Politique
Expert - Politique chinoise

Chine : Chongqing ou l’éternelle purge

Chen Min'er, l'actuel chef du Parti à Chongqing, mène toujours les purges contre les réseaux locaux de ses prédécesseurs, Bo Xilai et Sun Zhengcai. (Source : Peace and Freedom)
Chen Min'er, l'actuel chef du Parti à Chongqing, mène toujours les purges contre les réseaux locaux de ses prédécesseurs, Bo Xilai et Sun Zhengcai. (Source : Peace and Freedom)
Xi Jinping n’est pas au bout de ses purges à Chongqing. Depuis au moins 2012, la municipalité spéciale est le théâtre fracassant des limogeages décisifs pour la domination politique de l’actuel numéro un chinois. La chute spectaculaire du patron local du Parti Bo Xilai a connu une réplique cinq ans plus tard, avec la déchéance de son successeur Sun Zhengcai. Xi Jinping a nommé à sa place l’un de ses plus proches alliés, Chen Min’er. Ce dernier s’attaque aux tréfonds des réseaux de Bo et Sun. La tache est immense.
La chute de Sun Zhengcai en juillet dernier annonçait en quelque sorte la fin de la relève pour la clique de Jiang Zemin, la « bande du Jiangsu ». Cependant, la grande majorité des « alliés » à Chongqing de l’ex-patron du Parti de la municipalité, avaient jusqu’à présent échappé au rouleau compresseur de la commission disciplinaire, contrairement aux proches de l’ancien baron local Bo Xilai, le rival déchu de Xi Jinping, ou de son bras droit Wang Lijun.
Seulement voilà, le 27 septembre dernier, Yang Ping (杨平), le directeur général adjoint du groupe d’investissement Yuelai, est mis en examen pour violations graves. Né en 1964 dans le Sichuan, Yang est l’un des associés de Wang Fuqing (王福清, né en 1956). ce dernier, ex-président de la division développement du même groupe Yuelai avait été inculpé le 12 avril dernier. Autre connexion de Yang : Wu Chaochao (吴超超, né en 1980), directrice du département de la gestion des coûts pour Yuelai, mise en examen le 5 juillet.
*Chen était l’un des acolytes de Wen Qiang (文强, 1955-2010), l’ex-directeur adjoint de la sécurité publique (2003-2008) et directeur du bureau de la justice (2008-2009) de Chongqing, exécuté sous Bo Xilai. Ensemble, ils avaient mis sur pied des lieux d’activités illicites dans la ville. Tous deux furent exécutés durant la campagne « chanter rouge, frapper le noir ». **Ils se sont connus lorsque Wang était secrétaire adjoint (2003-2010) et maire du district de Yuzhong (2007-2010), et Chen, représentant pour l’assemblée populaire du même district depuis 2006.
Le parcours de Wang Fuqing est édifiant. Il s’était retiré du groupe Yuelai en juillet 2017, soit juste avant la « disparition » de Sun Zhengcai. C’est que Wang avait aussi été mentionné en 2009 dans « l’affaire Chen Mingliang »* (陈明亮, 1957-2010), l’ex-président du groupe industriel Jiangzhou**. Cette affaire avait aussi impliqué Peng Changjian (彭长健), directeur adjoint de la sécurité publique de Chongqing (2005-2009), et Zhang Wei (张弢), ex-vice-président de la cour intermédiaire de Chongqing, mis en examen en 2011. Tous deux traqués par l’équipe de Bo Xilai. Quant à Wang Fuqing, il sera mis en examen le jour-même du procès de Sun Zhengcai à Tianjin.
*State-owned Assets Supervision and Administration Commission : la commission de la supervision et de l’administration des avoirs de l’État.
Par ailleurs, il faut savoir que Yuelai (directement sous la supervision de la SASAC de Chongqing*) est le groupe le plus important du moment dans le développement du nouveau district de Liangjiang (两江新区). Ce district fut créé en juin 2010 par Huang Qifan (黄奇帆, né en 1952), maire de Chongqing de 2010 à 2016. Le projet voulait rivaliser avec Pudong à Shanghai ou encore Binhai à Tianjin. Son ancien dirigeant, Wang Fuqing, en qualité de maire du district de Yuzhong (2007-2010), était un allié du tristement célèbre Mu Huaping (沐华平, né en 1965), ancien maire adjoint. Ce dernier a été mis en retrait du gouvernement en novembre 2017 après des allégations de fraudes et de liens avec Sun Zhengcai. Quelques mois plus tard, le 17 mai puis le 4 juin derniers, deux autres proches de Wang Fuqing était mis en examen : son secrétaire particulier (mishu) Luo De (罗德, né en 1962), également secrétaire général adjoint du gouvernement depuis juillet 2016, et Wu Dehua (吴德华, né en 1973, membre du comité permanent du district de Yubei depuis 2016.

« Frapper noir », encore et toujours ?

L’actuel secrétaire du Chongqing et « successeur » de Sun Zhengcai, Chen Min’er travaille encore d’arrache-pied pour éliminer les réseaux d’influence laissés derrière eux par Bo Xilai et même Sun Zhengcai. La chute du groupe Yuelai, qui commence en fait sous Bo, fait partie d’un ensemble plus large de mises en examen initiées par Chen Min’er :

• 10 septembre 2018 : Jian Xiaoyu (简小雨, né en 1967), commissaire politique de la sécurité publique de l’aéroport de Chongqing ;
• 15 août 2018 : Li Fengying (李凤英, né en 1962), directeur adjoint de l’assemblée populaire du district de Tongnan ;
• 14 août 2018 : Cai Pin (蔡聘, né en 1963), directeur du département politique du bureau de la sécurité publique ;
• 11 juillet 2018 : Yang Chunchang (杨春畅, né en 1966), procureur du parquet du district de Nan’an ;
• 11 juin 2018 : Tao Zhigang (陶志刚, né en 1959), directeur du groupe de la commission disciplinaire dans le bureau de la protection de l’environnement du Chongqing ;
• 18 mai 2018 : Hong Chengyi (洪承义, né en 1965), secrétaire adjoint du district de Wanzhou.

Cette litanie des inculpations à Chongqing n’est qu’un rappel de la corruption toujours rampante sous Chen Min’er, même s’il tente par tous les moyens d’en éradiquer la source. Sur ce terrain, la municipalité spéciale, comme frappée d’une « malédiction », ne cesse de faire parler d’elle depuis l’arrivée de Bo Xilai en 2007. L’administration de Xi Jinping devra redoubler d’efforts avant 2022 pour lui donner une meilleure réputation. La bataille de Chongqing, divisée maintenant en plusieurs escarmouches, s’oriente à présent vers les entreprises locales, mais aussi vers la nomenklatura de district et de sous-district. Ce qui rend la tache d’autant plus rude à Chen Min’er, le protégé de Xi, en place depuis moins de 2 ans.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.