Inde : le nouveau cinéma indépendant, miroir d’une société sous tension
Contexte
A côté de la foisonnante production de cinéma commercial de Bollywood (contraction de Bombay et Hollywood), il existe en Inde un cinéma indépendant réalisé avec des moyens plus modestes et qui n’en respecte pas strictement les « codes » sacrosaints, comme l’utilisation intensive des chansons et des danses. Ce qui ne lui interdit pas de rechercher un certain succès commercial : il ne s’agit pas, en l’occurrence, de cinéma d’art et d’essai. Ce « cinéma d’auteur » a toujours existé mais il trouve actuellement un regain de vigueur. Plus proche des habitudes cinématographiques occidentales, il permet de plonger dans les réalités de la société indienne. Parmi les films de ces dernières années, on peut citer Masaan (sur les interdits sociaux), Mr and Mrs Iyer (histoire d’un musulman et d’une hindoue plongés en pleines émeutes communautaires), Little Zizou (affrontements dans la communauté parsie de Bombay), Peepli live (emballement médiatique autour des suicides de paysans), ou le célèbre Lunchbox (histoire d’amour à distance suscitée par une erreur d’aiguillage dans l’envoi de repas) qui a rencontré un grand succès en France.
Ces multiples incidents nourrissent la crainte de voir le cinéma indien, traditionnellement grand ouvert à toutes les communautés et religions du pays avec un nombre important de grandes stars d’origine musulmane, glisser vers le « communautarisme », comme s’en inquiète la chroniqueuse médias du quotidien Business Standard.
Conscience sociale
Et le succès a été au rendez-vous : Sairat a battu tous les records du cinéma marathi, engrangeant des recettes plus de deux fois supérieures au précédent record de ce cinéma régional. Fait exceptionnel, le film a franchi la barrière de la langue et a eu du succès partout en Inde en versions sous-titrées. Le plus étonnant, raconte Kashyap, c’est que « des gens qui ne vont jamais au cinéma sont allés le voir. On a vu des villages entiers remplir des bus pour aller voir le film [en ville]. On a fait des projections à 9 heures du matin et même à 6 heures du matin ! Des gens de la campagne, pas éduqués, ont eu le sentiment que, pour la première fois, quelqu’un avait fait un film pour eux. »
Antinational
En plaçant son nouveau film sous le signe du combat pour la liberté d’expression, Nandita a bien le sentiment de traiter un sujet en résonance avec l’actualité. Les récents appels au boycott des acteurs pakistanais par Bollywood en réponse aux tensions entre l’Inde et le Pakistan l’ont scandalisée. « Quand nous travaillons ensemble en tant qu’artistes, nous n’avons pas de nationalité, pas de religion, ce sont des questions personnelles », lance-t-elle, reconnaissant qu’elle s’expose ainsi à être accusée d’être « antinationale » – un terme couramment – et facilement – employé par les nationalistes hindous pour désigner ceux qui ne pensent pas comme eux. « En effet, de ce point de vue je suis antinationale ! Il est lamentable que nous ayons ainsi à prouver notre nationalisme, notre patriotisme », renchérit l’actrice qui dénonce également la décision récente de la Cour suprême obligeant à la diffusion de l’hymne national dans les salles de cinéma et imposant au public de se lever pour l’écouter.
Pas question pour autant de désespérer : « l’Inde ne traverse pas une période très positive mais nous nous en sortirons, affirme-t-elle. La liberté d’expression est menacée mais pas au point qu’il faille penser que tout est perdu ! Je suis une optimiste… »
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