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Chine : "l'affaire Qin Gang", dilemme insoluble pour Xi Jinping ?

L'ancien ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang. (Source : Bloomberg)
L'ancien ministre chinois des Affaires étrangères Qin Gang. (Source : Bloomberg)
La disparition soudaine de Qin Gang, qui n’a pas encore été expliquée par le Parti, et son remplacement ultérieur par Wang Yi, ont créé une tempête au sein de l’appareil diplomatique chinois. Depuis lors, de nombreuses rumeurs relayées par les médias étrangers se sont concentrées sur la relation de Qin avec l’ancienne animatrice de Phoenix TV Fu Xiaotian, sur leur fils présumé et même sur le recours potentiel à une mère porteuse pour lui donner naissance sur le sol américain.
Après la publication de l’article du Financial Times sur « l’affaire Qin Gang », certains ont suggéré de la comprendre selon le fonctionnement du régime du temps de l’ancien président Jiang Zemin. Fu Xiaotian (傅晓田) aurait ainsi très bien pu être une « espionne » (女间谍, nü jiandie) ou un « honey trap », un piège de séduction organisé par les forces anti-Xi pour compromettre Qin Gang afin de déstabiliser l’actuel numéro un chinois. Cela pourrait expliquer pourquoi Fu a « pris l’initiative » de faire allusion à sa relation sur les réseaux sociaux chinois – avant de se taire le 11 avril – et pourquoi des parties de l’histoire ont été divulguées avant l’université d’été du Parti à Beidaihe en août et avant le prochain plénum d’automne.
D’autres ont dressé un portrait plus sinistre de Fu, plus proche de celui de Li Wei (李薇), une milliardaire également connue sous le nom de « maîtresse publique » (公共情妇, gonggong qingfu). Li a utilisé ses relations avec des hauts cadres du Parti pour extorquer des avantages, du pouvoir ou échapper à la justice. Par analogie, sentant que Qin Gang essayait de se distancier d’elle après sa nouvelle nomination en octobre, Fu Xiaotian se serait sentie trahie et aurait choisi la solution « nucléaire », celle de divulguer l’affaire.
Cependant, cette affaire reste secondaire. En effet, le Parti ne sanctionne généralement pas directement les problématiques extraconjugales. Le plus souvent, ce type d’allégations est utilisé soit pour couvrir quelque chose de plus grave – ce qui serait le cas de Qin Gang -, soit utilisé par d’autres pour forcer la direction du Parti à enquêter sur une personne ciblée. En ce sens, avoir une liaison – même problématique en matière de sécurité nationale – ne suffit pas pour forcer Xi Jinping à engager l’appareil disciplinaire contre Qin Gang.
*Chose qui a sûrement fortement irrité Wang Yi, Yang Jiechi et plusieurs autres au sein du ministère.
Aussi, compte tenu du fonctionnement du Parti et du fait que Qin Gang n’a encore été soumis à aucune forme de discipline administrative ni de sanction pénale, il se trouve probablement encore dans l’antichambre disciplinaire informelle – sessions d’autocritiques, confessions ou autres) – qui encadre les questions sensibles au sein du Parti. Cela implique aussi que la lutte entre ceux qui veulent la disparition de Qin – probablement en raison de son ascension rapide au sommet du pouvoir* – et Xi Jinping n’est pas encore terminée. D’une certaine manière, et parce qu’il a conservé son statut de conseiller d’État jusqu’à présent, nous pouvons supposer que Qin n’a pas été complètement écrasé par les histoires alimentées par les médias étrangers.
Ce point est important pour nous dans la mesure où certains acteurs au sein du Parti aiment exploiter le besoin d’information des médias étrangers à des fins personnelles. De ce point de vue, on voit bien que les éléments divulgués servaient à discréditer Qin Qang, mais aussi à embarrasser Xi Jinping. L’utilisation des médias étrangers est une stratégie assez commune, employée par certains des membres du Parti pour faire pression sur la direction en période de lutte ou de crise interne.

Pas de solution claire ?

À l’heure actuelle, Qin est porté disparu depuis plus de trois mois. Sans aucun doute, chaque aspect de sa vie en Chine et aux États-Unis est en train d’être scruté par l’appareil disciplinaire. Comme indiqué précédemment, le fait que Qin ait potentiellement un enfant né sur le sol américain n’est pas la question clé. La « tromperie » de Qin, alors que favorisé par Xi, est devenue pour certains une bonne occasion de soulever un problème potentiel de loyauté. Ce qui force ainsi le président chinois à envisager une punition qui pourrait servir d’avertissement pour d’autres. Pour ces mécontents, l’amorce du problème serait qu’un enfant né aux États-Unis – par maternité de substitution ou non – obtient naturellement la citoyenneté américaine.
Bien qu’il s’agisse d’une stratégie de sortie et d’un filet de sécurité assez courant pour de nombreux cadres et hauts placés du Parti, c’est probablement sur ce point que les opposants de Qin Gang ont dû marquer des points auprès de Xi Jinping : si le fils de Qin est effectivement américain, alors, comment peut-il suivre la « ligne de combat » imposée par le Parti et se battre honnêtement pour les intérêts de la Chine lorsqu’il traite avec les États-Unis ? En plus, comment pourrait-il se battre pour la Chine alors que l’attitude guerrière pourrait éventuellement conduire à une confrontation entre les deux pays, et donc, entre lui et son fils présumé ? Par conséquent, ce qui intéresse les mécontents n’a rien à avoir avec Fu Xiaotian en tant que telle. Ils ont voulu pointer une problématique beaucoup plus chère aux yeux de Xi et jouer la carte de la loyauté pour torpiller Qin.
Cependant, le Parti est maintenant confronté à un autre problème au sujet de Qin Gang. Si rien ne découle de sa prétendue relation avec Fu Xiaotian et qu’aucun autre problème majeur n’est trouvé, alors que faire de lui ? Le Parti n’a pas de solution claire quant à la potentielle libération ou même la réapparition de l’ex-ministre.
Dans l’état actuel des choses, le fait que Wang Yi soit le « nouveau » ministre des Affaires étrangères n’est pas une solution à long terme pour Xi. Qin peut-il revenir en tant que ministre au milieu de toutes les luttes de pouvoir impliquant son ancien ministère ? Hautement improbable. Pourtant, compte tenu de ses « bons et loyaux services » et de la manière dont il a toujours mis en œuvre la ligne de Xi, son retour sous une forme ou une autre reste un événement possible.

« L’incident Prigojine » a poussé Xi Jinping à bout

Même avant le XXème Congrès du Parti, Xi Jinping a tenté en vain de constituer une équipe stable et loyale pour diriger la Chine dans la « nouvelle ère ». Mais les mauvaises performances de l’économie chinoise, combinées à des tensions internationales accrues, ont conduit à encore plus d’anxiété au sein du Parti. La mutinerie de Wagner en Russie et « l’incident de Prigojine » qui a suivi semblent avoir poussé Xi Jinping à bout. Il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas faire pleinement confiance à sa propre équipe et qu’il fallait tout remettre en question.
Le dilemme politique auquel Xi est actuellement confronté, vu l’atmosphère au sein du Parti, est simplement intenable. Si Qin Gang réapparaît, on aura bien du mal à expliquer lors des conférences de presse ministérielle pourquoi sa situation diffère de celle de son ancien collègue de la Défense Li Shangfu. Cela mettra également en évidence que certains sont « plus égaux que d’autres » aux yeux de Xi.
Cette attitude risquerait de provoquer davantage encore la colère du haut commandement de l’Armée de libération populaire – y compris de Zhang Youxia (张又侠), le numéro deux de la Commission militaire centrale, désormais porté disparu. Enfin, si Qin réapparaîssait réellement, qu’en serait-il de Wang Yi et des autres dirigeants qui ont bénéficié de son absence – et qui ont potentiellement orchestré sa chute ? Quel que soit le résultat, il n’existe simplement aucun scénario dans lequel Xi arrive à s’en sortir sans perdre un peu la face.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.