Anurag Kashyap : en Inde, "le gouvernement tente sans cesse de faire taire" les cinéastes indépendants
Contexte
Dans l’esprit des Occidentaux, le cinéma indien se résume trop souvent aux films de Bollywood, ces longs mélos regorgeant de scènes chantées et dansées. Mais à côté de ce cinéma qui n’est en fait que celui réalisé à Bombay en langue hindi, il en existe plein d’autres : les cinémas des nombreuses régions linguistiques de ce pays continent (cinéma tamoul, malayalam, marathi, bengali et bien d’autres) et un cinéma dit « indépendant » qui se développe aux côtés de Bollywood. Ces cinémas alternatifs sont en plein essor, favorisés par deux évolutions : la prolifération des multiplex qui laissent (un peu) de place à des petits films et surtout la montée en puissance des plateformes de diffusion en ligne du type Netflix ou Amazon Prime Video, plusieurs dizaines à ce jour en Inde, qui accueillent volontiers films régionaux et indépendants.
Extrêmement varié, le cinéma indépendant regroupe des cinéastes venus de tous les horizons, qui constituent tout sauf une école monolithique. Ce qui les rassemble peut se ramener à un rejet de l’esthétique Bollywood et de ses histoires à l’eau de rose se terminant invariablement par un happy end (même s’ils adorent utiliser les codes de Bollywood en les détournant) et un choix de sujets sans concessions. On trouve dans ces films des thèmes choc : affrontements de castes, sort des dalits (intouchables), corruption, criminalité politique, condition de la femme, ou relations entre communautés. Ce qui fait de ce cinéma un miroir sans équivalent sur la société indienne contemporaine et ses bouleversements. Ajoutons qu’il ne s’agit pas là d’un cinéma d’art et d’essai réservé aux esthètes : les cinéastes indépendants cherchent le plus souvent le succès commercial. Et il n’y a pas de frontière étanche avec Bollywood : des stars font des incursions dans ce cinéma plus aventureux, des financements traditionnels se risquent dans ces petites productions peu onéreuses qui peuvent rapporter gros quand elles trouvent leur public…
Bien évidemment, ces films iconoclastes se heurtent souvent aux autorités. Dans un contexte politique marqué par la dérive autoritaire de plus en plus marquée du gouvernement nationaliste hindou, les cinéastes contestataires doivent affronter les organes de censure, les offensives émanant des milieux politiques et les campagnes de haine sur les réseaux sociaux.
Anurag Kashyap est le chef de file incontesté de ce mouvement. Agé de 48 ans, il est le premier de cette nouvelle vague à avoir connu le succès dès 2009. Ce qui l’a mis en situation de pouvoir aider ses jeunes confrères à démarrer. Kashyap pratique un cinéma virtuose avec des films noirs, très noirs : extrême violence des criminels et des rapports sociaux, bas-fonds des mégapoles indiennes, misère montrée sans fard. Dans sa filmographie abondante, on peut citer Gangs of Wasseypur, fresque monumentale consacrée aux guerres opposant les mafias de cette ville du Jharkhand, à l’Est du pays ; Mukkabaaz qui, en suivant un jeune homme de l’Uttar Pradesh tentant de s’en sortir grâce à la boxe, décrit la violence des rapports de caste, les attaques contre les musulmans accusés de manger du bœuf, la corruption des instances sportives officielles ; ou encore Le Seigneur de Bombay, formidable série télévisée réalisée pour Netflix et visible en France.
Asialyst parle régulièrement du cinéma indépendant indien comme avec Geetu Mohandas, réalisatrice engagée du Kerala, Kalki Kœchlin, star de Bollywood, activiste politique et française, Hotel Salvation ou de l’art de mourir dans l’Inde du XXIème siècle, ou encore ces séries TV indiennes qui dérangent.
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