Politique

Chine : le grand "virage à gauche"

Le président chinois Xi Jinping à l'ouverture de la 3e session de la 13e Assemblée nationale populaire au Grand Hall du Peuple à Pékin, le 22 mai 2020. (Source : Chinadaily)
Le président chinois Xi Jinping à l'ouverture de la 3e session de la 13e Assemblée nationale populaire au Grand Hall du Peuple à Pékin, le 22 mai 2020. (Source : Chinadaily)
Les attentes étaient très fortes à l’ouverture des « deux assemblées » à Pékin vu les circonstances et l’atmosphère internationale pour le moins tendus. Mais les discours importants sur la pandémie et le ralentissement économique ce jeudi 21 et vendredi 22 mai ont laissé sur leur faim les observateurs internationaux. Dans le cas de Hong Kong et Taïwan, la tonalité fut différente. Les commentaires d’ouverture signalent un changement majeur du principe « un pays, deux systèmes », voire même le début du « un pays, un système ».

La remise en question des « deux systèmes » ?

L’allocution de Wang Yang, président de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) ce 21 mai en a étonné plus d’un. Alors que Wang a longuement insisté sur la responsabilité des dirigeants hongkongais en matière d’ordre, de loyauté et de patriotisme, il n’a pas mentionné le statut spécial de la région administrative. La discussion sur Hong Kong est même montée d’un cran à l’annonce du projet de loi sur la sécurité nationale mis à l’ordre du jour le vendredi 22, discuté durant la semaine suivante et passé au vote d’ici le 28 mai.
*Nous ne préciserons pas plus sur ce point ici, mais il faut tout de même se demander à qui bénéficie vraiment cette loi. En premier lieu, au système des affaires de Hong Kong dirigé par Han Zheng qui verra ses champs de compétences ainsi que sa capacité à agir à Hong Kong s’étendre. **À ce titre, le maire de Kaohsiung, Han Kuo-yu (KMT) pourrait perdre son siège aux élections du 6 juin prochain.
Les détails du projet de loi ne sont pas ou peu connus, il faudra attendre le 28 mai. À première vue, il s’agit d’une version unilatérale de l’article 23 déjà prévue dans la Loi fondamentale, la mini-constitution de Hong Kong. Pour l’essentiel, ce projet listera les crimes de « lèse-majesté » à Hong Kong. Il permettra également à Pékin de mettre en place officiellement des branches de son appareil de sécurité sur le territoire Hongkongais – branches qui de toute façon existaient déjà. Et même si Han Zheng a mentionné que le texte ne concerne que certains petits groupes*, la pilule ne passe pas dans l’ancienne colonie britannique. En fait, ce projet aura et a déjà des effets négatifs sur la région administrative spéciale. Les cours boursiers sont à la baisse, tandis que les manifestants sont plus que jamais déterminés à « reprendre les armes » et tenir tête à Pékin. Par ailleurs, Taïwan a bien reçu le message. On ne parle plus de réunification « pacifique », mais simplement de réunification. Pour cette raison, le nouveau projet de loi aide objectivement la cause du parti démocfrate-progressiste au pouvoir et de a présidente Tsai Ing-wen fraîchement réélue, alors qu’il jette aux oubliettes le Kuomintang, le parti nationaliste**. D’autant plus qu’au moment où Taïwan jouit d’une forte sympathie au sein de la communauté internationale, cette pression redoublée sur Hong Kong pourrait aider la cause de Tsai qui tente, depuis le début de la guerre commerciale, de rendre l’île plus visible un peu partout. Est-ce alors la fin de Hong Kong, comme l’affirment certains ? Il est encore trop tôt pour se prononcer, mais à l’évidence, Hong Kong n’est pas sorti d’affaire.
*Sans parler des résolutions du Sénat américain portant sur Hong Kong et même sur la situation des Ouïghours au Xinjiang depuis 2019. **Pompeo a d’ailleurs dit que le statut spécial de Hong Kong serait réévalué en fonction de son degré d’autonomie vis-à-vis de la Chine continentale.
Comment expliquer la stratégie du Parti communiste, déjà critiqué pour sa diplomatie guerrière et en butte aux enquêtes internationales demandées sur l’origine de la pandémie* ? Pourquoi revenir sur les commentaires de Xi Jinping fin 2019, selon lesquels, entre autres, Hong Kong devait résoudre ses problèmes et qu’il fallait respecter la Loi fondamentale ? C’est peut-être une question de contexte : le capital de sympathie de la Chine sur la scène internationale est aujourd’hui au plus bas sans doute depuis l’arrivée de Xi au pouvoir, alors qu’est-ce qu’un projet de loi y changerait ? C’est que cette loi répond aussi directement aux discours étrangers sur la situation à Hong Kong. Elle sera lourde de conséquences sur l’économie, mais aussi sur la relation avec les États-Unis – qui ont d’ailleurs cette loi dans le collimateur**. Par ailleurs, selon plusieurs observateurs, Pékin pourrait retirer ce projet avant la clôture de la double session parlementaire afin d’éviter une bévue. Mais ce serait en quelque « prouver » une ingérence dans les affaires intérieures de la Chine, une option inacceptable pour le Parti.

Des mots sur la santé et sur la propriété privée

Cela fait plus d’une quinzaine d’années que les observateurs étrangers attendaient une réforme du secteur de la santé pour moderniser les processus d’alarme et la gestion des crises. Mais ils sont restés sur leur faim : le rapport annuel des travaux gouvernementaux présenté par le Premier ministre Li Keqiang ne comporte que des grandes lignes et des aspirations. On y parle d’objectifs, de pouvoir construire un système de santé plus robuste ou de mettre en place des canaux de communication, mais sans plus. Le discours sur la « victoire » sur le coronavirus transparaît allègrement dans la section 8 du rapport. Cependant, le rapport demeure très vague sur la réalisation de ces objectifs, point sur lequel la communauté internationale voudrait entendre la Chine.
Le code civil suscite des interrogations similaires. Il s’agit d’inscrire noir sur blanc la distinction entre propriété publique et privée, d’améliorer la codification des lois contractuelles (un minuscule « virage à droite ») alors que le système judiciaire reste entre les mains du Parti. Mais comment rendre ce code effectif ? Bonne question. Le projet se veut une façon – maladroite – de rassurer les investisseurs et les entreprises privées en Chine qui craignent en permanence l’arbitraire de l’État chinois. Cependant, cet arbitraire ne change pas dans la justice criminelle : l’État peut encore saisir les avoirs d’une compagnie. Et comme le système de l’inspection est contrôlé par le Parti, les types d’accusations demeurent aussi arbitraires.
Ces mesures seront-elles suffisantes pour séduire les investisseurs étrangers ? Le Parti se portera-t-il garant de ses lois et des institutions – comme l’accord de rétrocession de Hong Kong en 1997 et son principe « un pays, deux systèmes » par exemple ? Et bien sûr, le Parti sera-t-il en mesure de faire évoluer sa « gouvernance par le droit » (Rule by law) vers une version amendée de ce nous appelons « l’état de droit » (Rule of Law) ? Trois questions sans réponse, pour l’instant.

Virage à gauche

Depuis le début du second mandat de Xi Jinping en 2017, Pékin a effectué un « virage à gauche » important en matière de politique interieure. « Gauche » dans le sens d’une plus grande centralisation étatique, du retour de l’idéologie et d’un dirigisme plus affirmé. En criant victoire sur la pandémie, alors que le nord-est de la Chine est en quarantaine, le Parti semble s’adresser uniquement à la population chinoise. Encore une fois, les observateurs s’attendaient à davantage face à la pandémie et au ralentissement économique. Mais le Parti a campé sur ses positions.
En réalité, ce virage à gauche a refermé le PCC sur lui-même et l’a également déconnecté un peu plus de sa base qui a des préoccupations pragmatiques journalières et des doléances hors du champ de l’idéologie. La population chinoise attendait et attend encore de vraies mesures pour redémarrer l’économie, des mesures qui ne sont pas nécessairement associées à des projets d’infrastructures publiques. Or, les discours prononcés le 21 et le 22 mai offrent certes des concessions ici et là (réforme potentielle du système de santé ou code civil), mais ils continuent de mettre l’accent sur la mise en scène idéologique. C’est le résultat des promotions politiques de 2017, année durant laquelle les idéologues ont remplacé les réformateurs au sommet du Parti-État.
*Avec les nouveaux foyers dans le nord-est de la Chine menant à l’isolement de plus de 100 millions de personnes.
Cependant, ces promotions et les exercices militaires qui ont lieu dans le port de Tangshan depuis le 14 mai dépeignent une réalité bien différente des discours de victoire entendus les 21 et 22 mai. Les arrestations de Sun Lijun et de Wang Chunning, commandant de la garnison de Pékin, et le retour du contrôle de la police militaire sous le commandement de Xi Jinping en qualité de président de la Commission militaire centrale à la fin du mois d’avril, sont autant de signes de très vives tensions au sein du Parti : la victoire contre les « mécontents » de la politique de Xi – et contre la pandémie d’ailleurs* – est encore loin. Cette victoire ne ferait-elle d’ailleurs pas partie du « rêve chinois » ?
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.