Politique
Analyse

Chine : pourquoi la victoire de Xi Jinping n'est pas totale

Le président chinois Xi Jinping après la présentation du nouveau comité permanent du Politburo du Parti communiste chinois, le 23 octobre 2022 à Pékin. (Source : KPBS)
Le président chinois Xi Jinping après la présentation du nouveau comité permanent du Politburo du Parti communiste chinois, le 23 octobre 2022 à Pékin. (Source : KPBS)
Au lendemain du XXème Congrès du Parti communiste à Pékin, d’aucuns se sont empressés de soutenir l’idée d’une victoire totale de Xi Jinping. Cependant, « l’incident Hu Jintao », loin d’affirmer sa puissance, a donné une mauvaise image de Xi aux yeux des autres hauts dirigeants du Parti. Le nouvel arrivage de cadres au sein du Politburo et du Comité central laisse aussi penser que la situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Impossible donc de proclamer une « victoire écrasante » pour Xi. Le président chinois est certes dans une position majoritaire, mais la lutte de pouvoir interne au Parti est loin d’être terminée.
La distinction est nécessaire entre l’arrivée de cadres fidèles à Xi Jinping, les opportunistes, les « repentis » – ou les déserteurs d’autres factions – et ceux qui représentent des intérêts sectoriels datant d’avant l’arrivée de Xi au pouvoir. Exemple avec le Comité permanent : au moins trois de ses membres sont « repentis » – Wang Huning, Ding Xuexiang et Zhao Leji. Au sein du Politburo, bon nombre de sièges sont occupés par de représentants de la « clique de l’aérospatiale », des « technocrates 2.0 » en quelque sorte. Or cette clique doit beaucoup à Jiang Mianheng, le fils de l’ancien président Jiang Zemin. D’où la question : qui a vraiment besoin de qui ? À lire entre lignes le rapport de travail du secrétaire général du Parti, se dessine un objectif d’autonomie et d’autosuffisance, militaires et civiles. Pour l’atteindre, Xi, qui s’est débarrassé des réformateurs (改革派, gaigepai), a besoin de ces technocrates pour procéder à ses propres réformes. Ces dernières, notons-le, reviennent d’ailleurs à une rectification politique vers la gauche. En ce sens, les « repentis » ne sont pas nécessairement pro-Xi, mais surtout en faveur de cette politique tendant vers l’autosuffisance, dans la mesure où cet agenda leur garantit une place de choix et des bénéfices directs.
Autre remarque : Zhou Qiang est toujours au Comité central, comme plusieurs autres cadres proches de « l’ancien régime », le réseau de pouvoir de Jiang Zemin. Ainsi, même s’il faudra attendre le remaniement ministériel de mars prochain pour y voir plus clair, les grands perdants du XXème Congrès sont avant tout les réformateurs et les alliés de Hu Jintao, liés ou non aux Jeunesses communistes. Comme en 2017, Xi Jinping, semble-t-il, a dû négocier avec d’anciens membres du Politburo et demeurer fidèle à « l’ancien régime ». Cela expliquerait pourquoi on retrouve Chen Wenqing – qui ne fait pas partie de ses proches alliés – au sommet de la Commission des affaires politiques et légales. De même pour Zhang Gaoli – pourtant agacé par Xi et son rôle présumé dans l’affaire Peng Shuai* -, pour Zeng Qinghong, bras droit de Jiang Zemin, et plusieurs autres proches de l’ancien numéro un chinois, qui étaient bien présents au Congrès. Voilà qui démontre, en plus de l’incapacité de Xi Jinping à faire inscrire dans la Constitution du Parti la « pensée de Xi » (习思想) et son statut de « leader du peuple » (人民领袖), qu’il reste encore des éléments qui s’opposent à lui et l’ont forcé à négocier. Rien ne permet de penser par ailleurs que Hu Jintao fasse partie de ces opposants.

Graines de la discorde

À vrai dire, même si Xi Jinping est désormais en position majoritaire, cela ne règle en rien la logique de lutte intra-Parti, bien au contraire. Car les associés de « l’ancien régime » pourront lâcher prise et laisser la zizanie s’installer au sein des alliés de Xi, qui sera inévitablement forcé de favoriser un groupe plutôt qu’un autre. Ce favoritisme risque d’engendrer de l’irritation ou du ressentiment, et bien entendu, des tensions entre les différents soutiens du président. Xi aura par la suite bien du mal à trancher et risque de ne pas apprécier son nouveau rôle d’arbitre. Alors qu’il ne cesse de se trahir en parlant constamment de « sécurité » et en ayant besoin que tous « fassent comme si » en lui lançant des fleurs, Xi Jinping n’a pas vraiment réussi à consolider sa position au sein du Parti. En fait, il a lui-même semé les graines de la discorde dans le PCC pour les années à venir.
Malgré tout, Xi a réussi à unifier les hautes instances du Parti autour de son idéologie – erreur subversive s’il en est. L’absence de réformateurs ou de cadres pro-réformes, pro-ouverture, pro-harmonie sociale ou en faveur du compromis, au profit de la « nouvelle gauche » et des cadres prêts à mettre en place la ligne de Xi, obligera Pékin à garder le cap en matière de politique intérieure comme extérieure. Désormais, il ne reste presque plus, voire aucun cadre à même de s’opposer ou de proposer des idées différentes dans les hautes instances du Parti. Cela risque de pousser le PCC à entreprendre des politiques encore plus à gauche prônant la fermeture économique et idéologique. La Chine pourrait devenir encore plus belliqueuse, agressive sur la scène internationale et protectionniste sur le plan domestique. Le discours dominant est à présent celui de l’irréversibilité du découplage déjà amorcé avec les États-Unis, ainsi que de la nécessité de régler la question taïwanaise, peu importe ce qu’en pensent les pays occidentaux. Cette posture, qui risque d’accroître les condamnations venues de l’étranger, viendra aussi confirmer que le Parti « suit le bon chemin », que la Chine doit « défendre ses intérêts » et doit « aller de l’avant » dans la région. Une telle logique interpelle à la vue de la rectification de l’économie nationale : Xi est convaincu que la Chine s’est assez développée et que le Parti peut maintenant revenir à une ligne plus proche de la vision de Mao.

Chaos potentiel ?

Que dire enfin de l’aspect le plus sensible, le plus subversif : qui pour succéder à Xi ? La promotion « unique » de Ding Xuexiang, le seul représentant de la 6ème génération, envoie un message clair au Parti : Xi Jinping n’est pas prêt ni ne veut partager le pouvoir. Il n’est pas non plus prêt à nommer un successeur ou une équipe de transition. Regardez attentivement le nouveau Comité central : il ne compte aucun cadre de la 7ème génération. Non seulement le Parti a échoué à poursuivre sa politique de rajeunissement et de renouvellement, mais il s’enfonce depuis 2012 dans la stagnation. Xi n’a nommé aucun potentiel successeur et, pire encore, il serait même difficile aujourd’hui de trouver un cadre qui accepterait cette tâche ingrate. Quel avantage à être le successeur de Xi ? La grande majorité des cadres en position de prendre sa suite refuserait ce titre.
Le tableau dressé ici n’est guère optimiste, convenons-en. Cela dit, l’exclusion des réformateurs au profit du groupe dits des « jeunes instruits » (知青, zhiqing), ces cadres envoyés comme Xi Jinping à la campagne durant la Révolution culturelle, risque fort d’entraver la résolution des problèmes sociaux et économiques en Chine. S’ensuivront des tensions entre les technocrates et ces « jeunes instruits », ainsi qu’au sein des différents réseaux de Xi, chacun des groupes cherchant à monopoliser l’accès au numéro un chinois. Le tout risque de déstabiliser le fragile équilibre qui semble exister entre ces différentes factions aujourd’hui et mener à une période potentiellement chaotique pour la Chine. L’histoire n’est malgré tout pas encore écrite. Rien n’interdit de penser que le Parti saura réévaluer ses priorités pour revenir à un modèle « productiviste » et éviter que le régime ne bascule.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.