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Birmanie : la Chine en passe de soutenir ouvertement les généraux ?

Sit-in contre le soutien de Pékin aux militaires putschistes birmans devant l'ambassade de Chine à Rangoun, le 15 février 2021. (Source : Irrawady)
Sit-in contre le soutien de Pékin aux militaires putschistes birmans devant l'ambassade de Chine à Rangoun, le 15 février 2021. (Source : Irrawady)
À quoi joue la Chine en Birmanie ? Alors qu’au moins 32 usines possédées par des capitaux chinois ont été incendiées dans plusieurs quartiers de Rangoun dimanche 14 mars, les opposants au putsch du 1er février supectent Pékin d’apporter une aide matérielle aérienne à la junte via des vols non enregistrés. La presse officielle chinoise appelle à punir les « délinquants ».
« Les délinquants qui ont violemment attaqué les usines chinoises doivent être sévèrement punis. » Dans son éditorial de ce lundi 15 mars, le Global Times, organe anglophone du Parti communiste à Pékin, s’en est pris violemment aux émeutiers birmans qui ont incendié la veille dans des banlieues de Rangoun plusieurs usines textiles appartenant à des groupes chinois. « Ils ont mis en danger la vie de citoyens chinois », accuse le quotidien officiel.
Selon les informations recueillies par Asialyst auprés de plusieurs sources, il ne peut-être écarté que l’attaque contre ces entreprises trouve son origine dans une provocation initiée par le renseignement militaire, habitué des coups tordus, afin de faire basculer le puissant voisin chinois dans le camp des généraux putschistes. La cible la plus importante ravagée ce dimanche 14 mars par un incendie serait néanmoins une usine de chaussures flambant neuve à capitaux taïwanais.
Dans l’histoire des juntes birmanes, le recours au pogrom contre les minorités chinoises et indiennes par le général Ne Win a été employé dans les années 1970 comme dérivatif aux mécontentements de la population. Au début des années 2000, l’ire populaire fut orientée, avec l’assistance de moines fanatisés, contre des minorités musulmanes, pas seulement Rohingyas.
Selon les décomptes d’ONG, au moins 39 civils désarmés ont été tués ce dimanche dans les banlieues industrielles de Rangoun. Ce qui, avec les tués recensés ce lundi, porte à 171 le total des tués dénombrés depuis le coup d’État du 1er février. Plusieurs centaines de blessés graves sont à déplorer ainsi qu’au moins 2 000 arrestations.
Dans son éditorial véhément, le Global Times appelle le gouvernement birmane doit « mettre fin à ce genre de crime, en punir les auteurs et verser des compensations pour les pertes subies ». L’éditorial désigne aussi ceux qui, selon Pékin, sont à la manœuvre contre les intérêts chinois en Birmanie. Il s’agirait notamment d’un compte Twitter qui a menacé le gouvernement militaire birman : « Pour chaque civil tué, une usine chinoise sera réduite en cendres. » Ce compte « vérifié » appartient, selon le Global Times, qui ne le nomme pas, « au fondateur et directeur exécutif du Burma Human Right Network (BHRN) fondé à Londres en 2015 ». Twitter, ajoute le journal chinois, est supposé suspendre ce compte et son propriétaire devrait être tenu pour responsable et traîné en justice.

La Chine déjà suspectée de soutenir les putschistes

Au lendemain du putsch, des manifestations ont eu lieu devant l’ambassade de Chine à Rangoun. Les manifestants faisaient état de vols spéciaux entre le Yunnan (Sud de la Chine) et la capitale économique birmane, soupçonnés de transporter matériels et techniciens chinois. Ce qui avait été formellement démenti par l’ambassadeur de Chine, pour qui il s’agissait d’exportations régulières de fruits de mer.
Toutefois, selon un récent article de l’Australian Strategic Policy Institute (ASPI), chaque nuit pendant plus d’une semaine, cinq vols non enregistrés entre Kunming (capitale provinciale du Yunnan) et Rangoun ont transporté des personnes et des marchandises non précisées de Chine en Birmanie. Le gouvernement putschiste s’est d’ailleurs efforcé d’en cacher l’existence.
Quand l’armée a pris le pouvoir, les vols internationaux ont été suspendus, et très peu d’avions desservent depuis l’aéroport de Rangoun, encore moins des vols internationaux. Pourtant, d’après l’ASPI, cinq vols effectués par trois avions ont relié Kunming à Rangoun. Deux des appareils aux couleurs de Myanmar Airways, le troisième peint en blanc. Tous ces avions ont volé en coupant leurs transpondeurs, ce qui est interdit par les règlements de l’organisation internationale de l’aviation civile (OIAC).
Cependant, ces appareils étant en leasing. Ils doivent être maintenus en bon état, ce qui les contraint à émettre régulièrement les données des réacteurs, captées par satellite (le dispositif qui avait permis de retracer partiellement la trajectoire du Vol Malaysia Airline 370). Ces données ont été recoupées avec des photos prises clandestinement à l’aéroport de Rangoun par des opposants au putsch participant au mouvement de désobéissance civile.Ainsi, trois appareils ont pu être identifiés : un Airbus A320-214, peint en blanc, appartenant à DAE Capital, un Airbus A319-111 appartenant à AerCap Holdings et un troisième Airbus aux couleurs de Myanmar Airways.

Les généraux bénéficient d’appuis diversifiés

La junte birmane s’est offert depuis la fin février les services de Dickens & Madson, une firme de relations publiques basée au Canada. Elle est dirigée par Ari Ben-Menashe, un Israelo-Canadien qui se targue d’être un ancien des services secrets de l’État hébreux.
Selon le contrat de lobbyisme présenté, selon la règle, aux autorité américaines, d’un montant de 2 millions de dollars américains, Ari Ben Menashe se fait fort de « rétablir l’image des généraux birmans », contraints selon lui, de renverser le gouvernement civil piloté par Aung San Suu Kyi. Car non seulement les élections législatives du 8 novembre seraient « entachées de fraude massive », mais son gouvernement s’apprêtait à « trop céder d’avantages stratégiques » aux intérêts chinois. De surcroît, ce lobbyiste, qui n’a jamais hésité à assister des régimes aussi respectables que les généraux soudanais accusés de génocide au Darfour, affirme que les opérations de nettoyage ethnique lancées en 2017 contre la minorité musulmane des Rohingyas, l’auraient été à l’initiative d’Aung San Suu Kyi, qui serait parvenue à « venir à bout des réticences de l’état-major ».
Cet argumentaire outrancier commence à émerger depuis début mars dans divers médias, pas forcément suspects de complaisance envers la nouvelle mouture de la dictature militaire birmane.
Financièrement, depuis le tout début des années 2000, la principale source de devises du régime birman demeure le consortium exploitant le gisement gazier de Yadana acheminant par son pipeline sa précieuse énergie sur la Thaïlande. Consortium piloté par le géant pétrolier Total.
Par Francis Christophe

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.