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Expert - Politique chinoise

Chine : Meng Hongwei, le président d'Interpol "démissionné" en pleine purge de la Sécurité publique

Meng Hongwei, président d'Interpol jusqu'à sa "démission" le 7 octobre 2018, était un ancien lieutenant de Zhou Yongkang, tsar de la sécurité publique en Chine et cible de la campagne anti-corruption lancée par Xi Jinping en 2013. (Source : News.com.au)
Meng Hongwei, président d'Interpol jusqu'à sa "démission" le 7 octobre 2018, était un ancien lieutenant de Zhou Yongkang, tsar de la sécurité publique en Chine et cible de la campagne anti-corruption lancée par Xi Jinping en 2013. (Source : News.com.au)
Elle paraît aussi mystérieuse qu’effrayante. Pourtant la « disparition » le 29 septembre de Meng Hongwei n’est sans doute pas inexplicable. Si le président d’Interpol a été « démissionné » par le gouvernement chinois ce dimanche 7 octobre, c’est que son passé l’a peut-être rattrapé. Meng est en effet l’ancien lieutenant de Zhou Yongkang. L’ex-patron de la Sûreté en Chine est un homme-clé de l’ancien président Jiang Zemin, dont le réseau d’influence est la cible de la « lutte anti-corruption » lancée par Xi Jinping en 2013. Cette campagne touche en particulier le secteur de la Sécurité publique, socle de pouvoir nécessaire au président chinois pour asseoir sa domination politique.
Né en 1953, Meng Hongwei (孟宏伟) était ministre adjoint de la Sécurité publique depuis 2004 et président d’Interpol depuis 2016. Il a « disparu » le 5 octobre lors d’un voyage en Chine pour finalement « réapparaître » le 7, mis en examen. Depuis avril dernier, Meng ne faisait plus partie de la cellule dirigeante du Parti au ministère de la Sécurité publique. En 2016, il s’était vu confisquer la direction de la garde côtière et n’était plus directeur adjoint du bureau des océans. De fait, il était de plus en plus isolé au sein du ministère. Par deux fois, il fut absent de réunions importantes en début d’année : la conférence sur la sécurité nationale à Pékin le 26 janvier et la Conférence du Parti du ministère de la Sécurité publique le 20 janvier. Cette débandade semblait préfigurer l’avenir politique de Meng.

Le ministère de la Sécurité publique : une affaire à terminer

*Pour une lecture plus détaillée, consultez : « Remaniements et refonte de la commission militaire centrale, de la sécurité publique, nationale et de la défense nationale à Pekin« , in Asia Focus n°42, IRIS, 14 septembre 2017. **Liu est actuellement le secrétaire du Parti de la province de Hainan.
Sous la tutelle directe de la commission politico-légale du Parti, le ministère de la Sécurité publique* a longtemps été dirigé par les hommes de l’ancien président Jiang Zemin. De 1990 à 2017, tous les ministres lui sont associés, de près ou de loin : de Tao Siju (1990-1998), Jia Chunwang (1998-2002), Zhou Yongkang (2002-2007), Meng Jianzhu (2007-2012) jusqu’à Guo Shengkun (2012 à 2017). Meng Hongwei, qui a connu Zhou Yongkang, Meng Jianzhu et Guo Shengkun, est aussi un des camarades de classe de Li Keqiang, au département de droit de l’Université de Pékin. Il a aussi secondé Liu Cigui (刘赐贵, né en 1955)** – un partisan de Xi Jinping – au Bureau national des océans jusqu’en 2016.
*A la fois un proche de Xi et un proche de Hu Jintao, Zhao fut clairement placé à la tête du ministère pour provoquer un changement. **Voir aussi Liu Jinguo (刘金国), ministre adjoint de 2005 à 2015 et à présent secrétaire adjoint de Guo à la Zhengfa. ***Voir aussi Chen Zhimin (陈智敏), ministre adjoint de 2009 à 2017, transféré en 2018 à la commission des affaires sociales et légales de la Conférence consultative politique du peuple chinois. ****Notamment le départ récent de Shi Jun (侍俊), ministre adjoint de 2017 à 2018, allié de Zhou Yongkang et membre de la « bande du Sichuan », vers le département du Front uni en août dernier.
Cependant, depuis la reprise en main du ministère par Xi avec l’arrivée de Zhao Kezhi* après le 19ème Congrès, les hommes de Zhou Yongkang, à commencer par Guo Shengkun**, commencent à se replier vers la commission des affaires politiques et légales ou vers le secteur de la justice (au ministère ou à la Cour suprême). Ce fut le cas par exemple pour Fu Zhenghua, un ancien du « bureau 6.10 » (chargé de la répression des cultes et des sectes). Ministre adjoint de la Sécurité publique depuis 2013, cet allié de Zhou Yongkang fut envoyé au ministère de la Justice lors de la réorganisation du Conseil des affaires d’État en mars dernier***. S’ajoutent de multiples « mises à pied », remplacements**** et autres mises en examens. Ainsi Li Dongsheng (李东生), ministre adjoint de 2009 à 2013, fut inculpé en 2013, suivi en 2017 de Yuan Huanning (杨焕宁), ministre adjoint de 2008 à 2015, de Xia Chongyuan (夏崇源), directeur du bureau politique du ministère de 2013 à 2017, et de He Ting (何挺), le chef de la police et remplaçant de Wang Lijun à Chongqing.
*Sun Lijun est en fait le secrétaire particulier ou « mishu » de Meng Jianzhu. **Sun Lijun occupe une fonction particulière : il est directeur du bureau No.26, le « nouveau » bureau anti-culte, suivant ainsi la tradition de son prédécesseur, le bureau 6.10, occupé par les hommes de Jiang Zemin et de Zhou Yongkang.
Les « nouveaux » venus sont des hommes de Xi Jinping. Parmi eux, Wang Xiaohong (王小洪), ministre adjoint depuis 2016 et aussi chef de la police de Pékin ; Du Hangwei (杜航偉), membre de la commission des affaires politico-légales (2017-2018) et directeur de la sécurité publique du Shaanxi de 2013 à 2017, et ministre adjoint depuis juillet 2018 ; Meng Qingfeng (孟庆丰), membre de la « bande du Zhejiang » de Xi Jinping et ministre adjoint depuis 2015 ; Xu Ganlu (许甘露), chef de la police du Fujian et ministre adjoint depuis 2018. Il ne restait donc plus à remplacer que deux alliés de Zhou Yongkang au sommet du ministère : Meng Hongwei et Sun Lijun* (孙力军, né en 1969), ministre adjoint depuis 2018**.
Pour ce qui est du personnel de soutien, un certain nombre s’est détaché de l’héritage de Zhou Yongkang. Liu Zhao (刘钊), directeur du bureau politique du ministère depuis mai 2018, est un allié de Xi Jinping issu du Shaanxi. Deng Weiping (邓卫平), secrétaire de la cellule de la commission de discipline pour le ministère depuis 2016, et Lin Rui (林锐), assistant du ministre depuis 2018, sont des alliés du numéro un chinois en provenance du Fujian (à l’instar de Xu Ganlu et Wang Xiaohong). Quant à Liu Yuejin (刘跃进), commissaire au contre-terrorisme depuis 2015, il s’agit d’un « faux Zhou » (非周派系, pas vraiment associé à Zhou Yongkang) ; tandis que Nie Furu (聂福如), directeur du bureau des affaires générales du ministère, semble être « sans affiliation ».

Sécuriser la sécurité

Ces remaniements dans le système fonctionnel de la Sécurité publique font écho à la campagne anti-corruption, mais aussi à la consolidation du pouvoir de Xi Jinping sur le Parti. Il est difficile de se sentir en sécurité lorsque la Sécurité publique est contrôlée par une faction rivale. Faction qui est aussi la cible principale du régime de Xi depuis 2013.
On se rappellera dans quelles circonstances le numéro 1 de la sécurité du président chinois est arrivé à Pékin. Wang Xiaohong a été placé à la tête de la Sécurité publique de la capitale en 2015, venant ainsi remplacer Fu Zhenghua et sécuriser la ville en prévision du 19ème Congrès. Il avait auparavant pris la place de Qin Yuhai (秦玉海) en 2013 en tant que chef de la police de la province du Henan. Qin, un proche de Zhou Yongkang et membre de la « bande du Henan » de Li Changchun, fût mis en examen en 2014 pour corruption.
*Certains pensent aussi que le fait que sa femme ait choisi de rendre publique sa disparition le 5 octobre n’est pas une coïncidence. Cette dernière ne serait toujours pas rentrée en Chine et serait demeurée en France sous la protection des autorités françaises.
Ce faisant, la « disparition » de Meng Hongwei, aussi étonnante soit-elle, n’est pas inédite, si l’on considère la logique de changement de Xi Jinping. Xi tente depuis 2013 de réorganiser le Parti-État, et l’une de ses pièces les plus importantes, la Sécurité publique, n’y échappe pas. Pour l’instant, la mise en examen de Meng demeure délicate, compte tenu de sa visibilité externe. Cela dit, il est facile d’imaginer que Meng a fait le faux pas de trop aux yeux de Xi ou encore que son heure, comme ses camarade Li Dongsheng ou encore Xia Chongyuan, était venue. Et cela, même si le « timing » est un peu mal choisi pour « emporter » (du fameux euphémisme chinois « bei daizou », 被带走) le chef d’Interpol*.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.