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Birmanie : face à la répression sanglante, la désobéissance touche les policiers et les diplomates

Manifestations contre le coup d'État militaire à Rangoun, le 19 février 2021. (Source : MalayMail)
Manifestations contre le coup d'État militaire à Rangoun, le 19 février 2021. (Source : MalayMail)
En opérant leur coup d’État le 1er février dernier, les chefs militaires birmans n’avaient pas prévu la détermination de leurs opposants. L’emploi de la force létale et la hausse du nombre des tués lors des manifestations n’a, pour l’instant, pas entamé le mouvement de désobéissance civile. Une opposition pro-démocratie qui se structure avec l’engagement retentissant de l’un des plus hauts diplomates birmans contre les putschistes.
Mandalay et la Birmanie étaient en deuil ce 4 mars. C’était le jour des obsèques d’une manifestante de 19 ans, tuée la veille à balles réelles pendant une manifestation pacifique dans une avenue de la deuxième ville du pays. Kyal Sin, surnommée Angel, portait, quand elle a été abattue, un t-shirt noir avec, écrit en anglais et en grosses lettres blanches : « Everything will be OK ». Les clips video de la mort d’Angel ont fait le tour des télévisions du monde. Ce vendredi 5 mars, des militaires, armes aux poings, sont venus exhumer le corps de Kyal Sin, prétendant, selon un journal pro-putschistes, démontrer qu’elle n’a pas été tuée par un tir militaire. En Birmanie comme à l’extérieur, il est évident que la junte dispose d’armes à feu et a pour habitude d’en faire un abondant et sanglant usage. Toutefois, dans la bataille des images, la société civile ne risque pas la défaite.

Un pays paralysé

Les pertes en vies humaines, les blessés et les arrestations ne découragent pas les opposants au putsch de poursuivre et, par certains aspects, d’amplifier leur mouvement de rejet. Le Civil Disobedience Movement (CDM) se propage dans tout le pays, quasiment à l’arrêt depuis le 1er février. Dans plusieurs zones tenues par des minorités, la solidarité avec la campagne de désobéissance démarrée dans les grandes villes connait un succès inattendu, chez des populations traditionnellement méfiantes envers les faits et gestes de la majorité bamar. Dans une zone reculée, une unité complète de gardes-frontières a traversé, avec ses armes, la frontière indo-birmane, au nord-ouest du pays. Ils ont argué de leur refus d’obéir aux ordres « cruels » de leur hiérarchie et de leur participation au CDM pour demander l’hospitalité à leurs collègues indiens.
Le journal en ligne Irrawady, connu pour le sérieux de ses sources depuis les années 1990, fait état le 5 mars de la défection d’environ 600 policiers, dont le n°2 de la police de Mandalay.
Des sources consultées par Asialyst n’excluent pas que la junte, ne parvenant pas à faire redémarrer le pays en cinq semaines, choisisse d’affamer des populations urbaines, en attribuant les pénuries aux factieux ou autres saboteurs et ennemis de la nation. Partant de l’idée qu’une population affamée, fatiguée par des queues interminables pour se ravitailler sera plus docile et finira bien, pour ceux qui en ont, par reprendre le travail.

Le corps diplomatique en détresse

Communiqué de l'ambassade birmane à Washington, déplorant les morts et rejetant la répression des manifestants. (Source : Facebook)
Communiqué de l'ambassade birmane à Washington, déplorant les morts et rejetant la répression des manifestants. (Source : Facebook)
Le communiqué publié ce jeudi 4 mars par l’ambassade de Birmanie à Washington souligne le désarroi des personnels de nombreux postes diplomatiques. Signé d’une entité anonyme, l’ambassade de la République de l’Union du Myanmar, et revêtu de son cachet, au nom officiel du régime renversé le 1er février. « L’ambassade du Myanmar est profondément bouleversée au vu des morts de citoyens qui avaient exercé leur droit d’expression depuis le 1er février. » Les diplomates birmans en poste à Washington soulignent qu’ils « sont profondément attristés par les pertes de vies de citoyens manifestant pacifiquement, causées par les forces de sécurité. Ils expriment leur forte opposition et leur rejet absolu de l’emploi d’armes létales. » Ils précisent enfin que l’ambassade « continuera d’exercer sa fonction de représentante de l’État souverain de la République de l’Union du Myanmar et ses membres serviront l’intérêt du pays et de son peuple ». Une manière juste polie de faire savoir à la junte que son ambassade aux États-Unis refuse de reconnaître sa légitimité.
À la représentation birmane au siège de Nations Unies, à New York, le défi à la junte a été digne d’une série télé haut de gamme. Le 26 février, à la tribune de l’Assemblée générale, qui débattait du cas birman, l’ambassadeur Kyaw Moe Tun a lancé une violente diatribe contre les putschistes et conclut son allocution en levant haut les trois doigts de sa main droite, le signe de ralliement des militants pour la démocratie en Thaïlande, à Hong Kong et en Birmanie. Dans un vibrant plaidoyer, en anglais puis en birman, le haut diplomate a appelé les 193 États membres de l’ONU à « recourir à tous les moyens nécessaires pour mettre en échec le coup d’État » ayant renversé le gouvernement élu d’Aung San Suu Kyi. Dès le lendemain, la junte a révoqué Kyaw Moe Tun, l’accusant de haute trahison et nommant à sa place le n°2, Tin Maung Naing, qui a annoncé, dans la foulée, sa démission. Le 4 mars, l’ambassadeur démis, Kyaw Moe Tun, par un communiqué au secrétariat général de l’ONU, a faut savoir qu’il demeurait le chef de la représentation de la République de l’Union du Myanmar au siège de New York.

Les élus s’organisent

Le SAC (State Administration Council), le nom que s’est donné la junte, ne retrouve absolument pas la situation qu’avaient jugulée ses prédécesseurs du SLORC, l’acronyme de la junte en En 1988-89. Le général Min Aung Hlaing et ses acolytes n’ont visiblement pas anticipé qu’au moins deux des principaux diplomates du pays, qui avaient obligatoirement été nommés avec leur approbation, se soient dressés publiquement contre leur pouvoir. En catastrophe, une centaine de diplomates en poste à travers le monde ont été rappelés. Reste à savoir combien parmi eux sont tentés de revenir dans un pays où, étant suspects de trahison, un sort peu enviable les attend.
De leur côté, des élus des législatives du 8 novembre dernier ayant échappé aux rafles et se trouvant pour certains d’entre eux hors du pays, ont constitué le Comité Représentant le Parlement (CRPH) qui a pour objectif d’être reconnu comme le représentant légitime du peuple birman. À son programme, le rétablissement du pouvoir civil, une réforme constitutionnelle d’importance, toujours refusée par les militaires, un vrai fédéralisme. L’ambassadeur à l’ONU Kyaw Moe Tun serait pressenti pour un poste important au sein du CRPH.
Par Francis Christophe

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.