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Chine : le "jusqu'au-boutisme" de Xi Jinping

Le président chinois Xi Jinping lors de la session annuelle de l'assemblée nationale populaire à Pékin le 28 mai 2020. (Source :The Blade)
Le président chinois Xi Jinping lors de la session annuelle de l'assemblée nationale populaire à Pékin le 28 mai 2020. (Source :The Blade)
La fin de la double session parlementaire le 28 mai en a laissé plus d’un sur sa faim. Pas de plan de relance économique ni de plan de réforme du système de santé, mais une loi sur la sécurité nationale à Hong Kong et un code civil. Or sans une réforme globale du système judiciaire, un code civil n’est que peu utile, même si c’est un pas dans la bonne direction. La loi sur la sécurité nationale a littéralement court-circuité l’ensemble du travail parlementaire, en plus des discussions portant sur la gestion de la pandémie. Vu les conséquences immédiates de cette loi sur les relations sino-américaines, sans parler de leurs conséquences économiques pour la Chine et Hong Kong au cours des prochains mois, c’est à se demander si le jeu en valait la chandelle pour Pékin. Car la Chine se retrouve à présent de plus en plus isolée sur la scène internationale. Si bien que certains parlent de « nouvelle guerre froide ».
Le gouvernement chinois peut-il revenir sur ce projet de loi ou bien mettre de l’eau dans son vin ? Probablement pas. Alors que de plus en plus de mesures « contre la Chine » se mettent en place aux États-Unis, dont plusieurs touchent les étudiants chinois ou les Instituts Confucius, Pékin parle d’autosuffisance mais pas de coopération, de sécurité mais pas d’ouverture. Ce « jusqu’au-boutisme » est palpable depuis un moment du côté chinois – surtout avec la « diplomatie guerrière » qui ne cesse de pousser les gouvernements occidentaux à bout. Cela ne ressemble pas aux deux précédentes générations de dirigeants du Parti. Et pour cause, la Chine de Xi Jinping s’est depuis le début orientée vers la gauche : l’accent est mis sur le dirigisme, le secteur public, l’État ou l’idéologie, au détriment des réformes léguées par ses prédécesseurs.
*Ce qui semble prouvé par l’absence d’objectif de croissance pour 2020 – la situation est probablement plus grave qu’elle ne semble.
Depuis 2017, il ne s’agit plus d’un simple « détour », mais bien d’un « virage » vers la gauche. Un virage qui a déjà coûté cher à la Chine sur le plan économique lors de la guerre commerciale. Aujourd’hui, l’économie du pays a dû mal à se remettre d’une pandémie* qui affecte encore beaucoup la région du Nord-Est, tandis que la Chine se retrouve de plus en plus isolée sur la scène internationale. Qu’est-ce qui peut encore motiver Pékin à passer à l’offensive ? Le jeu en valait-il vraiment la chandelle ?

Un Parti, plusieurs possibilités

Comment comprendre ce virage à gauche, cette offensive sur la loi de sécurité nationale à Hong Kong ? Plusieurs explications, la première étant bien entendu celle des tensions à l’intérieur du Parti. Le vice-premier ministre Han Zheng, qui est à la tête du groupe dirigeant sur les affaires de Hong Kong et Macao, serait-il à la source de cette orientation ? Il n’est pas interdit de le penser. Membre de la « bande de Shanghai », liée aux réseaux de l’ex-président Jiang Zemin, il a déjà perdu beaucoup d’alliés depuis 2013. Cela fait un moment déjà qu’il semble tenter de déstabiliser Xi Jinping pour l’obliger au compromis avec les autres forces en présence. Cependant, si le coup est mal calculé et que les conséquences économiques sont trop sévères, c’est tout le Parti qui pourrait avoir des problèmes. C’est pourquoi cette explication est à prendre avec des pincettes.
Deuxième explication possible : la version officielle selon laquelle cette loi est une bonne idée. Hong Kong n’a pas de législation portant sur la sécurité nationale et devrait en avoir une depuis 1997. Surtout, cette loi n’est pas la même que celle portant sur l’extradition. Cette dernière n’ayant pas fonctionné, le nouveau texte devrait faire l’affaire. Cette explication suppose, et avec raison, qu’une partie du pouvoir central est légèrement déconnectée de la population chinoise et hongkongaise. Dans ce sens, plus le temps passe, plus le Parti sera enclin à prendre des décisions imprévisibles qui suivent une logique difficile à saisir.
*Même s’il faudrait l’élargir à 1959.
Troisième explication : il faut tenir compte des différentes générations de dirigeants chinois et de leurs bagages politiques respectifs. Née entre 1950 et 1955 pour l’essentiel, la 5e génération* a vécu de manière active la Révolution culturelle. Elle a appris la « realpolitik » sur le terrain en « faisant la révolution ». Marquée par l’avènement des Gardes rouges, comme le soulignait Qian Liqun (钱理群), professeur retraité de littérature de l’université de Pékin, elle partage des traits caractéristiques comme l’ambition et la détermination, à tout prix. Selon Qian, l’un des traits communs à cette génération est aussi son caractère excessif, voire même déraisonnable, et son penchant pour l’usage de la violence ou les démonstrations de force. Une attitude jusqu’au-boutiste, peu encline au compromis.
Pour cette génération, ainsi que pour les franges plus radicales du Parti, le principe « un pays, deux systèmes » représente en fait une époque durant laquelle la Chine était faible et devait faire des compromis avec les puissances étrangères. Dans cette optique, il fait partie du « siècle des humiliations », tout comme l’existence même de Taïwan. La Chine, selon eux, est à présent plus puissante et n’a donc plus besoin de se plier à ce principe. Eux, qui ont attendu patiemment depuis 2012, voudraient désormais effacer cette page d’humiliation. Cela expliquerait que dans son discours devant l’Assemblée nationale populaire, Li Keqiang n’ait fait aucune mention du principe « un pays, deux systèmes », ni même de la réunification « pacifique » avec Taïwan, thème pourtant habituel. Cette attitude générale pourrait aussi expliquer pourquoi le pouvoir central ne peut pas faire de concessions sur le projet de loi, tient mordicus à son « Made in China 2025 » et pourquoi les « prouesses politiques » sont si importantes sous le régime actuel.
*Xi avait déjà annoncé au Parti en 2019 que celui-ci devrait être prêt à faire face aux « luttes politiques » des prochaines années.
Ce scénario du « jusqu’au-boutisme » mêlé à une nécessité de donner une loi sécuritaire à Hong Kong semble le plus probable. Il suggère une continuité de cette attitude cavalière avec d’autres « démonstrations de force » sur la scène internationale fondées sur un sentiment de fierté nationale, parfois peut-être un peu mal placée. Cela implique aussi que la « lutte politique », dont Xi Jinping parle d’ailleurs depuis l’an dernier*, continuera de marquer les discours du Parti. Dans cette optique, les relations entre la Chine et les États-Unis risquent de demeurer tendues pour encore un moment tout simplement parce que cette mentalité dicte de passer à l’offensive même au pied du mur.

La sécurité politique et l’autosuffisance

Il existe d’autres explications plus répandues au comportement du gouvernement chinois : Pékin aurait simplement perdu patience avec Hong Kong ou encore cette loi ne serait qu’un écran de fumée permettant au pouvoir central de ne pas aborder la problématique de la pandémie. Cependant, il faut revenir sur la question de la sécurité politique – le slogan des « deux assemblées » en 2019. Le Parti semble en avoir une définition très spécifique, ancrée dans les « gains politiques ». Cependant, le PCC paraît oublier ce dont il a vraiment besoin pour survivre : les réformes économiques et le développement. Toute cette énergie mise sur Hong Kong depuis 2019 – sans parler des conséquences encore inconnues de la loi sur la sécurité nationale – est peu susceptible de porter ses fruits. Tout dépend bien sûr de l’objectif poursuivi. Pour l’instant, tous ces efforts isolent la Chine sans être économiquement rentable.
*Réorienter le modèle économique sur la consommation domestique au lieu de dépendre des exportations. **Plus une tentative de démonstration de force qu’une vraie menace.
Durant les derniers jours de la session parlementaire, Xi Jinping a appelé le Parti à se préparer à être « autosuffisant » sur le plan économique*. Ce discours, quoiqu’environ 20 ans en retard, laisse penser que le pouvoir central préfère changer de cap plutôt que de se réorienter vers la coopération internationale. Xi a par ailleurs appelé l’Armée populaire de libération (APL) à « renforcer les préparatifs en vue de luttes militaires potentielles »**, ce qui fait encore écho aux discours de l’an dernier. Tous ces replis, malgré certaines ouvertures sur le plan économique qui se poursuivent depuis 2019, ramènent à la question du contexte. Alors que la direction du Parti ne semble plus se préoccuper des tensions externes ni de l’opinion des pays étrangers sur la Chine, cette nouvelle loi à Hong Kong pourrait servir de test pour observer les réactions de la scène internationale, en particulier les pays les plus prompts à réagir.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.