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Chine : la déception du troisième plénum peut-elle fragiliser Xi Jinping ?

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Asia Nikkei)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Asia Nikkei)
Un coup pour rien ? Le troisième plénum du XXème Congrès du Parti communiste, du 15 au 18 juillet dernier, n’a pas su répondre aux attentes et aux interrogations sur le développement économique de la Chine. D’habitude, les troisièmes plénums fournissent l’occasion au Parti d’annoncer les lignes directrices qui devront « guider » le développement de l’économie pour au moins les cinq ans à venir. Or cette année, le Parti n’a pas été en mesure d’expliquer comment il comptait s’y prendre pour aller de l’avant. Avec le communiqué final et la version publique officielle de la « Décision du Comité central pourtant sur l’approfondissement global de la [politique de] réforme et la promotion de la modernisation à la chinoise »*, la direction du Parti a réussi à placer les mots « réforme », « ouverture », « modernisation » et « innovation » – au léger détriment des mots d’ordre habituels centrés sur la sécurité et le « risque » – sans toutefois parler de mesures concrètes.
Le communiqué et la « Décision » ont malgré tout démontré que certains sont au courant des problèmes et savent dans quelle direction générale le Parti devrait aller. Mais au final ne reste qu’un ensemble de vœux pieux mâtiné d’un tiraillement entre plus de centralisation et une ouverture à la décentralisation fiscale. Et encore, le mot « décentralisation » n’est peut-être pas approprié. Ce qui est dommage, du moins pour ceux qui espéraient un changement de cap ou une stratégie de relance minimale. Le communiqué et la « Décision » soulèvent des points importants à améliorer pour la coopération, le développement et l’innovation. Cependant, et il en va de même pour les brefs passages en référence au secteur privé et le rôle qu’il doit jouer, le message n’est pas passé et n’a pas réussi à convaincre.
Cela dit, à plusieurs endroits du texte, la notion de réforme (au sens denguiste du terme) est conforme à ce dont certaines sections du Partis discutent. La « Décision » fait référence à Mao, Deng, aux « Trois représentativités » de Jiang Zemin et au « Développement scientifique » de Hu Jintao. Peu d’allusion à Xi Jinping lui-même. On est donc en droit de se demander si la vacuité des documents et le tiraillement palpable entre certaines sections ne sont pas le résultat de tensions de plus en plus importantes au sommet du Parti entre ceux qui soutiennent la ligne de Xi – qui pousse à la centralisation et à l’expansion de l’appareil de sécurité au détriment de l’économie – et ceux qui soutiennent la ligne de la politique de réforme à la Deng.
Et justement une énorme partie du problème se trouve dans la position de Xi Jinping. Depuis la période avant le XIXème Congrès du Parti, il cherche à s’éloigner de Deng Xiaoping et tente encore de se réapproprier la notion de « réforme ». Pour le numéro un chinois, il est devenu à présent urgent de découpler le mot et les référents associés au terme « réforme » de l’héritage symbolique de Deng Xiaoping. Ce sont les réformes de la « Nouvelle ère » qui doivent primer. Elles doivent être perçues comme un ensemble rectificatif ramenant le Parti vers son objectif premier : la concrétisation du socialisme en Chine. Ce sont elles qui doivent être légitimes et mesurées en fonction de l’héritage maoïste, et non pas mises en contradiction avec l’héritage denguiste.

Tensions entre les partisans de Xi Jinping

À ce titre, ces tensions entourant la notion de réforme sont aussi, en partie, ce qui explique la disparition de l’article déjà célèbre : « Xi Jinping le réformateur » (改革家习近平), quelques heures après sa publication par Xinhua le 15 juillet dernier. La suppression du texte a fait sensation surtout parce que sa publication avait été approuvée par l’appareil du Parti. Ensuite sont venues les interrogations sur la censure de l’article. Ce texte propose des comparaisons entre Xi Jinping et Deng Xiaoping qui réussissent à faire paraître Xi comme le second de Deng, et non pas comme leader de la réforme : Xi reprend le flambeau de Deng, Xi assure la continuité de Deng, Xi a hérité du projet de Deng, etc. En ce sens, le vrai réformateur demeure Deng Xiaoping dans l’article, et non pas Xi Jinping.
Bien entendu, nous pourrions en dire plus sur cet article de plus de 10 000 caractères. Cependant, il n’est pas le cœur de la problématique qui l’entoure. Le problème est d’abord sa publication, puis sa suppression quasi immédiate. Oui, l’article se pose en contradiction avec le projet de Xi Jinping d’être le « centre » des réformes. Et oui, la formule de « réforme à la Xi » (习式改革) a dû en faire grincer des dents plusieurs. Cependant, les anti-Xi ne pèsent pas suffisamment lourd dans la balance pour forcer le président chinois à demander le retrait de l’article.
Cet incident, tout comme le communiqué et la « Décision », reflète à la fois une certaine confusion et les tensions profondes entre les différents réseaux de soutien à Xi. Dans ce cas particulier, il s’agit peut-être d’une dispute entre Cai Qi, le « secrétaire général adjoint du Parti » et Li Shulei, le numéro un du système de la propagande et l’une des « plumes » préférées de Xi. Pour Li, rapprocher son patron de Deng Xiaoping semblait une bonne façon de donner plus de légitimité à Xi. Du point de vue de Cai, qui s’efforce de rester fidèle aux ambitions plus maoïstes du président, cet article n’abonde pas dans la bonne direction. Êre perçu comme le successeur de Deng mettrait Xi en contradiction avec l’ensemble de son projet de « retour aux sources ». Ces tensions entre Cai et Li sont à même d’expliquer comment l’article a pu être approuvé par l’appareil de propagande avant d’être retiré si rapidement. Au bout du coup, la question relève aussi de savoir qui saura transmettre le discours de Xi Jinping.
La problématique centrale n’en demeure pas moins la notion de « réforme ». Qui peut-être un réformateur ? Qui peut parler au nom des réformes ? Et, bien entendu, que veut dire le mot « réforme » dans la « Nouvelle ère » ? Les documents du plénum ne permettent toujours pas de trancher ces questions.

« L’affaire Qin Gang » toujours pas terminée

Le communiqué du troisième plénum ne nous permet pas non plus de mettre le point final à l’affaire Qin Gang. Oui, le Parti a utilisé le mot « camarade » pour parle de Qin et mentionner le fait que Comité central acceptait sa démission. Cependant, malgré l’exemple de Liu Shiyu (刘士余), l’ex-président de la Commission chinoise de régulation boursière (CSRC), l’appellation de « camarade » (同志) ne signifie pas être blanchi. D’autres « camarades », comme l’ex-chef du Parti dans le Jiangxi, Zhao Zhiyong (赵智勇), ont fini par être expulsés du PCC. Ainsi, Qin pourrait encore devoir affronter l’appareil disciplinaire du Parti.
Autrement dit, le retour de « l’affaire Qin Gang » rappelle que Xi Jinping n’a toujours pas réussi à trouver un remplaçant pour déloger Wang Yi. Pourtant, à voir les nombreux mouvements de personnel au sein du ministère, l’appareil des Affaires étrangères se prépare à l’arrivée d’un remplaçant. À ce titre, Liu Jianchao (刘建超), directeur du département des liaisons internationales du Parti, était le favori pour devenir le prochain ministre. La lenteur avec laquelle le processus de sélection avance indique que Xi n’est pas encore satisfait de Liu et que Wang refuse de laisser sa place sans avoir son mot à dire. « L’affaire Qin Gang » est donc loin d’être terminée.
Au total, le troisième plénum n’a rien résolu. Xi Jinping n’a réussi ni à rompre avec Deng Xiaoping ni à légitimer sa posture de « réformateur ». Le communiqué et la « Décision » ont un fond commun, mais dans la mesure où Xi demeure plus préoccupé par les luttes intra-Parti, la lutte anticorruption, ainsi que par d’autres problématiques liées à l’Armée populaire de libération (APL), il serait surprenant de voir un plan fondé sur les vœux pieux du plénum se concrétiser dans un avenir proche.
En fait, l’impression qui reste après lecture du communiqué et de la « Décision » est que la direction du Parti n’a pas réussi à s’entendre. Elle a plutôt opté pour une opération de propagande, pour des slogans mobilisateurs comme le fut auparavant la « théorie brillante de l’économie chinoise » (中国经济光明论) de Wang Huning. Ce dernier, il y a quelques mois, demandait aux membres de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC) de « chanter le miracle économique de la Chine » afin qu’il se matérialise. Les documents du troisième plénum ressemblent à ce genre de mots d’ordre mobilisateurs : « chanter » le mot « réforme » et fixer de nombreux objectifs, sans plan ni politique concrets, risque de ne mener nulle part.
La mauvaise qualité rédactionnelle du texte, la tentative hasardeuse de libérer la notion de réforme de l’héritage denguiste et la reconnaissance des « contributions théoriques » d’anciens dirigeants sont autant de signes qui indiquent que Xi pourrait affronter la résistance interne de plus en plus forte de la part de dirigeants simplement plus pragmatiques. Ceux-ci semblent vouloir que le président chinois se concentre sur les problèmes qui représentent un réel danger pour la survie du Parti, et non pas sur davantage de « lutte anticorruption » ou de purge au sein de l’APL.

« L’esprit du troisième plénum » pas soutenu par l’armée

Le troisième plénum montre une direction du Parti divisée et un système à bout de souffle, qui tente de suivre ses propres procédures pour s’en sortir et atteindre le prochain plénum. D’ici là, les questions de « construction du Parti » occuperont le devant de la scène au détriment de discussions supplémentaires sur les politiques économiques et de possibles plans de relance. En fin de compte, le Parti a organisé ce qui s’apparente à une « répétition » pour gagner du temps et repousser les discussions sur l’économie et les finances à la conférence de décembre portant justement sur ces sujets.
D’ordinaire, les plénums sont entérinés, ou à tout le moins soutenus, par les hautes instances de l’APL. Or, jusqu’à présent, sauf erreur, le Quotidien de l’armée de libération (解放军报) n’a rien publié en la matière – sous la plume du général Zhang Youxia, le numéro 2 de la commission militaire centrale (CMC), ou du numéro 3 He Weidong – qui vienne soutenir « l’esprit du troisième plénum ». Cela dit, les deux vice-présidents de la CMC se sont prononcés brièvement sur le sujet lors de la réunion pour l’ensemble de l’APL visant à mettre en œuvre l’esprit du plénum le 29 juillet. Cependant, Zhang, qui a mentionné le nom du président chinois deux fois, n’a pas mis l’accent sur la nécessité d’être « loyal à Xi » – point souvent mis en avant par Xi Jinping lui-même lors de ses discours au sein du Parti et de l’APL. En ce sens, Zhang Youxia est apparu légèrement plus « indépendant » qu’à l’habitude. En ce qui concerne le commentaire de He, ce dernier n’a même pas mentionné le nom de Xi.
De même, à l’occasion des deux dernières rencontres et rapports d’enquête du ministère de la Sécurité publique, les 19 et 24 juillet dernier, le nom de Xi Jinping n’est pas mentionné non plus. Il y est question de renforcer la direction du Parti, pas de Xi. Pourtant, ces rencontres et enquêtes ont été menées par le ministre de la Sécurité publique Wang Xiaohong, l’un des alliés indéfectibles du chef du PCC.
L’absence de soutien de l’APL, pour l’instant, et l’absence de références à Xi, ou en tout cas sans serment de loyauté, n’indiquent rien de bon quant à la cohésion interne de la direction du Parti. Ces tensions internes et ce plénum « vide » risquent fort de nuire à Xi Jinping durant la traditionnelle université d’été du PCC à Beidaihe. Même face à ses propres partisans, le président chinois devra s’employer pour expliquer et justifier ce plénum. À ce titre, il est probable que cette « perte de face » pousse la direction du PCC à rouvrir le dossier de la succession. Même si l’agenda des « réformes » mené par Xi doit se terminer en 2029 – ce qui impliquerait que le président rempile pour un quatrième mandat.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.