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Chine : Xi Jinping en plein remaniements pour se dégager la route de 2022

Le président chinois Xi Jinping. (Source : Lowy Institute)
Le président chinois Xi Jinping. (Source : Lowy Institute)
Xi Jinping poursuit inlassablement la préparation du XXème congrès du Parti en 2022. Un rendez-vous politique encore plus sensible que d’habitude dans la mesure où le secrétaire général du Parti ne s’est pas choisi de successeur, qu’il se ménage la possibilité inédite depuis les réformes de Deng Xiaoping de faire un troisième mandat et qu’il doit donc se débarrasser de tous les obstacles – et des hommes – qui pourraient contrarier ses projets. Une entreprise qui n’est pas un long fleuve tranquille pour Xi. Dans la dernière valse des nominations à la tête des provinces ou des ministères, le numéro un chinois n’a pas pu imposer uniquement les membres de sa garde rapprochée. Les nouvelles têtes sont tantôt des alliés de ses lieutenants, tantôt d’anciens proches de son archi-rival, l’ex-président Jiang Zemin, tantôt des inconnus soupçonnés de corruption.
*Jing Junhai (景俊海), Xu Dazhe (许达哲), Shen Yiqin (谌贻琴) et Ruan Chengfa (阮成发) en tant que secrétaires du Parti respectivement pour le Jilin, le Hunan, le Guizhou et le Yunnan, et de Han Jun (韩俊), Mao Weiming (毛伟明), Li Bingjun (李炳俊), et Wang Yubo (王予波) en tant que gouverneurs des mêmes provinces.
Après la nomination des gouverneurs et des secrétaires du Parti dans le Jilin, le Hunan, le Guizhou et le Yunnan les 20 et 21 novembre derniers*, le pouvoir central est revenu à la charge avec d’autres remaniements en province en prévision de 2022. Ainsi, entre le 1er et le 3 décembre, Huang Qiang (黄强) a été adoubé gouverneur du Sichuan, Feng Fei (冯飞) de Hainan et Ren Zhenhe (任振鹤) du Gansu. Deux nouveaux secrétaires ont aussi été choisis : Yin Li (尹力) dans le Fujian et Shen Xiaoming (沈晓明) à Hainan. Ne manque désormais plus qu’à trouver un nouveau gouverneur pour le Heilongjiang, après le départ de Wang Wentao (王文涛), à présent secrétaire du Parti au Ministère du Commerce. Ce dernier sera nommé ministre sous peu et remplacera Zhong Shan (钟山), l’un des alliés du Zhejiang de Xi Jinping. Du point de vue du président chinois, voilà un choix curieux : Wang Wentao est le neveu de la femme de l’ancien président Jiang Zemin et membre de la bande de Shanghai depuis bien longtemps. Aussi, contrairement à Zhong, en poste depuis 2008 au ministère et impliqué dans le secteur du commerce même lorsqu’il était en poste au Zhejiang, Wang Wentao est connu à la fois pour ses liens politico-familiaux et parce qu’il a été secrétaire du Parti du district de Yangpu à Shanghai (2007-2011). Cette promotion lui garantit en tout cas une place au Comité central en 2022.

Liu He place un proche

*Du est aussi l’un des premiers mentors de Wang Qishan. Il a soutenu la carrière du jeune Wang au tout début des années 1980. Han et Wang se sont presque croisés durant les années 1980 alors que tous deux suivaient les enseignements de Du.
Cependant, Xi Jinping laisse aussi ses alliés placer leurs proches. Ainsi le vice-Premier ministre Liu He, le « Monsieur Économie » du président, a-t-il bénéficié du jeu de chaises musicales au ministère de l’Agriculture et des Affaires rurales. Au point de départ, la retraite du ministre Han Changfu (韩长赋) : déjà âgé de 66 ans, cet allié de l’ex-Premier ministre Wen Jiabao et de Liu He, ne pouvait pas attendre le remaniement ministériel de mars 2023 pour se retirer. En remplacement, Han Jun, à présent gouverneur du Jilin, aurait été l’un des favoris du fait de son expérience dans le domaine, lui qui fut disciple du célèbre réformateur Du Runsheng (杜润生)*. Cependant, Han n’avait pas encore occupé de poste en province, contrairement à Tang Renjian (唐仁建), nouveau secrétaire du Parti du ministère de l’Agriculture. Tang fut gouverneur du Guangxi pendant deux années (2014-2016) puis du Gansu durant un peu plus de trois ans (2017-2020). En outre, Tang n’est pas n’importe qui : il est un associé de longue date de Liu He.
Le départ de Tang Renjian implique nécessairement une renégociation de la hiérarchie au Gansu, dont Ren Zhenhe est le nouveau gouverneur. D’autant qu’il était favori pour remplacer en 2021 Lin Duo (林铎), un associé de Wang Qishan. Il faudra voir si Xi Jinping accepte que Sun Wei (孙伟), secrétaire adjoint du Parti de la province depuis 2017, devienne le remplaçant de Lin Duo. Problème : Sun est le « secrétaire particulier » (mishu) de Wu Bangguo, ancien membre du Politburo, considéré comme faisant partie de l’équipe de Jiang Zemin. Avant son arrivée dans le Gansu, Sun Wei avait, comme Tang Renjian, achevé un mandat en province, dans le Shandong. Il aurait donc dû être favorisé en mars 2017 lors de l’attribution des postes dans le Gansu. D’autant qu’il est plus âgé que Tang Renjian. Cependant, Xi a préféré Tang à Sun. Et il n’est pas dit que cette affiliation au réseau de Jiang Zemin ne lui coûtera pas aussi le poste de secrétaire l’an prochain. Âgé de 59 ans, Sun doit être promu à 60 ans à un poste de rang ministériel s’il veut éviter la retraite imposée aux cadres de rang vice-provincial ou ministériel.

Clique de l’aérospatiale

*Pour que le maire actuel, Tang Liangzhi puisse remplacer Peng Qinghua à la tête du Parti dans le Sichuan, avec comme secrétaire adjoint Shi Kehui, allié du Zhejiang de Xi et aussi secrétaire particulier de Zhao Hongzhu (赵洪祝), proche de Zeng Qinghong. **Song Ping est le doyen actuel des membres séniors du Parti et a soutenu la nomination de Hu Jintao ainsi que celle de Xi Jinping dans les hautes instances. Certains considèrent Song comme ayant agi à titre de mentor pour les deux dirigeants. ***Pour remplacer Yu Weiguo, un membre de la clique du Fujian de Xi, qui est aussi le secrétaire particulier de Ding Guangen. ****浦江新军 : Le terme fait ici principalement référence à Shanghai.
Dans le Sichuan et à Hainan, les nouveaux venus sont deux membres de la « clique de l’aérospatiale ». Celle-ci ne cesse de prendre de l’importance depuis l’arrivée au pouvoir de Xi en 2013. Huang Qiang est un ami proche de Zhang Qingwei (张庆伟), secrétaire du Parti du Heilongjiang, et de Hao Peng (郝鹏), président de la SASAC, la commission qui gère les actifs des entreprises d’État. Tous trois sont diplômés de l’Université Polytechnique du Nord-Ouest. Huang Qiang a remplacé Yin Li, un partisan de Xi Jinping que l’on voyait devenir maire de Chongqing* et qui était bloqué par Peng Qinghua (彭清华), le secrétaire particulier de Song Ping( 宋平)**. Ce faisant, au lieu de laisser Yin Li « pourrir » dans le Sichuan, il a été transféré dans le Fujian***. Le second cadre à représenter cette clique de l’aérospatiale est Feng Fei, nouveau gouverneur de Hainan en remplacement de Shen Xiaoming, un membre de la « nouvelle armée du Pujiang »**** mise en place par Xi.
La promotion de cette clique reflète les ambitions technologiques de Xi Jinping : un programme de développement spatial important, avec la mise en orbite de satellites de télécommunications et bien sûr, la modernisation du secteur technologique militaire. Au début, la clique de l’aéropsatiale a certes été soutenue par Jiang Mianheng, fils de Jiang Zemin et « roi » des télécoms. Mais elle connaît désormais un second souffle sous Xi, qui veut surtout profiter des connaissances militaires des membres de ce réseau. En son sein se trouve également une « sous-clique » parfois appelée « clique militaire » (军工系), notamment avec Huang Qiang et Feng Fei. Or ce groupe est d’une importance capitale pour Xi, lui qui veut achever la quatrième modernisation avant le XXIème Congrès du Parti.

Corrompus potentiels, ingénieurs administrateurs et clique financière

Que dire de Ren Zhenhe, tout nouveau gouverneur du Gansu ? Ce vétéran du Hubei est peu connu de la scène politique provinciale. Contrairement à Ruan Chengfa, secrétaire du parti à Wuhan avant de devenir récemment gouverneur du Yunnan, Ren n’a pas été pas soutenu par Yu Zhengsheng, l’ancien secrétaire du Parti dans le Hubei de 2001 à 2007. Mais Ren Zhenhe semble avoir marqué les esprits lorsqu’il était en poste à Huanggang en 2008. Selon Ren, il fallait que la ville se dote d’une « stratégie d’acquisition de forêts ». Le gouvernement local voulait en acquérir 2 millions de mu (plus de 133 000 hectares). Cependant, il n’a pas acheté la terre mais a demandé aux fermiers de vendre leurs parcelles à une société écran nommée Mantu Forestry (曼图林业). Plus tard au cours de la même année 2008, le gouvernement de Huanggang est revenu à la charge en affirmant que seuls 26 200 mu avaient été achetés par la compagnie. Cela dit, la terre appartient aux fermiers (sous la tutelle des autorités) et ceux-ci « doivent » la vendre si le gouvernement fait pression sur eux. Ainsi, pour ce dernier, il ne s’agit pas d’acquisition, mais seulement d’une vente. D’après des rumeurs, Ren aurait été « employé » par la compagnie. Il aurait agi ainsi pour stimuler la croissance afin d’être promu plus rapidement.
Cette attitude, mélangée à l’éducation très sommaire de Ren, uniquement formé à l’école du Parti, est quelque peu problématique pour le Gansu, une province qui est connue pour ses dettes plutôt que sa croissance économique. Difficile donc de savoir à quoi s’attendre avec Ren Zhenhe.
Par ailleurs, la promotion de cadres comme Xu Dazhe, Huang Qiang ou Feng Fei, peut être aussi perçue comme le retour des « ingénieurs qui administrent les provinces » (工程师治省), une tendance en vogue au début des années 1990. Cette nouvelle génération se retrouve assistée de la « clique financière » (金融系) de Wang Qishan qui envoie régulièrement en province ceux que l’on appelle des « gouverneurs adjoints financiers » (金融副省长). Ces derniers tentent de résoudre des problèmes comme l’explosion de la dette des gouvernements sous-préfectoraux ou comme la multiplication des micro-prêts illégaux.
Les cadres comme Huang Qiang et Feng Fei devront s’appuyer en grande partie sur leurs équipes gouvernementales dans la mesure où ils ne sont pas des hommes de réseau, des patrons de cliques. Ce qui pourrait devenir un problème pour Xi qui commence à être à court d’alliés. Mais le vrai problème est posé par des individus comme Ren Zhenhe, des « carriéristes » qui naviguent d’un poste provincial à l’autre en laissant derrière eux déjà des histoires potentielles de corruption. En ce sens, on peut se demander si Ren était le choix de Xi ou une nomination sous contrainte.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.