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Chine : avec son nouveau ministre de la Défense, Xi Jinping choisit une nouvelle "lignée"

Le nouveau ministre chinois de la Défense, Dong Jun. (Source : CNN)
Le nouveau ministre chinois de la Défense, Dong Jun. (Source : CNN)
Quatre jours après la promotion de Wang Wenquan (王文全) et de Hu Zhongming (胡中明) par la Commission militaire centrale (CMC), le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire a annoncé la nomination du nouveau ministre de la Défense, le Général Dong Jun (董军). Ce choix, après environ trois mois de spéculations sur le sort de son prédécesseur Li Shangfu (李尚福), n’était pas celui attendu. Lors de la rencontre du 25 décembre, voyant Hu Zhongming devenir Commandant des forces navales de l’Armée populaire de l’ibération (APL), plusieurs se sont demandé ce qu’était devenu Dong. Après tout, ce dernier, âgé seulement de 62 ans et membre du Comité central, ne semblait pas être impliqué dans les affaires en cours – comme la campagne anti-corruption qui secoue les Forces des missiles.
Depuis septembre, Liu Zhenli (刘振立), chef d’état-major, et He Weidong (何卫东), vice-président de la CMC, étaient considérés comme les candidats les plus qualifiés et favoris pour prendre la tête du ministère de la Défense. Les choix de Liu et de He comportaient tous les deux des avantages ainsi que des inconvénients pour Xi Jinping.
Choisir Liu – et donc se ranger derrière la frange plus pragmatique de l’APL – aurait directement favoriser la « faction de la guerre du Vietnam » (越战派), dont font partie Li Zuocheng (李作成) et le numéro deux de l’armée Zhang Youxia (张又侠) au détriment de la « faction de Taïwan » (台海派), qui compte He Weidong, Miao Hua (苗华) et Lin Xiangyang (林向阳). Autrement dit, le choix de Liu aurait probablement brusqué les membres de la « faction de Taïwan », qui avait fortement soutenu un troisième mandat pour Xi.
Par ailleurs, choisir Liu Zhenli comme ministre, ce qui aurait indiqué que Xi cherchait à se distancier du réseau de He Weidong, aurait eu des conséquences organisationnelles importantes pour le haut commandement de l’APL. L’arrivée de Liu aurait aussi annoncé, potentiellement, une approche moins cavalière envers Taïwan.
En contrepartie, choisir He Weidong aurait élevé l’importance du poste de ministre de la Défense, et par suite l’importance de He dans la hiérarchie de l’APL. Bien entendu, le choix de He aurait aussi annoncé qu’une campagne militaire en mer de Chine de l’Est aurait pu devenir réalité plus rapidement. Cependant, nommer He aurait pu être problématique pour Xi car le président chinois lui aurait ainsi donné « trop » de levier au sein de l’APL, chose que Xi ne peut accepter. Il est permis de penser que Xi Jinping voulait s’assurer de ne pas volontairement créer une faction militaire capable de lui faire de l’ombre.
Ce qui nous amène au choix de Dong Jun. Lui qui est membre du Comité central n’est pas moins qualifié que ses deux prédécesseurs, Wei Fenghe (魏凤和) et Li Shangfu. Cependant l’expérience en matière organisationnelle au sein de l’APL de Dong est en deçà de celle de Li. Mais sans plus. Après tout, Dong a eu une carrière plus orientée vers le commandement que la structure institutionnelle de l’APL.
Malgré le caractère « unidimensionnel », dirons-nous, et pratiquement « sans couleur » (sans faction) de Dong Jun, ne fait pas de lui un mauvais choix pour Xi Jinping. Choisir un individu qui s’inscrit en dehors des luttes dites plus traditionnelles au sein de l’APL vient neutraliser les revendications des uns et des autres. La création pour Xi d’un nouveau « lignage » militaire au milieu des forces existantes, semble le résultat d’au moins deux situations. Primo, le numéro un chinois n’aime pas être coincé entre les « factions du Vietnam » et « de Taïwan » car celles-ci le forcent à adopter leur agenda en échange de soutien au sein de l’APL. Secundo, il est devenu de plus en plus complexe de promouvoir des cadres qui ont eu une certaine forme de contact avec Xi sans voir aucune doléance issues des actions du président.
En ce sens, Dong Jun vient régler une partie du premier problème et semble ne pas avoir trempé dans les récentes histoires de corruption. Choisir Dong évite également à Xi de devoir faire une panoplie d’ajustements organisationnels – contrairement au cas de Liu Zhenli -, et freine la montée en puissance potentiellement problématique de He Weidong. Le choix de Dong ne favorise non plus pas Zhang Youxia – chose que Xi cherche à éviter depuis le début de l’affaire du protégé de Zhang, Li Shangfu.
Ceci dit, sachant que sa nomination risque de créer des remous au sein du haut commandement de l’APL, Dong sera-t-il en mesure de conserver son poste et de gérer la pression ? Pas sûr qu’il saura tenir tête à He Weidong ou encore Liu Zhenli. Dong devra s’en remettre à Xi pour se faire entendre des autres membres séniors de la CMC. Cette situation redonne au poste de Xi – en tant que président de la CMC – un nouveau souffle. Les pressions qu’exerceront Liu et He sur Dong donneront à Xi Jinping l’occasion de s’immiscer encore plus dans la gestion des luttes au sein du haut commandement de l’APL et d’avoir de plus amples raisons de calmer les ardeurs de certains.

Signes contradictoires

Contrairement à son successeur à la tête de la marine – plus belliciste -, Dong Jun est connu pour être un modéré qui a passé presque toute sa carrière au sein de la structure organisationnelle de la marine de l’APL. Malgré des signes contradictoires, la nomination de Dong pourrait signifier que Xi n’est peut-être pas lui-même aussi « prêt pour la guerre » qu’il ne semble l’affirmer. Peut-être que Xi Jinping n’a tout simplement pas confiance en l’état de préparation de l’APL – en particulier depuis le début de la purge au sein de la Force des missiles.
En parlant de contradiction, la promotion de Wang et Hu semble être un nouveau pas dans la direction d’une potentielle campagne contre Taïwan. D’une part, Hu Zhongming a bénéficié de formations et d’expériences à bord de destroyers, de frégates, de sous-marins conventionnels et nucléaires et de destroyers lance-missiles. Ce type de formations et d’expériences se rapproche le plus de ce que nous pourrions qualifier « d’expérience de combat » pour les commandants de la marine de l’APL. Ce changement paraît directement s’inscrire dans la rhétorique de « préparation » de Xi.
Le cas de Wang Wenquan est un peu différent. Son prédécesseur, le général Wang Jianwu, qui est également membre du comité permanent de l’Assemblée nationale et directeur adjoint de la sous-commission de surveillance et des affaires judiciaires de l’Assemblée, avait déjà atteint l’âge de 65 ans en août et aurait dû démissionner il y a quatre mois. Cela dit, compte tenu de l’affaire liée à la Force des missiles, un court retard de quatre mois dans la nomination de Wang Wenquan est compréhensible. Wang, 61 ans, occupait auparavant le poste de commissaire politique adjoint de la force terrestre de l’APL et de commissaire politique de la Force conjointe de soutien logistique du CMC (军委联勤保障部队). Il a suivi de près la ligne de Xi et nous pensons qu’il en a été récompensé. La promotion de Wang vise également à renforcer la loyauté du commandement au sein du commandement du théâtre sud.
Il faut se souvenir que les principales zones militaires qui seraient impliquées dans une telle campagne seraient les commandements des théâtres d’opérations sud et de l’est, ainsi que la force de soutien stratégique et la Force des missiles. C’est pourquoi la promotion de Dong Jun, Hu Zhongming et Wang Wenquan envoie des signaux contradictoires aux observateurs étrangers. D’un côté, le ministre est plutôt un modéré et, de l’autre, les généraux nouvellement promus et affectés reflètent toujours l’importance de l’objectif stratégique qu’est Taïwan. Cette dissonance entre le choix du ministre et la dotation des postes sensibles souligne l’existence d’une incertitude grandissante au sein de la direction du Parti. Enfin, cette idée d’incertitude semble être confirmée par la révocation du statut de membre de la CPPCC de trois dirigeants de compagnies étatiques liées à l’APL le 27 décembre, ainsi que de la révocation du statut de représentant pour l’Assemblée de 9 hauts placés de l’APL le 29 décembre. Autant de remaniement n’est pas propice au maintien de bonnes relations entre le haut commandement de l’APL et du Parti, et encore moins à la consolidation d’un haut niveau de cohésion au sein des forces chinoises ; cohésion qui est nécessaire à toute action militaire.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.