list) du département du Commerce. Cela signifiait que les entreprises américaines ne pouvaient plus livrer de marchandises ou de technologies au géant chinois des télécoms sans une autorisation expresse du gouvernement américain. Avec pour résultat le gel immédiat de ces exportations des acteurs américains du semi-conducteur comme Intel, Qualcomm, Broadcom et Micron, tandis que les entreprises étrangères fabricant la précieuse puce électronique avec plus de 25 % de technologies américaines, dont TSMC, devaient, elles aussi, obtenir une autorisation des autorités américaines pour pouvoir continuer à fournir Huawei.
Mais la concurrence tout comme la course à la miniaturisation s’avèrent impitoyables. TSMC représente à lui seul entre 55 % et 75 % de la production mondiale de semi-conducteurs selon les différentes estimations et compte bien rester leader dans la course. La firme taïwanaise a donc annoncé en mai 2020 son intention de construire une usine géante de fabrication de semi-conducteurs sur le sol américain en Arizona, pour un investissement projeté à 12 milliards de dollars et la création de 1 600 emplois. L’usine, dont les travaux doivent commencer en 2021, se concentrera sur la production de puces de 5 nanomètres.

En retard dans la course, l’Europe veut son usine

Les rivaux américains d’Intel que sont AMD (Advanced Micro Devices), Nvidia et Ampere se fournissent tous auprès de TSMC pour leurs puces de 7 nanomètres. Mais le géant taïwanais n’en restera pas là. Il a déjà lancé la construction d’une nouvelle méga-usine à Tainan, dans le sud de Taïwan, qui sera en mesure de produire des semi-conducteurs de 3 nanomètres à partir du second semestre de 2022 ! Un record mondial inégalé à ce jour.
Cette guerre des semi-conducteurs est aujourd’hui devenue mondiale. C’est ainsi que l’Union européenne a annoncé à son tour fin 2020 son intention de construire en Europe une usine de production de puces. L’objectif serait pour l’UE de produire à terme au moins un cinquième de la production mondiale de semi-conducteurs en valeur. « Sans une capacité européenne autonome en microélectronique, il ne peut y avoir de souveraineté numérique européenne », a ainsi déclaré le Commissaire européen à l’Industrie Thierry Breton.
L’UE, qui rentre bien tard dans la course, explorerait même les possibilités que cette future usine puisse graver à 2 nanomètres, selon des sources industrielles citées ce lundi 15 février par le Taipei Times. Cet objectif représente une gageure technologique majeure quelle ne pourra certainement pas tenir avant des années. D’autre part, le ministre français des Finances Bruno Le Maire a été clair la semaine dernière : la principale difficulté sera de trouver les financements. « L’un des points faibles est l’accès au capital-risque en Europe et la mise en œuvre d’un marché des capitaux », a-t-il souligné lors d’un point de presse. Dix-neuf des vingt-sept pays membres de l’UE se seraient déjà déclarés intéressés par le projet et disposés à participer à son financement.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).