Culture
Photographes d'Asie

Portfolio : les jeux au Japon, du go au pachinko

Club de go au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)
Club de go au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)
Suite de notre série photographique dans l’univers ludique de l’Asie, avec aujourd’hui les jeux au Japon, du go au pachinko.
Double-cliquez sur les diaporamas pour les visualiser en plein écran.
Au Japon, le go d’origine chinoise a trouvé ses lettres de noblesse. C’est le jeu du silence et du dépouillement. Les règles sont simplissimes – il suffit de poser des pierres sur un plateau. Mais cette facilité est trompeuse. Le go requière une puissante réflexion stratégique. Les grands journaux de l’archipel le célèbrent en publiant des problèmes de go. Le championnat annuel mettant aux prises cinquante maitres est retransmis par la NHK, la télévision publique.
Adepte des jeux asiatiques qu’il a adopté sans sourciller, le Japon est réfractaire aux jeux occidentaux. Les cartes avec les as ou les rois sont boudées et signe de cette indifférence : le Japon n’a jamais eu de grand maître des échecs.
Ce rejet a une exception : le pachinko dont les salles encerclent des gares et sont omniprésentes à travers l’archipel. Ces espèces de machines à sou, dont la pratique est exclusivement japonaise, ont une lointaine origine européenne. Le plaisir de s’enfermer pendant des heures dans une salle à regarder s’écouler des cascades de billes d’acier au milieu un brouhaha à rendre sourd est difficilement compréhensible pour un étranger. Certains joueurs paresseux calent la manette qui propulse les billes avec le coin déchiré d’un paquet de cigarette et contemplent, captivés, le ruissellement tonitruant pendant des heures.
Le pachinko a hypnotisé Roland Barthes lors de sa visite à Tokyo. Cependant, ses commentaires dans L’empire des signes ratent l’essentiel, ce qui les rend caduques : le pachinko n’a rien de gratuit. Les gains d’argent sont illégaux mais à proximité des salles de pachinko, il y a toujours un petit guichet dissimulé où les plaques en métal qui servent de jetons sont changées en monnaie sonnante et trébuchante. Tout le monde le sait mais les apparences sont sauves.
Au même tire que les lémuriens de Madagascar, le pachinko est une curieuse évolution produite par l’isolement insulaire. Son lointain ancêtre est une invention française remontant au dix-huitième siècle et appelée « billard japonais » sans n’avoir aucun lien avec le Japon. Ce billard pose les principes fondateurs du pachinko : un ressort qui lance des billes d’acier dans un dédale de clous qui les dévient. Ce billard s’est électrifié et a enfanté le flipper aux États-Unis, lequel s’est marié après 1945 aux jeux de marché – lire notre précédent portfolio consacré à Taïwan, qui donne quelques exemples de cette tradition ludique.
Gens dont l’inclinaison à l’ordre confine à une religion de la discipline, les Japonais jouent rarement en public. Ils fréquentent des clubs où on entendrait une mouche voler. Cependant, ils se relâchent à l’occasion des hanami. Là, au cours de piques-niques sous les cerisiers en fleur, ils font prendre l’air à leurs tables de mahjong.
Club de go au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Club de go au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Club de go au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Club de go au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Club de go au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Club de go au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Émission de go sur la chaîne de télévision NHK au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Émission de go sur la chaîne de télévision NHK au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Émission de go sur la chaîne de télévision NHK au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Émission de go sur la chaîne de télévision NHK au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Mah-jong à Hanami au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Mahjong au cours d'un "hanami", pique-nique géant, dans le parc Ueno à Tokyo, au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Salle de Pachinko à Tokyo, au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Salle de pachinko à Tokyo, au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Salle de Pachinko à Tokyo, au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

Salle de pachinko à Tokyo, au Japon - avril 2000. (Copyright : Bruno Birolli)

 
 

Jeux asiatiques

De 1998 à 2002, j’ai profité de mes reportages à travers l’Asie pour trouver le temps de photographier des joueurs. Jouer est une des grandes activités humaines au même titre que la guerre, l’amour, le travail depuis la nuit des temps. Et le jeu est bien plus présent en Asie qu’en Occident. Dès le XIXème siècle, les voyageurs européens constataient la passion du jeu des Asiatiques et ils y voyaient la marque d’un appât du gain insatiable qu’ils réprouvaient comme un vice atavique. Cette condamnation morale absolvait les empires coloniaux de la responsabilité d’avoir construit des champs de courses, des canidromes, d’avoir fondé des loteries ou d’avoir enfermé le fantan – un vieux jeu de hasard – dans les casinos, afin de vider les poches des populations indigènes et financer la « mise en valeur » de ces territoires. L’opium remplissait la même fonction.

En vérité, les enjeux sont le plus souvent symboliques, quelques euros juste de quoi donner un peu de sel aux parties. En toutes occasions, on joue. Lors des fêtes du Nouvel An chinois, le mahjong réunit parents éloignés ou voisins de palier. Pendant les cérémonies hindouistes à Bali, la fonction religieuse des jeux de hasard est ouvertement affirmée. Le jeu donne une communauté aux exclus. Les « cages men » de Hong Kong – ces pauvres sans famille qui vivent dans des cages grillagées de la taille d’une paillasse – se retrouvent sur le parvis des temples. Une fois libérés des camps où ils ont été condamnés après 1975 et marginalisés ensuite pour le restant de leurs vies par les vainqueurs du Nord, les anciens soldats du Sud Vietnam constituent une sorte de contre-société souterraine autour des combats de coq clandestins.

Suivre le déroulement d’une partie est certes divertissant. Comprendre les règles de cette multitude de jeux inconnus hors de ces pays n’en est pas moins stimulant. Mais ma fascination va aux joueurs. Les visages rendent compte des différences ethniques ; les habits sont un indicateur de la condition sociale de chacun ; les lieux donnent un aperçu de l’habitat ; les situations suggèrent des modes de vie et le niveau de développement du pays. Mes images relèvent d’une préoccupation sociologique : saisir des instantanés des sociétés asiatiques. Ce qui confère aux joueurs asiatiques une qualité : être de bien meilleurs perdants que les Occidentaux, en prenant leur échec d’un cœur léger, avec fair-play.

B.B.

A voir, le autres portfolios de cette série :

– Portfolio : échecs, go ou combats de coq, ce que les jeux disent de l’Asie

– Portfolio : en voie de disparition, les jeux au marché de nuit à Taïwan

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A propos de l'auteur
Longtemps journaliste en Asie pour le Nouvel Observateur, Bruno Birolli a vécu à Tokyo (en 1982 puis de 1987 à 1992), à Hong Kong (1992-2000), à Bangkok (2000-2004) et à Pékin (2004-2009). Peu après son retour à Paris, il a troqué ses habits de journaliste pour celui d’auteur. Il a publié des livres historiques ("Ishiwara : l’homme qui déclencha la guerre", Armand Colin, 2012 ; "Port Arthur 8 février 1904 – 5 janvier 1905", Economica, 2015) avant de se lancer dans le roman. "Le Music-Hall des espions", publié en 2017 chez Tohu Bohu, est le premier d’une série sur Shanghai, suivi des "Terres du Mal" (Tohu Bohu, 2019). La seconde édition de son livre "Ishiwara, l’homme qui déclencha la guerre" est disponible en impression à la commande sur tous les sites Amazon dans le monde.