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Chine : pour Xi Jinping, 2022 commence par un rappel à l'ordre au Parti

Le président chinois Xi Jinping lors de ses vœux télévisés pour le Nouvel An, le 31 décembre 2022. (Source : GT)
Le président chinois Xi Jinping lors de ses vœux télévisés pour le Nouvel An, le 31 décembre 2022. (Source : GT)
Que va devenir le chef du Parti au Xinjiang tout juste remplacé ? Pourquoi le maire de Chongqing a-t-il été rétrogradé ? Les questions du moment agite le Parti communiste chinois. À lire entre les lignes de son discours de Nouvel An ou de son allocution à la dernière conférence fin décembre, Xi Jinping peine plus que jamais à imposer ses choix, à l’approche du XXe Congrès prévu cet automne.
Les 27 et 28 décembre derniers a eu lieu la « Conférence sur la vie démocratique » (民主生活会, minzhu shenghuo hui). Pour l’occasion, les médias étatiques qui chantaient depuis novembre les louanges du Parti – comme si tout se passait bien en son sein – ont été interrompus directement par une allocution de Xi Jinping. Selon lui, le Parti a la lourde et pénible tâche d’affronter une situation et un environnement complexes comme rarement dans l’histoire et à travers le monde. Mener à bien le XXe Congrès du Parti, a-t-il ajouté, est de première importance vu les circonstances.
*Slogan prépondérant lors de la session parlementaire en mai 2020.
Ce message, un peu sur le ton de la « sécurité politique » (政治安全) comme en 2020*, se réfère principalement à la situation internationale – en plus de la pandémie – et aux difficultés économiques de la Chine. Cependant, le constat demeure ironique quand on pense à la situation extrêmement tendue au sein du Parti, à seulement quelques mois du très attendu XXe Congrès.
Outre la période d’autocritique et les lancers de fleurs en direction du « noyau », le mot qui désigne maintenant officiellement Xi Jinping, cette conférence a beaucoup ressemblé à celle de l’an passé. Les 24 et 25 décembre 2020, le Parti avait ainsi organisé une « Conférence sur la vie démocratique » durant laquelle Xi avait « critiqué » les rapports des membres du Politburo. Pas cette fois-ci. Xi n’a fait que résumer les rapports. Aussi, la conférence de cette année nous laisse comprendre que depuis le XVIIIe Congrès, la situation n’a fait qu’empirer. Il semble à présent que les slogans qui portent sur le centenaire du Parti, sur le développement économique, sur la victoire contre la pandémie ou encore sur la position de la Chine sur l’échiquier mondial, ne réussissent plus à dissimuler la situation dans laquelle le Parti se trouve.
* »改革开放是中国共产党的一次伟大觉醒 ». **坚持党的全面领导. Les deux articles, qui font environ 4 000 idéogrammes chacun, ne sont pas d’auteurs inconnus : le premier fut écrit par Qu Qingshan, un associé de Zhao Leji, tandis que le second fut écrit par le successeur de Wang Huning, Jiang Jinquan.
En fait, les luttes intra-Parti ont récemment fait leur chemin – une fois de plus – dans les journaux officiels du PCC. Exemple avec un article du Quotidien du Peuple publié le 9 décembre dernier : « Les Réformes et l’Ouverture sont le « grand réveil » du Parti »*, où l’on ne parle pas de Xi Jinping, mais bien de Deng Xiaoping. En réponse, un autre article est paru dans le même journal le 13 décembre : « Maintenir le leadership absolu du Parti »**, qui à l’inverse parle de Xi en tant que force stabilisatrice et ne parle ni de Deng, ni de Jiang Zemin, ni de Hu Jintao.
*Dans le sens de la loyauté envers le Parti, et non pas envers le « noyau » ou encore « Xi en tant que noyau ».
L’armée populaire, quant à elle, n’a toujours pas offert de soutien direct à la troisième résolution historique. Au contraire, le PLA Daily a, à plusieurs reprises, évité de parler du « noyau » dans un article important publié le 19 décembre : « Pour cultiver les talents, nous devons d’abord cultiver le cœur » (育才首先要育心). Ce genre de commentaire indique que l’APL n’a, semble-t-il, pas du tout envie de se mêler aux querelles intestines du Parti : elle s’adresse à l’ensemble du PCC, pas à Xi*.
*认为这次专题民主生活会开得很好、很有成效,交流了思想,检视了问题. **领导同志要严格遵守政治纪律和政治规矩. ***严格遵守组织纪律、换届纪律
Cependant, malgré l’anxiété entourant son statut de « noyau » de plus en plus contesté à l’intérieur du Parti, on nous assure – dans le texte complet de la conférence des 27 et 28 décembre – que « la rencontre spéciale sur la vie démocratique s’est très bien déroulée et fut très efficace. Celle-ci nous a permis d’échanger des idées, d’examiner des problèmes »*. Cela dit, on retrouve également des passages qui mentionnent que les cadres dirigeants doivent se conformer strictement à la discipline et aux règles politiques**, qu’ils doivent respecter la discipline organisationnelle ainsi que celle liée au changement de mandat***. Ces passages démontrent bien que les remaniements en cours ne plaisent pas à tous et que Xi Jinping a besoin de rappeler à l’ordre certains membres en prévision des autres changements à venir d’ici l’automne prochain.

Des remaniements importants

Entre le 24 et le 30 décembre, des remaniements importants ont été opérés. Chen Quanguo (陈全国) a dû quitter son poste de chef du Parti dans le Xinjiang, remplacé par le gouverneur du Guangdong, Ma Xingrui (马兴瑞). Dans le même temps, Tang Liangzhi (唐良智), le maire de Chongqing, a démissionné pour laisser la place à Hu Henghua (胡衡华) à la tête du gouvernement municipal.
La démission de Chen Quanguo arrive à un moment critique de sa carrière. À 66 ans, celui qui est déjà membre du Politburo voit son avenir plongé dans l’incertitude. Lui enlever son poste de premier plan sur la scène provinciale peut d’un côté signifier une promotion en 2022 vers le Comité permanent du Politburo. Il pourrait être propulsé soit premier vice-premier ministre, soit directeur adjoint d’une commission (de la sécurité nationale, par exemple) ou encore d’un important « groupe dirigeant de travail » (sur l’agriculture, entre autres). Ce serait là le même scénario que pour Wang Lequan (王乐泉), nommé secrétaire adjoint de la commission politico-légale du Parti après son poste de secrétaire du Parti du Xinjiang (1994-2010). D’un autre côté, Chen Quanguo est proche de Jia Ting’an (贾廷安), secrétaire particulier (« mishu ») militaire de Jiang Zemin : il pourrait donc terminer à l’Assemblée nationale populaire (ANP), comme Zhang Chunxian (张春贤), autre ancien patron du Parti dans le Xinjiang (2010-16), nommé par la suite vice-président du comité permanent de l’ANP.
*Erkin est déjà sur la liste des individus sanctionnés par les Américains. **Ne pas oublier non plus que Ma doit en partie son ascension fulgurante aux bonnes grâces de Peng Liyuan, l’épouse de Xi, elle aussi originaire du comté de Yuncheng dans la ville de Heze (Shandong).
De son côté, Ma Xingrui, membre de la « clique de l’aérospatiale » (航天系), vient de s’assurer une place au Politburo en 2022 grâce à sa nomination au Xinjiang. Mais Ma n’est pas Chen Quanguo : les choses pourraient changer progressivement au Xinjiang avec le nouveau secrétaire du Parti. Par ailleurs, ce poste reste un test important pour Ma qui devra maintenir la stabilité dans la région autonome. Si les choses tournaient mal, Erkin Tuniyaz (艾尔肯·吐尼亚孜)*, président du gouvernement de la région autonome et habitué du régime de Wang Lequan, prendrait certainement les choses en main plutôt que Ma**. En ce sens, Ma Xingrui a reçu un ticket gagnant qui peut lui être retiré si la situation au Xinjiang faisait de nouveau perdre la face au régime.
*刻进骨子里、融入血液中.
En quittant le Guangdong, Ma Xingrui a laissé le poste de gouverneur vacant. Poste immédiatement attribué à Wang Weizhong (王伟中), celui qui, en 2018, disait que les discours de Xi devaient être « sculptés dans les os et mélangés dans le sang ». Ainsi, il est fort probable que Wang ait été choisi pour sa « loyauté », plutôt que ses compétences.
*Le congrès municipal de Chongqing a accepté la démission de Tang Liangzhi, de Wang Fu (王赋) et de Mu Hongyu (穆红玉) le 30 décembre. Wang, secrétaire du Parti pour la Commission disciplinaire au Gansu, était un proche collaborateur de Tang. Mu, une associée de Wang Qishan, a été nommée représentante du groupe de la Commission disciplinaire au sein de la Cour suprême populaire. **Transféré 2 fois de province en moins de deux ans, Hu est clairement « sponsorisé » par le pouvoir à Pékin. ***Exemple avec des cadres comme Lou Yangsheng (楼阳生), Chen Qiufa (陈求发) ou Bayanqolu (巴音朝鲁).
Entre-temps, Chongqing a été secoué par le départ soudain de Tang Liangzhi* et par l’arrivée de Hu Henghua**. Tang, pourtant seulement âgé de 61 ans et secrétaire particulier (mishu) de Yu Zhengsheng (俞正声), a été envoyé dans l’Anhui pour devenir secrétaire du Parti de la Conférence consultative provinciale. En ce sens, il risque de succéder à Zhang Chang’er (张昌尔) sous peu. On sait que sous le régime de Xi, les postes dits « zhengxie » (dans la structure de la Conférence consultative) ont parfois servi de salle d’attente à certains cadres avant une promotion plus prestigieuse***. Mais à 61 ans et avec Zhang Chang’er déjà âgé de 65 ans, le tout semble peu probable. C’est à se demander si Tang ne fait pas les frais d’une association à Sun Zhengcai, ennemi déchu de Xi Jinping, ou encore de potentielles tensions qu’il aurait pu avoir avec Chen Min’er (陈敏尔), l’un des successeurs potentiels de Xi. À suivre.
*Nous paraphrasons et citons ici des passages de la dernière phrase de l’avant-dernier paragraphe des actes de la Conférence sur la vie démocratique.
Ces changements majeurs, comme ceux qui ont eu lieu au mois d’octobre, indiquent que le Parti est bien engagé dans le chemin menant à son XXe Congrès. Cela dit, ils ne plaisent sûrement pas à tout le monde, surtout les promotions de Hu Henghua et de Wang Weizhong. Sans parler du déclassement de Tang Liangzhi qui a dû causer beaucoup d’incertitude au sein de la structure municipale du Chongqing, marquée par son histoire récente de purges, connue sous le nom de « malédiction de Chongqing ». Cependant, et c’est l’un des points soulignés à la fin de la conférence de fin décembre, il est nécessaire « d’éduquer et de guider les cadres dirigeants à s’autocorriger, à obéir à l’organisation, ainsi qu’aux arrangements »* (服从组织、服从安排). Autrement dit, il faut accepter ce genre de remaniement, en dépit de choix en apparence illogiques ou peu judicieux.
Cela dit, « se soumettre aux arrangements » est plus facile à dire qu’à faire. Se conformer aux arrangements ainsi qu’à l’organisation (tant au sens « d’organiser » que de « l’organisation » qu’est le Parti) est un message qui s’adresse aux partisans de Xi, mais aussi aux autres groupes informels. C’est une invitation – et un avertissement – à accepter le changement, à se plier aux règles et à procéder aux changements de mandat de manière disciplinée pour le bien du Parti.
*Nous paraphrasons et citons des passages de la seconde phrase du troisième paragraphe avant la fin des actes de la Conférence sur la vie démocratique.
Par ailleurs, Le texte de la Conférence précise que les « camarades du Politburo doivent accomplir leur mission originelle, […] penser de manière réaliste, mépriser les gains personnels […], et toujours se ranger du côté du Parti et de la population »*. Ce type de commentaire démontre non seulement que les luttes au sommet de l’appareil du Parti n’ont jamais cessé, mais aussi que Xi Jinping est au pied du mur. Il n’a plus d’autres choix que de parler de ce problème – des cadres trop « carriéristes », durant une période où tous cherchent à tirer leur épingle du jeu pour le prochain grand remaniement. Xi Jinping paraît presque s’attendre – avec ses appels à respecter les règles, le changement de mandat, les remaniements – à ce que certains désobéissent et refusent de se soumettre. En ce sens, ces appels à l’unité et au respect des règles, en plus de refléter la crise importante que le Parti traverse, risquent de ne pas fonctionner. D’autant plus que Xi a lui-même réécrit les règles et les utilise afin de prendre de l’avance au vu et au su des mécontents.

Un message dans le déni

*Le texte complet fait moins de 1 500 caractères. **C’est-à-dire que la réalisation de la réunification complète de la mère patrie est l’aspiration commune des compatriotes se situant des deux côtés du détroit. Ce souhait a sûrement causé des grincements de dents à Taïwan. ***On se souviendra que Hong Kong et Macao n’avaient pas été mentionnés l’an dernier. ****窑洞对. Discussion historique entre Mao et Huang Yanpei (黄炎培) en 1945 sur la démocratie en Chine. Une référence pas appropriée pour Xi, nous semble-t-il, surtout parce que Mao disait, à l’époque, que « la démocratie laisse le peuple superviser le gouvernement, lequel n’ose pas se détendre » (et doit demeurer sur ses gardes) – 只有让人民来监督政府,政府才不敢松懈.
En fait, certains des passages de la conférence ressemblent à l’allocution de fin d’année prononcée par Xi*, sans les éléments liés aux tensions intra-Parti, bien entendu. Ici, le président chinois a pris le temps de revenir sur les « succès » de 2021 – comme la « troisième résolution historique » – tout en faisant un « souhait » pour Taïwan** et en adressant un message de « prospérité et stabilité » à Hong Kong et Macao***. Xi a également fait une accolade à Mao – comme l’an dernier – en faisant référence à la « conversation dans la grotte »****.
Xi Jinping a aussi pris le temps de revenir à la fois sur la lutte contre la pauvreté et sur l’efficacité de la prévention et des mesures de contrôle de la pandémie. Pourtant, on sait bien que les provinces peinent à contrôler les nouveaux foyers d’infection – exemple avec les 122 nouveaux cas à Xi’an le 2 janvier, pour un total de 1 573 nouveaux cas du 9 décembre au 1er janvier – et que l’économie chinoise est loin d’être tirée d’affaire. Comme Xi et les factions restent à couteaux tirés et préfèrent la joute politique à la gouvernance et la recherche de solutions pour le bien commun, le Parti n’a toujours pas mis sur la table un véritable projet de relance. Le tout combiné avec la mise en place de nouvelles réglementations ne facilitera en rien la résolution des problèmes plus traditionnels de l’économie chinoise, comme les dettes locales capables de faire chavirer le navire national, par exemple.
Le message de fin d’année n’a pas fait mention des inondations, des tensions sur la scène internationale ni des échecs diplomatiques. Xi Jinping s’est bien gardé de parler de la situation économique intérieure – malgré la « Conférence sur le travail économique » du 8 au 10 décembre derniers – ou encore du XXe Congrès. Ainsi, comme depuis 2014, le message de fin d’année a parlé principalement des succès de l’année écoulée – afin de redorer l’image du Parti et de Xi – et des objectifs pour l’année à venir. Bref, tout se passe bien en Chine.

Conclure 2021

Les dix derniers jours de décembre ont été laborieux pour le Parti et l’autorité de Xi Jinping. Autant la « Conférence sur la vie démocratique » a semblé démontrer que la direction du Parti était consciente de la situation difficile du PCC à moins d’un an du Congrès, autant l’allocution de Xi pour le Nouvel An est restée dans le déni face à l’ensemble des problèmes auxquels le Parti-État est confronté. En ce sens, le numéro un chinois semble tenir un double discours : l’un pour le Parti et sa direction, l’autre pour la population. Les deux discours parlent du Parti, mais dépeignent des réalités bien différentes.
*Référence à la citation de Michael Kane: « Be like a duck. Calm on the surface but always paddling like the dickens underneath. »
L’année 2021, d’une « extrême importance » (« 意义非凡 », pour emprunter les mots de Xi), se termine sur une contradiction. D’une part, la réalité politique du Parti et de l’autre, les plans de la direction centrale pour 2022 et le besoin de consolider l’héritage et la position de Xi Jinping, avec en toile de fond une résistance importante en provenance de « l’État profond ». L’échec de la troisième résolution historique à rompre de manière claire avec l’héritage de Deng Xiaoping et à critiquer Jiang Zemin, aura des conséquences importantes lors de la prochaine étape décisive – le XXe Congrès – mais aussi tout au long de l’année qui commence. Autrement dit, la direction du Parti semble calme en surface, mais pédale comme un forcené par en dessous*.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.