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Birmanie : ombres chinoises sur la résistance au coup d'État

Le président chinois Xi Jinping et le chef de l'armée birmane Min Aung Hlaing sur les pancartes critiques des manifestants birmans contre le coup d'État militaire devant l'ambassade de Chine à Rangoun, le 10 février 2021. (Source : Irish Times)
Le président chinois Xi Jinping et le chef de l'armée birmane Min Aung Hlaing sur les pancartes critiques des manifestants birmans contre le coup d'État militaire devant l'ambassade de Chine à Rangoun, le 10 février 2021. (Source : Irish Times)
Depuis la prise du pouvoir par l’armée birmane le 1er février, la mobilisation de la société civile s’amplifie dans la plupart des villes du pays, malgré les arrestations de supposés activistes et de leaders potentiels de la résistance au coup d’État. Chaque jour plus nombreux, des dizaines de milliers de manifestants crient des slogans hostiles aux militaires, et réclamant la libération d’Aung San Suu Kyi, arrêtée dans la nuit du putsch. Beaucoup dénoncent aussi une aide de la Chine à la Tatmadaw.
« Il était facile pour les chefs militaires de renverser le gouvernement civil, d’arrêter ses principales figures, mais faire fonctionner un pays avec une population qui n’accepte pas leur coup d’État, ils en sont incapables, expliquait à Asialyst l’un des organisateurs du mouvement de désobéissance civile à Rangoun, ce mercredi 10 février. N’ayant pas anticipé le jour d’après, ils en sont réduits à solliciter en urgence l’aide technique de la Chine, car les militaires birmans ne parviennent pas à paralyser réellement les réseaux sociaux, ni à intercepter efficacement les communications des activistes. »

Manifestation devant l’ambassade de Chine

Visiblement, le risque d’un soutien chinois aux généraux putschistes est pris au sérieux par les militants pro-démocratie. Ceux-ci ont en effet organisé dans la journée du 10 février une manifestation devant l’ambassade de Chine à Rangoun. Plusieurs centaines de militants brandissaient des banderoles rédigées en chinois et en anglais « Soutenez la Birmanie, pas les dictateurs ». Des manifestants font état « d’actions de hauts responsables chinois au coup d’État ».
De son côté, dans la soirée, la représentation chinoise a publié sur sa page Facebook un communiqué démentant « les articles sur Internet faisant état d’avions cargo chinois amenant des techniciens chinois en Birmanie », et précise que « les seuls vols chinois étaient des vols cargo réguliers important et exportant des marchandises, comme des fruits de mer ».
Interrogé le 11 février à Pékin sur les rumeurs selon lesquelles la Chine enverrait en Birmanie des équipements et des experts en technologie de l’Internet, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Wang Wenbin assuré qu’il « n’en avait pas entendu parler », évoquant « des fausses informations sur la Chine à propos de la Birmanie ». « La Chine suit de prés la situation et forme le vœu que toutes les parties aient l’esprit tourné vers le développement et la stabilité », a insisté Wang Wenbing.

Le camouflet de la junte à l’Australie

Sean Turnell, citoyen australien, professeur émérite d’économie à l’université Macquarie de Sydney, passionné par la Birmanie, était jusqu’à la nuit du 1er février un conseiller écouté du gouvernement civil piloté par Aung San Suu Kyi. Il a été arrêté dans sa chambre d’hôtel à Rangoun, en présence de son épouse. Détenu incommunicado dans un lieu inconnu jusqu’à ce que la ministre australienne des Affaires étrangères Marise Payne annonce le 11 février que l’envoyé australien a Rangoun « lui a parlé ». « Notre ambassadeur a discuté avec le professeur Turnell de sa santé et de ses conditions de détention », a-t-elle précisé. Manifestement l’ambassadeur n’a pas vu le prisonnier, et la ministre ignore – ou ne souhaite pas – divulguer le lieu de détention.
Habituellement, sous les juntes précédentes, les étrangers occidentaux suspectés d’agissements subversifs étaient rapidement expulsés après leur arrestation. Il n’en alla pas de même pour Jaran Ditapachai, ancien ministre thailandais des Droits de l’homme, qui passa dans les années 2000, six mois dans les geôles de la junte, pour avoir été pris distribuant des petits tracts réclamant la libération d’Aung San Suu Kyi.
Le professeur Turnell n’est pas seulement un citoyen australien, c’est aussi l’Occidental le plus proche et le plus écouté d’Aung San Suu Kyi dans un secteur capital, l’économie. Il lui est prêté une influence déterminante sur un plan efficace de lutte contre la corruption et sur la limitation de l’emprise de l’économie chinoise en Birmanie. La Chine et l’Australie étant à couteaux tirés. Le général Min Aung Hlaing envoie par l’arrestation de Turnell un message qui ne saurait déplaire à Pékin. Le plan anti-corruption devait être mis en œuvre au début de la session parlementaire, dont l’ouverture était prévue le 1er février.
Par Francis Christophe

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP et de Bakchich, ancien enquêteur pour l'Observatoire Géopolitique des Drogues, de Bakchich, Christophe est journaliste indépendant. Auteur du livre "Birmanie, la dictature du Pavot" (Picquier, 1998), il est passionné par les "trous noirs de l'information". La Birmanie fut, de 1962 à 1988 le pays répondant le mieux à cette définition. Aucune information ne sortait de cette dictature militaire autarcique, archaïque, guerroyant contre ses minorités, clamant sans le désert sa marche sur la voie birmane vers le socialisme.