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Chine : "Qin Gang est mort" et autres rumeurs au sommet du Parti

L'ancien ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang. (Source : News18)
Alors que l’économie chinoise continue de souffrir, que les efforts pour continuer de vendre les « Nouvelles routes de la soie » s’apparentent à de l’acharnement thérapeutique, et que le Parti n’a pas donné signe de vie pour le prochain plénum – plénum qui aurait dû se tenir en novembre ou encore début décembre – les rumeurs entourant la mort de l’ancien Premier ministre Li Keqiang, qui commençaient à manquer de souffle, ont passé le flambeau à Qin Gang. Sans toutefois en être l’auteur premier – car plusieurs rumeurs de ce type existaient déjà dans les soubassements de la pékinologie hongkongaise et taïwanaise –, le site américain Politico a publié récemment un article évoquant des purges « staliniennes », la situation de l’ex-ministre des Affaires étrangères Qin Gang – qui serait apparemment mort -, ainsi que d’autres soubresauts au sommet du Parti. L’article interpelle à plusieurs titres, car il est plus que problématique : Qin Gang et l’ex-ministre de la Défense Li Shangfu n’ont jamais été membres du cercle intime de Xi Jinping et les purges menées par le numéro un chinois sont loin d’être comparables à la grande terreur sous Staline.

Selon des « sources proches du dossier »

Le point le plus problématique concerne, bien entendu, le sort de Qin Gang. Il aurait été plus facile pour le Parti d’expliquer la mort de Qin, suite à sa disparation, que de faire traîner la situation en longueur. Inutile d’attendre, de le remplacer, puis attendre encore trois mois pour lui retirer son titre de conseiller d’État, tandis que les gouvernements étrangers vous épient constamment. Pourquoi laisser fleurir les rumeurs, laisser les journalistes étrangers questionner les agents du ministère de manière ouverte, ou encore subir les interrogations de la part du personnel diplomatique de plusieurs pays ? Aucune raison valable à ce que le Parti reste assis sur cette information pendant quatre à cinq mois tout en continuant à jouer le jeu administratif – c’est-à-dire démettre Qin de ses fonctions deux fois lors de réunions officielles. Et n’oublions pas que Qin Gang, à ce jour, est toujours membre du Comité central. Il faudra donc encore que le Parti officialise son expulsion du Comité Central, chose qui est encadrée par moult procédures.
Dans cette logique, pourquoi la mort de Li Keqiang, personnage beaucoup plus sensible pour le régime en place, a-t-elle été annoncée si rapidement ? Pourquoi ne pas avoir attendu ? De même pour les cadres qui parfois tombent de leur balcon, sautent dans les rivières ou trébuchent du haut de corniches instables. Les mises à jour se font rapidement sur les profils officiels.
Le Parti agit parfois de manière difficile à s’expliquer alors qu’il juge bon de se débarrasser d’un individu trop gênant. Cependant, quel avantage à se « débarrasser » de Qin de cette manière ? L’ancien ministre n’est pas une figure aussi importante que Lai Xiaomin ou Xu Ming, le banquier de Bo Xilai. Bien loin de là. Au rang des « traîtres » à exécuter en priorité – quel que soit le sens que l’on donne à ce terme sous Xi Jinping –, Qin ne se classerait sans doute même pas le top 10 des hommes à abattre.
L’ancien ministre chinois des affaires étrangères n’est porté disparu que depuis quelques mois. Ce n’est pas grand-chose comparé à certains responsables arrêtés par la Commission centrale de discipline il y a deux ou trois ans et qui pourtant n’ont toujours pas été mis en accusation. Ces cadres auraient-ils été exécutés ? On peut en douter. D’autant que certaines affaires ne débouchent pas avant deux ou trois ans sur une condamnation.
Il est possible que le processus de lutte interne lié à Qin Gang tire à sa fin. Il est possible que l’ancien ministre termine assigné à résidence ou à Qincheng, la prison spéciale pour détenus politiques où Bo Xilai est enfermé à vie. Le Parti n’a pas à mettre en scène Qin. Il n’est pas non plus obligé de se justifier sur sa disparition. C’est apparemment ce que plusieurs ne parviennent pas à comprendre ou accepter lorsqu’ils sont confrontés au Parti-État : il n’est pas lié aux mêmes exigences que les autres gouvernements, ni ne joue selon les mêmes règles.
La plupart des observateurs semblent oublier la chose suivante : cette rumeur pourrait n’être qu’une opération de propagande pour affaiblir Xi Jinping de la part des mécontents de sa politique. Après tout, il est connu que certains membres du Partis ou certaines factions mobilisent les médias étrangers pour répandre des rumeurs afin de faire avancer leur agenda, ou encore de saper celui de quelqu’un d’autre. Dans ce cas, les rumeurs concernant la mort, le suicide ou l’exécution de Qin Gang pourraient viser à recadrer la lutte en cours au sein du Parti. D’une part, les rumeurs d’une exécution pourraient faire monter les enjeux de cette lutte : le résultat est à présent une question de vie ou de mort. Cela pourrait inciter certains, qui étaient peut-être restés plus passifs jusqu’à présent, à s’engager dans la lutte pour éviter le sort de Qin. Cela pourrait également en pousser d’autres, déjà engagés dans cette lutte, à opter pour des stratégies plus subversives et turbulentes pour gagner. Encore une fois : quel est l’avantage à « faire mourir » Qin Gang ? Cela ne rendrait pas d’autres plus coopératifs, comme l’ex-ministre Li Shangfu. Loin de là.

Possibilités et probabilités

*N’oublions pas la fameuse thèse selon laquelle Qin aurait été vendu par le ministre russe des Affaires étrangères afin de remettre les relations sino-russe sur le droit chemin.
Dans cette affaire, tout n’est qu’une question de possibilités et de probabilités. Il est possible que Qin soit mort. Mais après examen des informations contradictoires sur le sujet, son décès semble improbable. Il est possible que certains veuillent que Qin ait péri en juillet pour pouvoir instrumentaliser sa mort dans le but d’exciter les mécontents ou de les pousser à agir contre Xi Jinping. D’autres voudraient également, à tort ou à raison, lier la mort de Li Keqiang à une potentielle exécution de Qin, avec en toile de fond une conspiration des cadres de la Force des missiles de l’Armée populaire de libération (APL) et d’autres membres du haut commandement de l’armée. Selon certains, cela permettrait aussi d’expliquer pourquoi le 3e Plénum a été repoussé. Au bout du compte, les rumeurs qui ont commencé par la « mise en examen de Qin Gang pour cause d’infidélité » se sont déformées pour parvenir à une autre stade : « Avec l’aide de généraux de l’APL, Qin faisait partie d’une énorme conspiration visant à remplacer Xi Jinping par Li Keqiang. »* Malheureusement pour nous, ce ne sont pas quelques captures d’écran de WeChat qui élucideront cette affaire.
*Le coup d’État lors duquel la « bande des Quatre » fut arrêtée dans le hall de Hairen à Zhongnanhai, le siège du Parti près de la place Tiananmen, le 6 octobre 1976.
Malgré tout, ce genre de situation indique, de manière indirecte au moins, les tensions au sein de la direction du Parti. Le mécontentement exprimé se rapproche de plus en plus des oreilles de Xi. L’étau se resserre autour de lui et les problèmes continuent de s’accumuler. Les mécontents cherchent depuis un moment déjà un angle d’attaque pour faire trébucher le président chinois. Ou pire : pour le discréditer complètement afin de forcer un nouvel « Incident de Huairentang »*. Dans ce contexte, il est permis de penser que la sécurité de Xi Jinping sera encore plus resserrée en 2024. La dissidence au sommet du Parti risque de faire de nouvelles victimes.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.