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Chine : derrière le succès de la mission lunaire, l'aérospatiale échappe encore au contrôle de Xi Jinping

La sonde chinoise Chang'e-5 a réussi à se poser sur la lune le 1er décembre 2020 avant d'en ramener des échantillons sur Terre le 17 décembre. (Source : NYT)
La sonde chinoise Chang'e-5 a réussi à se poser sur la lune le 1er décembre 2020 avant d'en ramener des échantillons sur Terre le 17 décembre. (Source : NYT)
C’est une première depuis 44 ans. La sonde spatiale chinoise Chang’e-5 a rapporté ce jeudi 17 décembre des échantillons de Lune. Il s’agit de la première mission de ce type depuis les Soviétiques en 1976, et les Américains avant eux. Xi Jinping a adressé ses « chaleureuses félicitations » aux équipes chargées de la mission : « Votre brillant exploit restera gravé dans la mémoire de notre patrie et de notre peuple. » Le numéro un chinois investit beaucoup dans l’aérospatiale, secteur clé pour le « Grand Bond en avant technologique » qui constitue son « rêve chinois ». Mais voilà un secteur que le président est très loin de maîtriser politiquement. Les cliques affiliées à « l’Ancien régime », le tentaculaire réseau de pouvoir de l’ancien président Jiang Zemin, y sont toujours dominantes. En témoigne la récente nomination du patron de l’Académie des Sciences de Chine.
Le 26 novembre, Hou Jianguo (侯建国) a été nommé secrétaire du Parti pour l’Académie des Sciences en prévision de la retraite de Bai Chunli (白春礼), un cadre déjà âgé de 67 ans proche du fils de Jiang Zemin, Jiang Mianheng (江绵恒). Jusque-là vice-président et secrétaire adjoint du Parti de l’Académie, Hou est lui-même remplacé par Yin Hejun (阴和俊), un ancien de l’Académie qui rentre au bercail après cinq années passées entre le ministère des Sciences et Technologies, et les municipalités de Pékin et Tianjin. Le 6 décembre, Yu Yingjie (于英杰), un vétéran de l’Académie, a été nommé vice-secrétaire général de l’Académie, adjoint direct de Wang Keqiang (汪克强), une vieille connaissance de Jiang Mianheng. Dans les faits, ces changements ne font que renforcer le statu quo à l’intérieur de l’Académie, une institution qui accueille très peu d’outsiders en son sein.

Expérience américaine et allégeance bien placée

Né dans le Fujian, Hou commence sa carrière à l’Université des Sciences et Technologies de Chine en 1995. Il revient alors tout juste de quatre ans aux États-Unis, où il a obtenu un post-doctorat à l’Université de Californie à Berkeley, avant d’être chercheur invité à l’Université de l’Oregon. De retour au pays, le chimiste cheminera pendant cinq ans entre le centre de recherche en physique fondamentale, le Centre d’analyse de la composition structurelle et le Centre des sciences physiques et chimiques. Il devient ensuite vice-doyen de l’Université des Sciences et Technologies, sous la direction de Zhu Qingshi (朱清时), qu’il remplace En 2008.
Un an plus tard, le fils de Hou, Hou Zhiyuan (侯致远), est admis à cette même Université dirigée par son père, moyennant une note de 611 aux examens d’entrée. Or, la note minimale pour la province de l’Anhui – Hou Zhiyuan était étudiant au lycée numéro un de Hefei – était de 668. Un tel favoritisme sucita un tollé, sachant le climat de compétition intense au Gaokao, le très sélectif examen d’entrée à l’université. Par la suite, Hou Zhiyuan est affecté à une classe-pilote de réforme de l’enseignement qui n’admet généralement que les étudiants ayant les scores les plus élevés au Gaokao. Ces informations ne font bien entendu pas partie du profil public de son père.
En 2015, après sept ans à la tête de l’université, Hou Jianguo est nommé vice-ministre des Sciences et Technologies. Le ministère est alors dirigé par Wan Gang (万钢), un proche de Jiang Mianheng. Hou ne restera en poste que quelques mois avant d’être envoyé en province, comme secrétaire adjoint du Parti au Guangxi. Il remplace alors Li Ke (李克), un membre de l’élite locale. Là, Hou aurait dû rester en poste, en principe, de 2 à 5 ans au minimum, tout en espérant, à l’instar de Guo Shuqing (郭树清), devenir gouverneur de la province. Mais Hou ne demeure en poste que onze mois avant d’être remplacé par Sun Dawei (孙大伟), directeur adjoint de l’Administration générale du contrôle de la qualité, de l’inspection et de la quarantaine depuis 2010. C’est Hou Jianguo qui le remplace en juin 2017, en plus de devenir secrétaire du Parti pour le bureau central, ce qui lui donne un rang ministériel. Moins d’un an plus tard, en mars 2018, Hou est rapatrié à l’Académie des Sciences en tant que secrétaire adjoint. Il remplace le « secrétaire particulier » (mishu) de Wu Guanzheng (吴官正). Ainsi, Hou Jianguo est considéré comme membre de la « clique de Jiang Zemin », la « jiangpai », et plus précisément du fils de l’ancien président. Jiang Mianheng fut d’ailleurs lui-même en poste à l’Académie des Sciences de 1999 à 2011.

Un adjoint aux dents longues

*Clique qui d’ailleurs prend son envol vers la fin des années 1990, sous la direction de Jiang Mianheng qui en fut le premier patron, contrairement à ceux qui associent cette clique à Xi Jinping.
Le nouvel adjoint de Hou Jianguo, Yin Hejun est lui aussi un proche de Jiang Mianheng. Mais il semble dans une meilleure position. Son parcours est similaire à celui de Hou – jusqu’à être devenu comme lui vice-ministre ministre des Sciences et Technologies de 2015 à 2017. Cependant, Yin sera envoyé à Pékin et non au Guangxi. En mars 2017, Yin Hejun devient membre du comité permanent de la municipalité. Souvent – et c’est le cas de Hou Jianguo -, les universitaires ne sont pas toujours très compétents en matière de politique. Malgré tout, Yin réussit à devenir membre suppléant du comité central en 2017. Enfin, en octobre 2018, il est envoyé à Tianjin comme secrétaire adjoint du Parti de la municipalité pour remplacer Huai Jinpeng (怀进鹏), un membre de la « clique de l’aérospatiale » (hangtianxi, 航天系), tout comme Ma Xingrui, Yuan Jiajun et Xu Dazhe*.
Pour l’instant, Hou Jianguo est dans la ligne de succession de Bai Chunli, sans toutefois être un vrai candidat pour le poste. Âgé déjà de 61 ans, il n’est pas dit que son successeur, Yin Hejun (57 ans) ne lui sera pas préféré en 2023 lors du remaniement ministériel. Il ne faut non pas oublier que Wang Zhigang, l’actuel ministre des Sciences et Technologies, aura 65 ans 2023 et devra être remplacé. Les candidats expérimenté sur la côte est, comme Yin Hejun par exemple, pourraient facilement reprendre le flambeau en mars 2023.

Des cliques insoumises à Xi Jinping ?

Cependant, Xi Jinping est en ce moment concentré sur les remaniements en province, champ de bataille clé – surtout au Shandong et au Fujian – avant le XXe Congrès de 2022. Pour l’instant, il semble négliger un peu la question des sciences, secteur qui pourtant possède des ramifications importantes dans le domaine des télécoms, de l’aéronautique, de l’aérospatiale ou des hautes technologies. Ce faisant, des cadres associés à « l’Ancien régime » continuent de progresser au sein des institutions comme l’Académie des Sciences, dont Xi a vraiment besoin pour lancer son « Grand Bond en avant technologique ».
*中国船舶重工集团.
Cette réflexion s’applique aussi au secteur de l’exploration spatiale et de l’aérospatiale en général. La « clique militaire » (jungongxi, 军工系) et la « clique aérospatiale » sont-elles vraiment sous le contrôle du numéro un chinois ? En réalité, la partie est encore loin d’être gagnée. En témoigne la mise en examen le 12 mai dernier de Hu Wenming (胡问鸣), ex-président de la China Shipbuilding Corporation*, pour ses liens notamment avec Jiang Zemin et Guo Boxiong, l’ancien vice-président de la Commission Militaire Centrale. Jusqu’à quel point les membres de la « clique de l’aérospatiale » soutiennent-ils vraiment Xi Jinping comme dirigeant suprême ? Profitent-ils plutôt de son ouverture budgétaire pour le secteur de l’aérospatiale ? Il est permis de se le demander.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.