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Birmanie : pour les deux ans du putsch, l'état d'urgence prolongé, les élections repoussées

Le général Min Aung Hlaing, chef de la junte birmane au pouvoir à Naypidaw. (Source : Todayonline)
Le général Min Aung Hlaing, chef de la junte birmane au pouvoir à Naypidaw. (Source : Todayonline)
L’aveu de faiblesse est criant. Deux ans après le putsch des militaires qui mit fin à une « parenthèse démocratique » de dix ans et au gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi, la junte menée par Min Aung Hlaing a décidé ce mercredi 1er février de prolonger de six mois l’état d’urgence. Le généralissime a bien dû le reconnaître : « L’État de la nation n’est pas encore revenu à la normale : plus d’un tiers des districts ne sont pas totalement sous contrôle militaire. » En cause, pointe le leader de la Tatmadaw, les opposants à la junte et un gouvernement en exil dominé par des anciens députés pro-démocratie qui cherchent à prendre le pouvoir « par le soulèvement et la violence ». Quid des élections promises pour le mois d’août ? Repoussées sine die. Le chef des putschistes a averti : les militaires resteront « les gardiens » du pays quel que soit le gouvernement.
Une grève silencieuse en réponse à la morgue du régime militaire. Ce mercredi, le gouvernement d’union nationale (National Unity Government, NUG) – gouvernement pro-démocratie parallèle – avait invité la population à demeurer à son domicile entre 10 h et 15 h, dans une version birmane des opérations « villes mortes ». C’est ainsi que la population birmane éprise de libertés, de démocratie et hostile à la junte, a exprimé au grand jour – et sans violence – son rejet de la chape de plomb imposée depuis deux ans et le dernier coup d’État militaire en date par les hommes en uniforme aux 57 millions de Birmans.
Bien sûr, cette énième démonstration – pacifique – de rejet de la loi des militaires n’ambitionnait pas de faire réfléchir et moins encore fléchir la junte du général Min Aung Hlaing. L’ancien chef des armées birmanes ne fait guère mystère de ses ambitions présidentielles à court terme. Mais par sa résonance, dans les grands centres urbains notamment, et la participation de millions de foyers à cet appel, cette grève silencieuse a mis une fois encore d’une manière visible les généraux face à l’opposition d’une majorité de leurs concitoyens. Non pas que ces officiers au regard supérieur et au mépris affiché pour la démocratie et les libertés se soucient particulièrement du sort de leurs voisins et cousins civils. Nullement.
*Invitant au lendemain du coup d’État les Birmans à résister et soutenir le NUG. **Fédéré derrière la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) – au pouvoir entre 2015 et 2020 -, le parti d’Aung San Suu Kyi, embastillée par la junte depuis deux ans et purgeant 33 ans de prison. ***Si certains ont rejoint dès 2015 une trame de pourparlers de paix avec l’armée, nombre d’entre eux s’opposent depuis des décennies depuis leur fief ethnique aux troupes régulières birmanes.
Ces hommes galonnés et leurs subalternes en treillis se soucient moins, en ce début 2023, de cette mobilisation citoyenne symbolique du 1er février, voire du toujours très suivi mouvement de désobéissance civile (MDC*) coordonné par le NUG**, que de l’impressionnante résistance armée qui leur est conjointement opposée, sur quasiment l’ensemble du territoire, par les groupes ethniques armés*** et les milices citoyennes locales pro-démocratie (People’s Defence Forces ou PDF). Ces deux dernières, en combinant leurs forces, moyens, expertise et matériels, leur infligent désormais à l’occasion des revers retentissants. De plus en plus régulièrement, dans les régions de Sagaing, Magwe, Bago ou encore dans les États Mon, Shan, Kachin et Karen, dernièrement.
*Environ 68 % de la population nationale. **Représentant respectivement 9, 7 et 4 % de la population totale birmane, les principales minorités ethniques sont les Shan, les Karen et les Arakanais.
Ventilés désormais sur la quasi-totalité de ce pays du Sud-Est asiatique aux proportions spatiales similaires à la France (territoire métropolitain et outre-mer), les PDF aux effectifs variables (de quelques unités à plusieurs centaines d’hommes et de femmes) mais à la détermination identique, seraient aujourd’hui plusieurs centaines, et œuvreraient de plus en plus étroitement aux côtés ou en soutien des groupes ethniques armés à l’expérience étirée sur des décennies et aux matériels plus performants. Début 2023, on estime à environ 40 % des 676 000 km² du pays le périmètre peu ou prou contrôlé par ces troupes citoyennes armées de leur courage et de leur foi en un futur politique débarrassé de l’ombre pesante de ces généraux (appartenant à la majorité ethnique bamar*). Les militaires font aussi peu de cas du sort des minorités – près d’un Birman sur trois** – que de la population civile bamar au sens large. D’autant plus si celle-ci soutient la cause démocratique et les libertés individuelles.

Gouvernement fantoche ?

*Car en parallèle protégé au Conseil de sécurité de l’ONU par le double paratonnerre diplomatique de la Chine et de la Russie, Min Aung Hlaing n’a guère hésité à s’afficher aux côtés de Vladimir Poutine par deux visites à Moscou à l’été 2022, malgré la guerre en Ukraine.
Contesté par la rue, malmené sur le terrain des combats – une double confrontation que n’avait pas vu venir avec ce niveau d’intensité et de résilience la direction de la junte -, critiqué par les démocraties occidentales et les institutions multilatérales (sans être le moins du monde ébranlé par cette gesticulation diplomatique essentiellement indolore*), le régime militaire veut au contraire durcir son emprise. Loin d’envisager à court terme un retrait de la scène politique ni de regagner les casernes, il se trouve à mille lieues de tendre la main à l’opposition démocratique pour entrevoir une sortie de crise ou un nouveau partage hybride du pouvoir entre civils et militaires.
*Auprès de fournisseurs d’armes et de systèmes d’armes peu regardant, russes et chinois notamment.
Au premier trimestre 2023, les généraux demeurent convaincus que sur la durée, la contestation et la résistance finiront par ployer – fut-ce dans le sang – sous la botte de l’armée (la Tatmadaw pour les Birmans), de ses nouveaux chars, obusiers, hélicoptères et avions d’attaque au sol récemment acquis*. Une victoire finale sur les forces composites de l’opposition selon eux réalisable sur le terrain mais également indispensable – notamment pour éviter une disgrâce brutale, sans retour, et de probables ondes de choc sur leur sécurité physique autant que sur leur patrimoine. Et ce, quoi qu’il en coûte à la nation, à ses forces vives, à sa jeunesse, à son économie déjà exsangue et à l’image extérieure d’un régime martial déjà sinistrée au dernier degré.
*Mentionnons ici l’incompréhension ou la désillusion profonde des Birmans à l’égard de l’Occident, notamment au regard du soutien matériel considérable apporté à la résistance ukrainienne, en comparaison de celui infinitésimal fourni aux démocrates birmans.
En face, la population, campée dans une posture de résistance tout aussi déterminée, ses hérauts démocratiques (le NUG et la LND), son bras armé (les groupes ethniques armés et les PDF) gagnant en confiance, en expérience, en autorité et en périmètre d’action, n’entend pas davantage cesser la lutte de sitôt. Moins encore de baisser les bras et laisser plus longtemps le champ libre à la gouvernance illégitime d’un régime militaire honni par la majorité des 57 millions de Birmans. Et ce, quoi qu’il en coûte, là aussi. Peu importe le prix à payer et la modicité du soutien et de l’assistance extérieure*.
*Instauré lors du coup d’État du 1er février 2021. **Vice-président de la République depuis mars 2016. Lors du coup d’état de février 2021, il est nommé président par intérim et transfère aussitôt le pouvoir à Min Aung Hlaing, commandant en chef de l’armée.
Ces derniers jours, du côté de Rangoun, de Mandalay ou de Naypyidaw, alors que les combats font rage avec leur lot quotidien de morts, de drames, de destructions et d’horreur et alors que la « légalité » du régime militaire d’urgence* vient théoriquement à expiration le 31 janvier prochain, il se murmurait jusque-là que le chef de la junte envisagait de remettre le pouvoir politique entre les mains d’un gouvernement fantoche civil éphémère, inféodé à l’armée, avec à sa tête le président par intérim U Myint Swe**.
*Si ces dernières sont finalement autorisées à participer à cette parodie d’élections si elle a lieu.
Un script savamment ourdi par la junte. Avant d’annoncer la prorogation de l’état d’urgence, le général Min Aung Hlaing souhaitait organiser des élections à l’été. Le vote devait avoir lieu selon des modalités et un code électoral amendé sur mesure favorisant grandement le parti pro-junte USDP et restreignant considérablement les chances des formations démocratiques*.
*Pour rappel, cette dernière réserve en dehors de toute élection un quart des sièges dans les enceintes parlementaires aux représentants de l’armée.
De fait, la Constitution de 2008 en vigueur (rédigée par des Constitutionnalistes sensibles à la prééminence de l’institution militaire*) dispose qu’un scrutin national doit être organisé dans les six mois suivant la fin de l’état d’urgence. D’ici là, demeurerait selon le scénario privilégié de la Tatmadaw au poste de chef des armées. Une fois le scrutin sur mesure organisé et le résultat comptable souhaité obtenu, le général Min Aung Hlaing devait ensuite briguer le poste de président de la République – en étant plébiscité par les parlementaires pro-junte de l’USDP et les officiers siégeant dans les assemblées.
*Date du 75ème anniversaire de l’indépendance.
Le scénario était par avance rejeté par une majorité de Birmans. Aujourd’hui, on ignore quand et si aura lieu cette élection en 2023. D’ici là, l’implacable régime militaire se moque bien du « qu’en dira-t-on » domestique et extérieur. Il continue de démontrer sa morgue et sa démesure. Rappelons que le 4 janvier dernier, pour les 75 ans de l’indépendance le 4 janvier dernier*, dans le chaos de combats et d’accrochages meurtriers et permanents du nord au sud du pays, la junte faisait parader dans la capitale Naypyidaw ses matériels onéreux et rutilants.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.