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L’Union Européenne adopte une plus grande fermeté face à la Chine

La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel après le sommet Chine-UE en visioconférence avec le président chinois Xi Jinping et son Premier ministre Li Keqiang, le 22 juin 2020. (Source : CGTN)
La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel après le sommet Chine-UE en visioconférence avec le président chinois Xi Jinping et son Premier ministre Li Keqiang, le 22 juin 2020. (Source : CGTN)
Jusque-là plutôt timorée face à la Chine, l’Union européenne a adopté cette semaine un ton de plus grande fermeté qui illustre une volonté de s’affirmer et de prendre désormais toute sa place sa place dans le jeu triangulaire entre la Chine, les États-Unis et l’Europe.
S’adressant au président chinois Xi Jinping lors du 22ème sommet Chine-UE en vidéo-conférence ce lundi 22 juin, la présidente de la Commission européenne a explicitement souligné que le lien entre la Chine et l’Union n’était « pas facile ». Ursula von der Leyen a reproché au régime chinois de ne pas avoir tenu ses promesses en matière de protection des investissements européens en Chine, de respect des droits de l’homme et de ses engagements en matière de changement climatique.
« La relation entre l’Union européenne et la Chine est à la fois la plus importante sur le plan stratégique et la plus difficile que nous ayons », a-t-elle dit, condamnant au passage la campagne chinoise de désinformation par l’intermédiaire de « cyberattaques sur des systèmes informatiques et des hôpitaux ». « Nous connaissons l’origine de ces attaques, a-t-elle ajouté. Nous ne pouvons pas les tolérer ». Ursula von der Leyen a par ailleurs relevé une situation qui « se détériore » pour les Ouïghours au Xinjiang et pour la population au Tibet.
Même fermeté s’agissant de Hong Kong, un sujet politiquement ultra-sensible à propos duquel elle a souligné « les conséquences très négatives » du projet de Pékin d’imposer une nouvelle loi sur la sécurité nationale à l’ancienne colonie britannique. La présidente de la Commission a encore insisté sur la nécessité de parvenir à un traité sino-européen sur les investissements qui doit être conclu avant la fin de cette année, une échéance qui semble s’éloigner. « Nous avons besoin d’avancer sur cet engagement sans délai, a-t-elle insisté. Nous avons besoin d’une plus grande ambition côté chinois. »

« Pas les mêmes valeurs »

Aucune de ces remarques n’est apparue dans le compte-rendu des organes de presse officiels chinois qui se sont contentés de faire état des propos de Xi Jinping. Ce dernier a clairement minimisé les approches divergentes entre Pékin et Bruxelles. « La Chine veut la paix et non pas l’hégémonie », elle représente « un partenaire et non pas un adversaire » pour l’Union européenne et continuera d’approfondir ses réformes et son ouverture, offrant ainsi à l’Europe de nouvelles opportunités pour la coopération et le développement. « Quelques soient les changements internationaux, la Chine prendra le parti du multilatéralisme et adhérera au concept de la gouvernance globale », a assuré Xi Jinping.
S’adressant au Premier ministre chinois Li Keqiang, le président du Conseil européen, Charles Michel, a néanmoins enfoncé le clou : « Nous devons reconnaître que nous ne partageons pas les mêmes valeurs, les mêmes systèmes politiques et la même approche du multilatéralisme. »
Signe des temps, le sommet Chine-EU n’a pas été suivi d’une conférence de presse et d’un communiqué commun, à la différence du dernier sommet tenu en mars 2019. Pour compléter ce tableau, l’UE a tranché avec sa prudence coutumière et demandé vendredi 19 juin la « libération immédiate » de l’avocat défenseur des droits de l’homme Yu Wensheng, condamné à quatre ans de prison le 17 juin pour « incitation à la subversion du pouvoir d’État ».

Fin de la « naïveté »

Ce ton nouveau tranche singulièrement avec la politique accommodante suivie jusqu’alors par la diplomatie européenne à l’égard de la Chine, Bruxelles préférant traditionnellement le compromis à la confrontation. Cette nouvelle approche est une mauvaise nouvelle pour le président chinois. Xi Jinping comptait sur ce rendez-vous crucial pour obtenir de ses interlocuteurs européens un appui diplomatique dans l’affrontement ouvert entre la Chine et les États-Unis, nettement accentué avec la pandémie de la Covid-19.
Clairement, sans vouloir prendre fait et cause pour les États-Unis avec qui elle entend garder ses distances, l’Union européenne annonce ostensiblement son intention de prendre désormais toute sa place dans le grand jeu planétaire entre Pékin, Washington et Bruxelles.
Ce sommet intervient dans le sillage de la présentation, mercredi 17 juin, par la vice-présidente de la Commission européenne, Margrethe Vestager, et le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, d’un livre blanc censé mettre fin à la « naïveté » de l’Europe face à la Chine. Ce qui devrait déboucher, fin 2020, sur une protection renforcée du marché unique contre les appétits d’entreprises étrangères subventionnées par leurs États d’origine.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi), puis début 2023 "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste" (L'Aube).