Politique
Analyse

Chine : à Beidaihe, "l'université d'été" du Parti, les tensions internes à fleur de peau

Le président chinois Xi Jinping. (Source : The Print)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : The Print)
Du 1er au 16 août derniers, la retraite de Beidaihe, l’officieuse université d’été du Parti, s’est déroulée dans une atmosphère encore plus opaque que l’an passé. Déjà en mai, des rumeurs voulaient que cette « conférence » traditionnelle depuis Mao, n’ait pas lieu. Première raison donnée, bien sûr, la crise sanitaire du Covid-19, mais aussi les tensions grandissantes entre Li Keqiang et Xi Jinping sur la relance économique, tout comme la « nouvelle position » de la Chine sur la scène internationale. Ces rumeurs ont par la suite évolué vers le fait que les tensions entre Xi et Li, mais aussi entre les vétérans (中共元老, zhonggong yuanlao), leurs enfants – les « princes » (太子党, taizidang) -, la deuxième génération de « rouge » (红二代, hong’erdai) et l’équipe de Xi Jinping « gênaient » ce dernier, qui aurait souhaité ne plus tenir ce genre de rencontre à l’avenir alors qu’il l’avait remise au goût du jour en 2013. Cependant, la réunion estivale a bien eu lieu, malgré les tensions palpables à l’intérieur du Parti et même si beaucoup de « rouges » et de vétérans ne s’y sont pas présentés.

Un agenda difficile

D’emblée, cette rencontre préparatoire – qui donnera le ton à au plenum du comité centrale du Parti en octobre – porta principalement sur les relations entre les États-Unis et la Chine. Également à l’ordre, la gestion de la pandémie, la mise en place de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, les disputes territoriales en mer de Chine du Sud, la question taïwanaise ainsi que celle du Xinjiang. Mais la grande majorité de ces problématiques possèdent un dénominateur commun : les États-Unis. Ce sont les Américains qui poussent le plus pour faire reconnaître la culpabilité de la Chine sur la pandémie. C’est aussi Washington qui a mis en place le plus de sanctions contre des hauts dirigeants chinois afin de faire pression sur Pékin sur les questions de Hong Kong et du Xinjiang. Sans oublier que c’est encore l’Amérique qui joue à l’arbitre en mer de Chine.
La situation précaire de Pékin sur plusieurs fronts s’explique en partie par cette attitude cavalière du pouvoir central, le grand virage à gauche de Xi depuis 2013 – qui pousse Pékin vers un néo-maoïsme affirmé, et par les résultats désastreux de la « diplomatie guerrière » menée par les diplomates chinois. Or, depuis la fin de la retraite de Beidaihe – mais aussi un peu avant – on remarque que Pékin et ses diplomates tentent de calmer le jeu et semble vouloir rouvrir le dialogue.
Ainsi, à regarder les dernières actions de la Chine, une nouvelle stratégie à deux vitesses se dessine, qui traite de manière différente certains problèmes. En ce sens, le Parti semble avoir choisi de demeurer inflexible en matière de politique intérieure – ce qui inclut le Xinjiang et Hong Kong – ainsi qu’en matière de propagande. Dans le même temps, il semble être à présent plus « flexible » avec les États-Unis et les Occidentaux, comme dans ses actions à l’étranger. Même le commentaire du « loup guerrier » Zhao Lijian, porte-parole de la diplomatie chinoise, le 26 août dernier sur les produits Apple, était relativement « doux » :

*Contrairement à la guerre civile entre le Kuomintang et le Parti communiste, il est improbable que les États-Unis maintiennent le statu quo ou encore « tentent de s’échapper ». En fait, l’administration Trump a déjà fait mention de nouvelles sanctions qui seront mises en place avant la présidentielle américaine du 3 novembre. **Qui fut remplacé par la pensée de Xi Jinping en matière de politique internationale.
Le problème, c’est qu’être inflexible sur les questions de Hong Kong et du Xinjiang est en contradiction directe avec le fait d’être plus accommodant avec les Américains. Aussi, cette nouvelle approche, plus pragmatique qu’autre chose – la Chine n’a tout simplement pas les moyens de continuer dans cette direction, ni même le soutien complet de son propre appareil militaire pour se faire -, aura de la difficulté à porter ses fruits. La technique du « silence » – éviter de répondre trop directement, voire ne pas répondre du tout -, qui ressemble à une tentative boiteuse de suivre les tactiques de la guérilla maoïste – « se retirer quand l’ennemi avance » (敌进我退, di jin wo dui)* -, risque d’être difficile à mettre en œuvre dans le monde post-Covid-19, dans un monde qui n’achète plus le slogan de « l’émergence pacifique » (和平崛起, heping jueqi)**.
Outre la problématique américaine, deux autres points étaient à l’ordre du jour : les inondations et la potentielle crise alimentaire. Le Parti n’a toujours pas mis en place de plan d’action pour venir en aide aux provinces du Centre et du Sud-Ouest, sous l’eau depuis le mois de juin dans certains cas. Outre les millions de personnes affectées – sans parler des dommages -, le problème vient du fait que ce sont les provinces productrices de grains qui ont été touchées. En ce sens, la production de grains décrite par les médias chinois comme « abondante » a de quoi laisser perplexe. Et que dire de la mise en scène du maïs au Liaoning – le Dongbei (Nord-Est) est la base de la production de soja – durant la visite de Xi au mois de juillet ? Si la production de grains allait bon train, il n’y serait pas allé. Cette mise en scène omet également la sécheresse qui touche à présent le Nord-Est, tout comme les essaims de locustes qui attaquent les récoltes du Sud-Ouest. La solution proposée par le pouvoir central ? Une campagne anti-gaspillage, qui colle parfaitement au storytelling de l’autosuffisance mise en avant par Xi, mais qui fera très peu pour résoudre une pénurie de grains.
De cette retraite de Beidaihe peuvent se déduire les thèmes qui seront à l’ordre du jour au plenum d’octobre : la situation de la Chine sur la scène internationale et sur le plan économique, le « cycle interne ». Ainsi, Pékin ne renonce en rien à ses prises de position antérieures, si ce n’est d’éviter de pousser les États-Unis davantage. Malgré tout, on ne sent toujours pas le vent tourner en matière de « division du travail » : Pékin demeure beaucoup plus concentré sur l’extérieur que sur l’intérieur, chose que Li Keqiang a plusieurs fois tenté de rectifier depuis le mois de mai, mais en vain.

Le regard tourné vers 2022

*Les rouges, « libéraux » ou non (comme Ren Zhiqiang), peuvent détester Xi, mais pas renier le Parti. Xi demeure proche de la frange plus gauchiste des « rouges ». Outre les pertes économiques à court terme, ce qui dérange le plus cette classe, c’est la perte de son « aura » politique auprès des dirigeants du Parti : Xi ne leur prête guère d’attention.
Alors que des rumeurs se propageaient sur le « retour » en force des membres de la « deuxième génération de rouges » pour mettre la pression sur Xi Jinping*, le sujet des tensions entre le président chinois et son Premier ministre fit une brève apparition, surtout après la retraite estivale. C’est que Li tente de se démarquer des visites aseptisées de Xi auprès des sinistrés des inondations en allant directement dans la boue à Chongqing afin de redonner espoir à la population locale. Ce qui donne très peu de face au potentiel successeur de Xi : Chen Min’er, l’actuel secrétaire du Parti à Chongqing.
*Par exemple, Li avait suggéré que la Loi sur la sécurité nationale à Hong Kong soit limitée au territoire de Hong Kong et non pas étendue à la population de la planète entière. **On pourrait également le voir remplacer Li Zhanshu à la tête de l’Assemblée nationale populaire.
Li Keqiang n’a pas été invité aux rencontres du 24 et 26 août. Néanmoins, il demeure apprécié des vétérans plus réformateurs – ou simplement moins à gauche – du Parti, et parfois aussi par les puissances étrangères. Car le Premier ministre demeure l’une des voix raisonnables au sein du Politburo*. Or, en bon représentant néo-maoïste, Xi Jinping ne peut soutenir ceux que les « ennemis du Parti » soutiennent. Ce qui nous amène à la question suivante : qu’arrivera-t-il à Li en 2022 ? Si l’on considère le soutien dont il bénéficie auprès de certains vétérans, comme l’ancien président Hu Jintao d’ailleurs, il pourrait faire comme Li Peng et demeurer membre du comité permanent après avoir terminé son mandat**. Mais, il pourrait aussi être « remercié », comme Li Yuanchao en 2017. À suivre.
En même temps, la situation de Li Keqiang jette une lumière sur l’avenir de Hu Chunhua. Alors que ce dernier s’affaire un peu partout en Chine depuis avril, la situation à Zhongnanghai, le siège du pouvoir central à Pékin, se resserre autour de Xi et de ses alliés. C’est pourtant le président qui a choisi Hu pour mettre en œuvre son agenda de lutte contre la pauvreté. Ainsi, Hu, qui est déjà vice-premier ministre, demeure le meilleur candidat pour 2022. Les rumeurs sur Li Qiang, le patron du Parti à Shanghai, semblent peu crédibles, vu son manque d’expérience.
*Une règle des « deux ans minimums » existe entre les promotions. Si un cadre est promu de manière verticale en 2021, il devra attendre 2023 pour la prochaine promotion, au minimum. Si Xi Jinping veut rapprocher des alliés du Politburo et du Comité Central, il doit le faire au plus vite.
Lors de la retraite de Beidaihe, Xi a dû prendre des décisions importantes pour le déroulement du XXème Congrès du Parti en 2022. Par exemple, lors de la transition, il demeure peu probable qu’il conserve la « trinité » du pouvoir central : secrétaire général du Parti, président de la République et président de la Commission militaire centrale. Et comme personne n’est en mesure d’y faire quoi que ce soit, il est probable qu’il en conserve une et en donne deux à ses alliés proches. Cela dit, le tout ne changerait rien à la structure du pouvoir, largement occupée par les alliés de Xi qui sont le plus souvent à « gauche » – ce qui explique le grand virage effectué depuis 2013. Cette année est aussi cruciale pour les promotions au Comité Central de 2022. Xi Jinping doit préparer tout de suite ses pions pour qu’ils soient en position d’être promus en 2022*.
Enfin, Beidaihe ne nous apprend rien de vraiment nouveau sur la situation actuelle : le bras de fer avec les Américains va se poursuivre pendant encore un moment ; aucun signe d’assouplissement à Hong Kong, et l’autosuffisance alimentaire demeure le mot d’ordre. Même le plan « Made in China 2025 » demeure dans les discours, tout comme la réalisation de la « société de moyenne aisance » d’ici la fin de 2020. Le Parti, bon gré mal gré, continue d’avancer vers la gauche, mouvement parfois qualifié du « bond en avant de Xi » (习跃进, Xi yuejin), au son de slogans de plus en plus rouges.
Par Alex Payette

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.