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Chine : Xi Jinping va-t-il se débarrasser de son idéologue en chef, Wang Huning ?

Wang Huning, lors de la présentation du comité permanent du Politburo du Parti communiste chinois, dont il est membre, le 25 octobre 2017 à Pékin. (Source : QZ)
Wang Huning, lors de la présentation du comité permanent du Politburo du Parti communiste chinois, dont il est membre, le 25 octobre 2017 à Pékin. (Source : QZ)
Celui qui a inventé le « Rêve chinois » est sur la sellette. Wang Huning, chef idéologue du Parti communiste chinois, éminence grise du pouvoir central depuis la fin des années 1990, vient de céder sa place à la tête de la structure qui conçoit l’idéologie du PCC. Le début des grandes manœuvres dans la perspective du XXème congrès de 2022, pour lequel Xi Jinping n’a pas choisi de successeur.
Lors de la dernière journée du 5e plénum, le 29 octobre, et considérant que Xi Jinping ne nomma personne pour le remplacer, un changement de dernière minute vint changer la donne : Wang Huning, le « vizir » et idéologue en chef du Parti, directeur de l’institut central de recherche politique (中央政策研究室) – le think tank Numéro un du PCC – passa la main à Jiang Jinquang (江金权). Entré en politique en 1994 à la demande de Jiang Zemin, Wang demeure malgré tout l’un des membres les plus influents du pouvoir en Chine. Il reste chef du groupe dirigeant sur la « construction du Parti » (党的建设工作领导小组) et à la tête du groupe dirigeant sur l’idéologie (宣传思想工作领导小组). N’oublions pas non plus que Wang est aussi le directeur de la Commission centrale d’orientation sur la construction de la civilisation spirituelle (精神文明建设指导委员会). Il est encore responsable adjoint, derrière Xi Jinping, de la Commission centrale d’approfondissement global des réformes (中央全面深化改革委员会). Vu sous cet angle, ce changement de dernière minute ne modifie pas la donne pour Wang dans l’immédiat. Mais il est permis de penser que ce n’est que le début du processus.
Que penser du « successeur » de Wang Huning ? Jiang Jinquan travaille au sein de l’organisation dirigée par Wang Huning depuis le début des années 2000. Il s’est rapproché du « vizir » surtout à partir de 2013. Apparatchik apprécié, Jiang n’a jamais été très en vue dans les élites politiques chinoises, contrairement à He Yiting (何毅亭), qui lui a passé près de 24 ans dans le centre de recherche en plus d’être l’un des proches de Xi Jinping lorsque ce dernier dirigeait l’École centrale du Parti. Jiang est un « double-non » ou suangfei (双非) : il n’est ni membre ni du Comité central ni membre suppléant du même Comité. Il est déjà au rang ministériel depuis 2019 (60 ans), ce qui est acceptable, mais en aucun cas remarquable. Comparé à Zhou Qiang (1960), président de la Cour suprême populaire et cadre de rang vice-national depuis l’âge de 53 ans, Jiang est davantage un cadre de seconde zone, un peu comme Chen Yixin (陈一新). Jiang peut encore « grandir » à l’intérieur du Parti, mais de manière assez limitée jusqu’à 2022, et potentiellement entre 2022 et 2027. Cependant, sachant que les cadres de premier plan qui veulent être promus au Comité central doivent avoir 62 ans ou moins, Jiang est déjà très juste sur l’échelle des promotions. Ainsi, il parait improbable qu’il soit en mesure de suivre les traces de Wang Huning et d’être nommé au Politburo en 2022.

Un cadre de seconde zone

*Un cadre relativement « neutre » : Huang Yuanzhi terminera sa carrière à la tête du groupe d’investigation de la Commission centrale de discipline à l’intérieur du département central de l’organisation. Il est le neveu de Huang Jie (黄杰), une révolutionnaire qui a combattu dans la région frontalière du Shanganning et l’épouse de Xu Xiangqian (徐向前), l’un des dix maréchaux de l’Armée populaire (十大元帅).
Très peu de choses sont connues des premiers pas de Jiang au Hubei au tout début de sa carrière. Il a travaillé pour le département de l’organisation du Hubei avant l’an 2000 en tant que cadre de rang « vice-divisionnaire » (副处级干部) sous les ordres de Huang Yuanzhi (黄远志)*. Toujours avant 2000, Jiang est promu à l’institut central de recherche politique, dans la section de la « construction du Parti ». À partir de 2000, on commence à trouver des mentions de Jiang comme enquêteur de rang divisionnaire (正处级调研员) dans la même section. Vers 2003, il est promu directeur adjoint du bureau de recherche sur la construction du Parti, puis directeur en 2009. Cette progression nous mène à sa prochaine promotion en 2013 : Jiang est nommé « secrétaire particulier » (mishu) du groupe dirigeant sur la construction du Parti (中央党建领导小组), alors sous la direction de l’ancien vizir de l’idéologie, Liu Yunshan. Cette progression de Jiang montre que son potentiel était apprécié des leaders « idéologiques » de l’époque, Wang Huning et Liu Yunshan.
*Potentiellement lié à l’affaire des villas et des droits miniers au Shaanxi, Zhao Leji n’est pas dans les petits papiers de Wang Qishan qui le trouve, semble-t-il, incompétent.
Jiang Jinquan « quitte » la recherche idéologique pendant deux ans (2016-2018) pour diriger le groupe de la Commission disciplinaire à l’intérieur de la SASAC, la puissante commission qui gère les actifs des entreprises d’État. Il revient par la suite remplacer Wang Xiaohui (王晓晖), à présent vice-directeur exécutif du département central de la propagande et directeur de l’office de la Commission centrale pour la « construction de la civilisation spirituelle », cadeau de Wang Huning dont il est un proche. Wang Xiaohui fut retiré du centre de recherche politique en 2018 afin de forcer Wang Huning à choisir un successeur. Comme ce dernier n’arrivait pas à se décider, les autorités centrales ont décidé d’utiliser Wang Xiaohui avant qu’il ne soit « périmé », trop vieux pour être promu ailleurs. Aujourd’hui, Wang Huning a désigné Jiang, loin d’être son premier choix, parce qu’il devait respecter l’ancienneté et les règles d’âge en matière de promotion. Il n’empêche, pourquoi Xi Jinping n’a-t-il pas tenté d’imposer l’un de ses idéologues préférés ? Il aurait pu faire nommer Li Shulei (李书磊), l’actuel secrétaire adjoint de la Commission centrale de discipline et l’une des figures les plus en vue pour remplacer Zhao Leji en 2022*.
* »中国模式 » 研究:中国经济发展道路解析 ».
Dans tous les cas, Jiang Jinquan est un spécialiste de la « construction du Parti », des théories du développement et de la consolidation du PCC, et du Parti comme parti de gouvernement. Son « œuvre » la plus connue demeure probablement une Étude sur le modèle chinois : Analyse du chemin du développement économique de la Chine, publiée en 2007*. Le livre a, paraît-il, fait forte impression sur Xi.
Que peut-on attendre de Jiang ? Qu’il soit expert de la « construction du Parti » est un point particulièrement apprécié du président chinois. Xi Jinping se sert en effet de cette idée pour refondre le Parti et étendre sa puissance à l’intérieur du Parti-État depuis 2013. Jiang Jinquan était aussi très apprécié de Liu Yunshan qui l’amena avec lui en 2016 au Shaanxi afin de mener des recherches sur la « construction du Parti ». Notons aussi que Jiang est aussi un franc partisan de la discipline et des règles du Parti. En ce sens, il devrait bien s’entendre avec Xi et tentera sûrement de continuer à mettre en œuvre l’agenda de « construction du Parti » du numéro un chinois.
Cela dit, Jiang Jinquan n’est pas Wang Huning et il ne faut pas s’attendre à ce qu’il produise des slogans et des « théories » du même calibre. Il pourrait sans doute reprendre l’agenda de Wang sur « l’éducation patriotique » et la « pensée de Xi Jinping ». Va-t-il tenter de se faire un nom et mettre en avant des slogans pour remplacer Wang ? Probablement pas. Enfin, Jiang, vu son âge déjà assez avancé, est certainement un candidat de transition à la tête du centre de recherche. Le favori et élève de Wang, Lin Shangli (林尚立), directeur adjoint du centre depuis 2020 seulement, est sans doute celui qui viendra remplacer Jiang par la suite.

Le « vizir » et les remaniements pour 2022

Après le 5ème plenum, Wang Huning a maintenant devant lui la fin de son parcours dans les hautes instances du Parti. Il voudra à tout prix éviter de finir comme Chen Boda (陈伯达), l’idéologue de la « bande des Quatre », c’est-à-dire enfermé dans la prison de Qicheng pour excès de gauchisme. Et de fait, Wang semble vouloir prendre ses distances avec l’idéologie dominante aujourd’hui, alors qu’il y est pour beaucoup.
Dans ces conditions, pourquoi quitter le centre de recherche politique qui lui assurait un ascendant direct sur l’ensemble des idées mises en avant par le Parti ? Si Wang a « décidé » de passer la main, c’est sûrement parce qu’on lui a offert quelque chose d’autre en échange. Il existe alors quatre possibilités pour lui lors du XXème Congrès. La première consisterait à prendre la porte : Xi passerait alors outre la règle du « sept monte, huit descend » (qishang baxia, 七上八下) – un cadre peut être promu jusqu’à 67 ans – alors que Wang Huning aurait 67 ans en 2022. Le président se débarrasserait d’un vizir devenu, selon certains, trop puissant pour son propre bien-être. Deuxième possibilité : Wang se retire de lui-même de la scène politique, qui l’étouffe depuis son entrée au Politburo. Troisième option : il remplace Wang Qishan à la vice-présidence. Quatrième et dernière possibilité : Wang Huning remplace Li Zhanshu à la tête de l’Assemblée nationale populaire.
Moins probables, les deux premiers scénarios pourraient poser problème à Wang qui devrait alors « retourner » à Shanghai, où il serait sûrement sous la supervision constante de Li Qiang et aussi plus vulnérable aux attaques politiques. Le troisième scénario n’est pas plus vraisemblable : voir un idéologue qui ne fait pas partie du « groupe noyau » (班底) de l’équipe de Xi Jinping (contrairement à Wang Qishan, Li Zhanshu ou Wang Chen) devenir vice-président* est peu probable. Ce poste mettrait Wang Huning dans que nous appelons le « dilemme de Lin Biao » : malgré le fait qu’il ait développé et mis en avant la pensée de Xi sans avoir vraiment contesté son pouvoir, il a semé plus d’une fois la zizanie via le système de la propagande qui contrôle aussi les médias, en plus d’avoir semblé aider à plus occasions « l’Ancien régime », le réseau de pouvoir de l’ancien président Jiang Zemin, plaçant ainsi Xi dans des positions difficiles. Tout comme Lin Biao, Wang Huning doit donc être prudent dans la manière dont il utilise le pouvoir, car, comme pour l’ancien dauphin de Mao, une phrase de trop peut mener à des « accidents ». Par ailleurs, Wang est un « penseur » et non un cadre apte à résoudre des problèmes comme Wang Qishan. Le choix du prochain vice-président reflétera sûrement ce type de caractéristiques.
Le quatrième scénario demeure intéressant dans la mesure où le poste de président de l’Assemblée nationale populaire permettrait à Wang Huning de rester très proche de Xi, tout en poussant directement l’agenda politique déjà entamé par Li Zhanshu : l’intégration avec Hong Kong, l’éducation patriotique ou la réglementation sur le travail des cadres. Vice-président de la République ou président de l’Assemblée, Wang conserverait son statut de « vizir » tout en continuant de contrôler l’idéologie du Parti. Il faudra donc attendre de voir son niveau de visibilité dans les prochains mois pour bien jauger la situation.
Le fait que Wang Huning quitte le centre de recherche à un moment aussi critique est probablement plus important que le contenu du 14e plan quinquennal. Ce changement indique que les remaniements politiques en vue de 2022 ont bel et bien commencé. Et de fait, le 20 novembre, quatre nouveaux secrétaires provinciaux du Parti ont été promus : Jing Junhai, partisan de Xi Jinping dans le Shaanxi, est à présent secrétaire du Jilin ; Xu Dazhe, membre de la « clique de l’aérospatiale » et cadre modèle pour Xi Jinping dans sa lutte contre la faction de Jiang Zemin au Hunan, est maintenant secrétaire du Hunan ; Shen Yiqin, proche de Li Zhanshu et de Chen Min’er, devient l’une des très rares femmes (si ce n’est l’unique depuis le début des réformes) à devenir secrétaire du Parti depuis 1949, elle dirigera le Guizhou ; Ruan Chengfa, l’opportuniste et associé de Yu Zhengsheng, est, lui, nommé secrétaire du Yunnan. Ces quatre promotions, aussi importantes soient-elles pour la lutte des factions au sein du Parti, compte très peu dans la course au Politburo de 2022. Il y a fort à parier qu’aucune de ces quatre provinces ne soient représentées lors du choix des prochains candidats.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.