Politique
Analyse

Réformes en Chine et statut permanent de Xi Jinping à la tête du Parti : les enjeux du 5e plénum

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Asia Nikkei)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Asia Nikkei)
La Chine de Xi Jinping va-t-elle tourner le dos aux réformes économiques pour les vingt ans à venir ? Xi deviendra-t-il le nouveau « Président à vie » du Parti communiste, prenant son contrôle de façon permanente ? C’est le double enjeu du prochain plénum du Parti, qui a lieu du 26 au 29 octobre à Pékin. Soit le moment politique décisif, non seulement pour 2020, mais pour les décennies à venir.
Il y a 10 ans, en octobre 2010, Xi Jinping était nommé vice-président de la Commission militaire centrale et successeur officiel de Hu Jintao. C’était lors du 5ème plénum du 17ème Congrès du Parti. Historiquement, les 5èmes plénums ont toujours servi à ajuster les postes importants, surtout en matière de succession ou d’alternance d’équipes entre conservateurs et réformateurs. Jiang Zemin est devenu président de la Commission militaire centrale durant le 5ème plénum du 13ème Congrès en novembre 1989. Avant lui, l’équipe des réformateurs emmenée par Hu Yaobang et Zhao Ziyang avait été nommée au comité permanent du Politburo lors du 5ème plénum du 12ème Congrès en février 1980, annonçant ainsi la fin de l’autorité de Hua Guofeng sur le Parti. Il ne faut pas oublier également que Mao a été nommé au Politburo du Parti pour la première fois lors du 5ème plénum du 6ème Congrès en 1934.
Le prochain 5ème plénum du 19ème Congrès, qui aura lieu du 26 au 29 octobre, ne devrait pas faire exception à la règle. C’est lui qui donnera le ton du 20ème Congrès et qui devrait répondre, au moins partiellement, à certaines questions importantes sur l’avenir du Parti, sur l’économie de la Chine et au final, sur sa place au sein de la communauté internationale. En particulier, trois points devraient être discutés fin octobre : le 14e plan quinquennal et les « nouveaux modèles de développement » ; les « règlements concernant le travail du Comité central du Parti » ; les nominations préparant, ou non, une équipe de transition pour 2022.

Plan de relance ?

*Ce qui va à l’encontre de la « Stratégie de sortie à l’extérieur » (走出去战略, zouchuqu zhanlüe) lancée sous Jiang Zemin en 1999.
Alors que se dessinent sous nos yeux les contours de la « nouvelle » économie chinoise, que nous qualifierons au mieux d’ambivalente, le regard des marchés internationaux reste braqué sur le 14ème plan quinquennal et le signal qu’il enverra pour l’avenir de l’économie chinoise. Pour l’instant, le Parti parle depuis mai dernier de « nouvelles avenues de développement », directement liées à la notion de « circulation duale ». Cela implique d’une part un rappel des entreprises d’État vers la Chine continentale afin d’approvisionner l’économie domestique et stimuler la demande nationale pour les produits « chinois »* ; et d’autre part, une utilisation de « l’extérieur » comme un « supplément ». Ce qui va dans le sens des multiples appels à « l’autonomie » et à « l’autosuffisance » lancés par Xi Jinping.
Dans l’histoire de la Chine populaire, ce n’est pas, loin s’en faut, la première fois que ces deux termes sont utilisés par le pouvoir central. Ce fut déjà le cas lorsqu’en novembre 1940 le Parti communiste était en pleine guerre civile avec le Kuomintang. Par la suite, bien entendu, le Grand Bond en avant en juin 1958 a célébré « l’autosuffisance comme la base et l’aide étrangère comme le supplément » (自力更生为主,争取外援为辅). Puis en 1964, le slogan est revenu : « Il faut travailler dur et être autosuffisant » (奋发图强,自力更生). Cependant, l’appel à l’autosuffisance trahit un sentiment d’incertitude venant du Parti et devrait rappeler de très mauvais souvenirs aux plus de 68 ans.
*D’où le slogan classique : « les entreprises d’État avancent, les entreprises privées reculent » (国进民退, guojin mintui).
Aujourd’hui à Pékin, le Parti nous parle beaucoup d’une « zone socialiste pilote » à Shenzhen. Mais peu de déclarations sur les entreprises privées ni sur un plan de relance mettant directement l’accent sur le consommateur chinois. Il s’agirait plutôt d’une relance par le biais des entreprises d’État* : on annonce le retour de l’État planificateur – pour ne pas parler de « dirigisme », terme ici trop faible – ainsi que de nouveaux objectifs de développement dans le secteur des hautes technologies pour éviter les sanctions américaines. En outre, selon le Parti, cette « stratégie » sera déployée en partie par les provinces et les gouvernements locaux inférieurs. Cela ressemble à un retour à la fin des années 1980 et au début 1990 : un développement orienté et partiellement décentralisé.
*C’était en l’occurrence sa troisième tournée après novembre 2012 et octobre 2018. **La « poursuite des réformes », annoncée par cette visite, ne se voulait peut-être qu’une concession aux réformateurs.
En parallèle, Pékin parle d’ouverture sur le marché des obligations et des assurances ainsi que d’ouverture concernant les agences de crédits internationales. « La tournée dans le Sud » (南巡) de Xi Jinping durant la deuxième semaine d’octobre* n’a pas totalement éclairci le message. Selon la tradition instaurée par Deng Xiaoping, ce type de tournée doit adresser un message au monde extérieur sur les réformes. Mais les investisseurs demeurent confus sur les intentions véritables de Xi**. Car sa récente tournée s’apparenterait plutôt à de la « gestion de crise » alors que les conséquences de la nouvelle loi sur la sécurité nationale à Hong Kong commencent à se faire sentir sur les zones économiques avoisinantes, Shenzhen et Zhuhai en tête.
La Chine se trouve actuellement à l’entrée d’un carrefour giratoire à trois sorties : elle peut aller tout droit et maintenir un statu quo ambivalent avec une économie qui jongle avec des éléments de marché et la lourde existence de l’État léniniste ; elle peut bifurquer vers la gauche et donc faire marche arrière en matière de réformes ; ou prendre à droite et entreprendre des réformes profondes de sa structure économique. Même le scénario du statu quo ne laisse que peu de place aux réformes globale du style des années 1980 : il ne permettrait au Parti que de petits ajustements (par exemple sur le régime de propriété privée, comme en mai dernier). Enfin, dans la mesure où Li Keqiang a été mis de côté durant les rencontres du Parti sur l’économie de la fin août et de septembre, il est peu probable que l’on tourne vers la « droite ». Dans tous les cas, les décisions et les éléments qui forment le 14ème plan seront lourds de conséquences pour l’orientation de l’économie chinoise des dix voire même des vingt prochaines années.

Xi enchaîné au Parti ou le Parti enchaîné à Xi ?

Le second point qui mérite notre attention est celui des « règlements concernant le travail du Comité central ». Lors du 5ème plénum, les quelque 300 membres (et membres suppléants) du Comité central devront « réviser » le « règlements concernant le travail du Comité central ». Ce document pourrait inclure une mention sur l’autorité de Xi : à savoir, maintenir l’autorité du Comité central du Parti avec un direction unifié autour de Xi Jinping, dont il serait le « noyau ».
Si cette mention devenait réalité, alors quelle n’existait pas sous Jiang Zemin ni même sous Hu Jintao, Xi aurait réussi à lier son destin à celui du Parti tout en se plaçant au-dessus de lui, en échappant aux règles. Cet éventuel nouveau statut permanent de Xi comme « noyau » du Comité central et donc du Parti, lui donnerait l’occasion de demeurer en poste après le XXème Congrès en ne conservant qu’un, voire deux des trois postes formant la « trinité » du Parti : secrétaire général, président de la République populaire et président de la Commission militaire centrale. Selon d’autres observateurs, Xi pourrait procéder ainsi afin de faire renaître le poste de « Président du Parti » comme du temps de Mao.
*L’arrestation des associés de Wang Qishan fait en quelque sorte partie de ces frustrations : Wang demeure quand même proche des autres enfants du Parti et reste en bons termes avec les franges plus « libérales » et réformatrices du PCC.
Cela dit, cette attitude centralisatrice trahit la frustration de Xi quant aux résistances et aux luttes qui existent dans les hautes sphères du Parti, et même tout près de lui*. S’extraire du Parti – ou encore, devenir le Parti – permettrait à Xi de contrôler (au moins de son point de vue) l’ordre du jour des réunions du Politburo, mais aussi de tenir en laisse les autres membres du Comité central.
*中央全面深化改革委员会. **Xi n’a fait qu’utiliser le Parti contre lui-même, à l’instar de Deng au tout début des réformes avec les zones économiques spéciales.
Ce type d’incursion est typique des tactiques employées par Xi depuis 2013 afin de prendre le contrôle du Parti et consolider sa position. En premier lieu, il y a bien entendu la lutte anti-corruption – l’épée de Xi – et ce qu’on appelle la « construction du Parti » (建党, jiandang). Cette dernière tactique est moins explicite que la première, mais beaucoup plus pernicieuse. Elle a commencé lors de la création de la « Commission centrale pour l’approfondissement des réformes »*, organisme qui détermine les orientations pour réformer les systèmes politiques, sociaux ou économiques. Son objectif : résoudre les problématiques liées aux réformes. Cette commission, qui peut passer outre les processus bureaucratiques, a été le second glaive de Xi durant son premier mandat. C’est grâce à elle qu’il a pu ramener sous sa seule autorité une multitude de commissions et de groupes dirigeants, isolant ainsi ses opposants**.
Mis à part Xi et sa position de plus en plus importante et imposante, cette nouvelle réglementation contraindra aussi les cadres du Parti à être responsables de la mise en place des « 4 consciences ». Parmi elles, celle d’être « conscient du noyau » (核心意识), et une autre appelée « deux soutiens » (两个维护) – soutenir la position de Xi en tant que « noyau » du Comité central et du Parti et soutenir la direction centralisée et unifiée du Parti. À ce stade, le Parti et Xi deviennent presque indissociables.
Il faudra voir si le président chinois réussit à pousser son statut lors du plénum, statut qui rendrait obsolète la question de la succession de 2022 et ouvrirait simplement la porte à la question de son remplacement en tant que président de la République, un peu à la manière de Vladimir Poutine en 2008 avec Dmitri Medvedev.
En ramenant le Parti (à gauche, qui plus est) à l’intérieur de la vie de l’ensemble des Chinois, Xi s’est mis à dos une partie non négligeable de la « deuxième génération de rouges » (红二代) ainsi qu’une partie importante de cadres qui pensaient être promus selon les règles existantes depuis Jiang Zemin. Et c’est sans parler des mécontents en poste au Comité central ainsi qu’au Politburo. Ce faisant, ce mouvement vers la centralisation du pouvoir entre les mains de Xi risque de créer encore plus de résistance envers son équipe Xi d’ici 2022.

Naviguer en eaux troubles

Comme il est d’usage avant les rencontres politiques importantes, plusieurs cadres ont été arrêtés et mis en examen. Plus souvent que de coutume, ceux-ci ont des liens avec les forces en présence. Avant le 5ème plénum, on a vu Ren Zhiqiang et Dong Hong – deux des associés de Wang Qishan – être interpellés. Le signal est clair, mais demeure curieux : Wang Qishan sera mis de côté dans les prises de décision jusqu’au potentiel changement de garde en 2022. Il est improbable que Xi se débarrasse de lui de manière publique : Wang bénéficie de beaucoup trop de soutien à l’intérieur du Parti pour que Xi puisse agir ainsi. Plus encore, une telle mise à l’écart remettrait également en cause le bien-fondé de la campagne anti-corruption de 2013-2017. Il se pourrait plutôt que Wang tire sa révérence juste après le 20ème Congrès (en mars 2023), comme l’avait fait Li Yuanchao en mars 2018.
Du côté du Conseil d’État, on devrait recevoir des signaux clairs sur la transition de Li Keqiang à Hu Chunhua, mais aussi sur la nomination potentielle de Li Qiang au poste de vice-premier ministre. Si tel est le cas, Li pourrait entrer au Comité permanent avec Hu Chunhua et laisser le siège de Shanghai à un autre des alliés de Xi. Wang Xiaohong, ministre adjoint de la Sécurité publique, devrait prendre le poste de Zhao Kezhi entre novembre et mars 2021 (chose que Xi souhaite depuis un moment déjà). Zhao, déjà en poste depuis deux ans (minimum « officiel ») pourrait remplacer Guo Shengkun, secrétaire de la Commission des affaires politiques et légales, jusqu’en 2022. Il serait plus approprié pour Wang Xiaohong d’attendre 2022 (ou mars 2023), mais d’ici là, ce dernier aura déjà atteint la limite des 65 ans pour un poste de rang ministériel. Dans tous les cas, si Xi veut remplacer Zhao Kezhi, il devra promouvoir Wang Xiaohong rapidement d’ici la fin 2021. Il est aussi possible que Cai Qi, secrétaire du Parti de Pékin, soit transféré à un autre poste en 2022. Xi souhaite faire taire Wang Yang, président de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC), qui semble jouer les troubles fêtes depuis un moment déjà en faisant des commentaires publics sur les agissements du Parti. Reste à observer qui pourra remplacer Cai Qi dans la capitale.
*Membre de la « Bande des 4 » (四人帮), secrétaire particulier (mishu) politique de Mao, directeur du groupe dirigeant central sur la Révolution Culturelle (中央文化革命小组) et directeur du bureau de recherche politique du Comité Centrale 中央政治研究室 (l’ancêtre du centre de recherche que dirige Wang Huning) de 1941 à 1945, de 1955 à 1964, de 1967 à 1970.
Que dire enfin de Wang Huning ? Certains suggèrent que le directeur du Département central de la Propagande, Huang Kunming, un membre de la bande du Zhejiang de Xi, pourrait être appelé à jouer un rôle plus important en matière d’idéologie. Mais rien n’est moins sûr. Huang se fait déjà « marcher dessus » par Wang dans le système de la propagande (文宣系统) en plus d’être trop âgé. Wang Huning, qui voudra éviter le sort de Chen Boda (陈伯达*), emprisonné à Qincheng jusqu’à sa mort en 1989, tentera de rester près du pouvoir après le 20ème Congrès en tant que possible remplaçant de Wang Qishan. Cela dit, voir un idéologue seconder Xi ne sera pas bien reçu par les autres forces en présence dans le Parti. Le remplaçant de Wang Huning pourrait ressembler davantage à Li Shulei (李书磊), un idéologue pro-Parti, considéré également comme un érudit, déjà très apprécié de Xi.

Tradition et modernité du Parti

*Xi doit se sentir, un peu comme Bo Xilai avant lui, comme le « sauveteur » du Parti et du système communiste tel qu’il fut conçu. C’est probablement ce « romantisme » qui aura raison du système au bout du compte.
Depuis un moment déjà, Xi Jinping semble coincé dans un jeu de synthèse entre Mao et Deng, entre le passé et le futur de la Chine. Cependant, il tire à présent beaucoup plus vers la gauche – le « néo-maoïsme ». Si bien que l’effet de retour – car tôt ou tard le balancier finira par revenir – risque de ramener la Chine in fine vers un cycle de réformes encore plus dramatique que celui du début des années 1980. Xi semble être conscient de cette réalité, lui qui avait 23 ans à la mort de Mao et qui était aux premières loges du cycle des réformes à la fin des années 1970. Il sait aussi ce qui est advenu de l’héritage de Mao ainsi que des partisans des « deux peu importe » (两个凡是) après 1978. Dans cette optique, il semble logique que Xi veuille faire avancer le plus grand nombre possible de ses alliés tout en se méfiant de la 6ème génération, génération qui a connu les réformes sous Deng sans passer par le « vrai projet communiste » sous Mao. Cela explique chez Xi cette attitude de « sauvetage à tout prix » et de retour vers une Chine plus « rouge »*.
Par Alex Payette

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.