Culture
Photographes d'Asie

Portfolio : les jeux à Hong Kong ou la vie en contre-société

Jeu de dames chinoises pendant la pause lors du tournage d'un film à Hong Kong - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)
Jeu de dames chinoises pendant la pause lors du tournage d'un film à Hong Kong - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)
Suite de notre série photographique dans l’univers ludique de l’Asie, avec aujourd’hui les jeux à Hong Kong, des paris sur les chevaux aux « dames chinoises ». Un portfolio réalisé entre 1997 et 2000.
Double-cliquez sur le diaporama pour les visualiser en plein écran.
Échecs chinois à Sham Shui Po (Hong Kong) - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)
Échecs chinois à Sham Shui Po (Hong Kong) - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)
Jusqu’à l’arrivée d’Internet et des paris sur le football, le Jockey Club jouissait du monopole des jeux d’argent à Hong Kong. Fondé au XIXème siècle pour assurer un divertissement aux Britanniques, moraliser les paris et remplir les caisses de la colonie en vidant celles de la population chinoise, le Hong Kong Jockey Club a perdu lors de la rétrocession à la Chine en 1997 son titre de « royal ». Il reste cependant le plus gros contribuable de la ville et le premier encaisseur de paris sur les chevaux au monde.
Malgré la volonté de policer le monde des paris et de le rendre respectable, le tiercé a sa légende noire. Par exemple, la disparition toujours inexpliquée de deux journalistes australiens du quotidien South China Morning Post dans les années 1980. Leur voiture a été retrouvée, portes ouvertes et vide, sur un pont de Macao. Selon une source, ces deux reporters étaient en charge des courses, dans les deux sens du mot : celles de chevaux et celle de collecter en sous-main les paris des jockeys qui, par leur fonction, étaient interdits de mises.
Le jeu le plus familier reste le mahjong. Le bruit de galets que font les dominos remués sur les tables est omniprésent les dimanches et jours fériés. C’est une détente familiale ou bien entre copains. Les enjeux sont autorisés légalement à condition de rester minimes.
Les squares et les cours des temples hébergent plutôt les échecs chinois. S’est ainsi constituée une contre-société composée de retraités, souvent sans famille, qui trouvent ainsi un stimulant intellectuel et un peu de chaleur humaine.
L’art de jouer est si présent qu’il se glisse dans les tournages de cinéma. Entre deux prises de vue, ces jeunes actrices tuent le temps aux « dames chinoises » qui, comme leur nom ne l’indique pas, n’ont rien de chinois. Elles ont été inventées par un Américain au XIXème siècle.
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Lecture des résultats des courses à Hong Kong - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

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Les courses à Sha Tin (Hong Kong) - par Bruno Birolli (Copyright : Bruno Birolli)

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Les courses à Sha Tin (Hong Kong) - par Bruno Birolli (Copyright : Bruno Birolli)

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Mahjong à Hong Kong - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

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Échecs chinois à Nathan Road (Hong Kong) - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

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Jeu de cartes à Nathan Road (Hong Kong) - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

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Échecs chinois à Nathan Road (Hong Kong) - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

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Échecs chinois à Nathan Road (Hong Kong) - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

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Jeu de cartes à Sham Shui (Hong Kong) - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

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Jeu de dames chinoises pendant la pause lors du tournage d'un film à Hong Kong - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

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Jeu de dames chinoises pendant la pause lors du tournage d'un film à Hong Kong - par Bruno Birolli. (Copyright : Bruno Birolli)

 
 

Jeux asiatiques

De 1998 à 2002, j’ai profité de mes reportages à travers l’Asie pour trouver le temps de photographier des joueurs. Jouer est une des grandes activités humaines au même titre que la guerre, l’amour, le travail depuis la nuit des temps. Et le jeu est bien plus présent en Asie qu’en Occident. Dès le XIXème siècle, les voyageurs européens constataient la passion du jeu des Asiatiques et ils y voyaient la marque d’un appât du gain insatiable qu’ils réprouvaient comme un vice atavique. Cette condamnation morale absolvait les empires coloniaux de la responsabilité d’avoir construit des champs de courses, des canidromes, d’avoir fondé des loteries ou d’avoir enfermé le fantan – un vieux jeu de hasard – dans les casinos, afin de vider les poches des populations indigènes et financer la « mise en valeur » de ces territoires. L’opium remplissait la même fonction.

En vérité, les enjeux sont le plus souvent symboliques, quelques euros juste de quoi donner un peu de sel aux parties. En toutes occasions, on joue. Lors des fêtes du Nouvel An chinois, le mahjong réunit parents éloignés ou voisins de palier. Pendant les cérémonies hindouistes à Bali, la fonction religieuse des jeux de hasard est ouvertement affirmée. Le jeu donne une communauté aux exclus. Les « cages men » de Hong Kong – ces pauvres sans famille qui vivent dans des cages grillagées de la taille d’une paillasse – se retrouvent sur le parvis des temples. Une fois libérés des camps où ils ont été condamnés après 1975 et marginalisés ensuite pour le restant de leurs vies par les vainqueurs du Nord, les anciens soldats du Sud Vietnam constituent une sorte de contre-société souterraine autour des combats de coq clandestins.

Suivre le déroulement d’une partie est certes divertissant. Comprendre les règles de cette multitude de jeux inconnus hors de ces pays n’en est pas moins stimulant. Mais ma fascination va aux joueurs. Les visages rendent compte des différences ethniques ; les habits sont un indicateur de la condition sociale de chacun ; les lieux donnent un aperçu de l’habitat ; les situations suggèrent des modes de vie et le niveau de développement du pays. Mes images relèvent d’une préoccupation sociologique : saisir des instantanés des sociétés asiatiques. Ce qui confère aux joueurs asiatiques une qualité : être de bien meilleurs perdants que les Occidentaux, en prenant leur échec d’un cœur léger, avec fair-play.

B.B.

A voir, les autres portfolios de cette série :

– Portfolio : les jeux en Corée du Sud, du Hwatu au poker

– Portfolio : les jeux dans l’archipel malais, pour le frisson ou pour sonder l’au-delà

– Portfolio : les jeux au Vietnam, dans l’univers clandestin des combats de coqs

– Portfolio : les jeux au Cambodge, autour d’une partie d’Ouk

– Portfolio : les jeux au Japon, du go au pachinko

– Portfolio : échecs, go ou combats de coq, ce que les jeux disent de l’Asie

– Portfolio : en voie de disparition, les jeux au marché de nuit à Taïwan

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A propos de l'auteur
Longtemps journaliste en Asie pour le Nouvel Observateur, Bruno Birolli a vécu à Tokyo (en 1982 puis de 1987 à 1992), à Hong Kong (1992-2000), à Bangkok (2000-2004) et à Pékin (2004-2009). Peu après son retour à Paris, il a troqué ses habits de journaliste pour celui d’auteur. Il a publié des livres historiques ("Ishiwara : l’homme qui déclencha la guerre", Armand Colin, 2012 ; "Port Arthur 8 février 1904 – 5 janvier 1905", Economica, 2015) avant de se lancer dans le roman. "Le Music-Hall des espions", publié en 2017 chez Tohu Bohu, est le premier d’une série sur Shanghai, suivi des "Terres du Mal" (Tohu Bohu, 2019). La seconde édition de son livre "Ishiwara, l’homme qui déclencha la guerre" est disponible en impression à la commande sur tous les sites Amazon dans le monde.