Politique
Analyse

Ces dirigeants du Parti communiste qui rêvaient d’une Chine plus démocratique

Le dirigeant chinois Deng Xiaoping, entouré de Zhao Ziyang (à g.), alors Premier ministre, et de Hu Yaobang (à d.), alors secrétaire général du Parti communiste chinois, lors d'un meeting en 1984. (Source : SCMP)
Le dirigeant chinois Deng Xiaoping, entouré de Zhao Ziyang (à g.), alors Premier ministre, et de Hu Yaobang (à d.), alors secrétaire général du Parti communiste chinois, lors d'un meeting en 1984. (Source : SCMP)
Ils avaient émis l’idée d’introduire une dose de démocratie dans le Parti. Hu Yaobang puis Zhao Ziyang, tous deux secrétaires du Parti communiste chinois, furent des pionniers dans la hiérarchie politique en République populaire de Chine.
Hu Yaobang avait plusieurs fois mis en avant la nécessité pour le Parti d’adopter un mode de fonctionnement plus démocratique. En fait, il était un personnage très populaire. Dans les années 1980, il avait réussi à libéraliser un peu le régime chinois. Cette libéralisation, même à petits pas, lui avait cependant valu de perdre son poste de secrétaire général du Parti communiste, tout en figurant parmi les hiérarques.
Pour les jeunes, il représentait un espoir. Apprenant sa mort en février 1989, la jeunesse de Pékin avait décidé de ne pas laisser tomber dans l’oubli la mémoire de cet homme exceptionnel. Des dazibaos à sa gloire, à la gloire de la réforme et de la démocratie, avaient alors fleuri sur les murs de Pékin.
Personne n’était en mesure d’imaginer ce qui allait suivre. Après la mort de Hu Yaobang, l’agitation étudiante prit des proportions inimaginables. Mais aujourd’hui, il ne reste que le souvenir de ce printemps terrible et du sang de milliers de jeunes écrasés par l’armée le 4 juin 1989.

Partisans des réformes contre anciens du Parti

Pendant une décennie, on a ignoré ce qui s’était passé au plus haut niveau du pouvoir chinois. Il a fallu attendre un ouvrage majeur, Les archives de Tiananmen, pour qu’une partie de la vérité soit révélée. Publié en février 2004, ce livre dont l’auteur est Zhang Liang, a été traduit en français par le sinologue Jean-Philippe Béja. Le texte est sans précédent, tant par la gravité des événements qu’il relate que par l’exhaustivité de ses comptes-rendus ou encore le caractère potentiellement explosif de son contenu.
Il se compose de transcriptions complètes ou partielles de centaines de documents détaillant le processus de prise de décision au plus haut niveau pendant les événements fatidiques du printemps 1989 à Pékin. Non seulement cet épisode compte parmi les plus importants de l’histoire de la Chine communiste, mais personne au monde – y compris en Chine – n’a jamais eu accès à une description aussi précise des hautes sphères de la politique chinoise à aucune période de l’histoire du pays.
On y lit comment, au-delà des liens personnels entre des factions politiquement significatives, ce sont des dilemmes politiques intrinsèques à la transition de la Chine d’un système maoïste ayant échoué vers un avenir mal défini. Le conflit auquel nous assistons ici est une lutte dramatique concernant des choix difficiles qui aboutissent à des divergences d’opinion justifiées.
Les documents du type de ceux qui sont présentés dans cet ouvrage ne sont accessibles qu’à une poignée de personnes en Chine. Le compilateur a pu les obtenir et s’est vu confier par d’autres réformateurs la tâche de les faire passer dans le domaine public. Son objectif : défier l’histoire officielle selon laquelle Tiananmen a été la répression légitime d’une émeute violente contre le gouvernement.
Ces documents éclairent parfaitement les mécanismes de décision qui ont abouti au drame. On y voit un groupe de vieux dirigeants cacochymes presque paralysés par la recherche d’un consensus, chacun se méfiant de l’autre. On y voit surtout la lutte entre deux factions : d’une part, un noyau dur, partisan des réformes politiques et, d’autre part, les anciens du Parti, autour de Deng Xiaoping, préférant la répression et décidant d’envoyer l’armée ouvrir le feu sur les étudiants.
Les archives de Tiananmen apportent des lumières nouvelles sur le fonctionnent du pouvoir en Chine. Mais au-delà de l’histoire et de l’évolution du régime chinois, c’est sur tout le fonctionnement des systèmes totalitaires qu’il nous éclaire. Car le principal résultat de l’insurrection de Pékin n’est pas d’avoir bouleversé la nature du système politique en Chine communiste, mais bel et bien d’en avoir exposé la vraie nature, dans sa réalité mise à nu.

La mort de Hu Yaobang

Place Tiananmen, les contestataires voulaient que la Chine devienne une démocratie. Pour eux, le gouvernement devait d’abord émaner du peuple, ensuite rendre des comptes régulièrement au peuple et enfin, il devait être possible au peuple de révoquer le mandat accordé au gouvernement. Aujourd’hui plus que jamais, on est toujours loin, bien loin du compte.
« M. Deng Xiaoping s’est déjugé, écrivait Francis Deron, correspondant à Pékin du journal Le Monde, le 16 avril 1989, moins de deux mois avant le massacre de la place Tiananmen. Lui qui avait sacrifié son successeur désigné et ami de longue date, Hu Yaobang, a dû faire publier un hommage dithyrambique du Comité Central du Parti communiste chinois à son ancien secrétaire général, décédé samedi 15 avril d’une crise cardiaque. Le régime a décidé d’organiser des funérailles dignes d’un chef d’État pour celui qui avait été remercié comme un malpropre en janvier 1987, pour avoir commis « des erreurs majeures » face à l’agitation estudiantine en faveur de la démocratie. « L’erreur » en question était d’avoir jugé indispensable de donner du mou à la laisse au bout de laquelle sont tenus les intellectuels chinois. »
« Car c’est bien là l’explication de l’apologie funèbre de Hu Yaobang, poursuit Francis Deron. Il était « un combattant communiste loyal, un grand révolutionnaire prolétarien, un grand homme d’Etat, un commissaire politique éminent de l’armée du peuple et un dirigeant de premier plan ayant occupé des fonctions importantes dans le parti pendant longtemps ». Pas un mot sur la crise de 1986-1987 qui lui avait coûté son poste. L’éloge funèbre, accompagnée d’une photographie de la taille des très grands en première page du Quotidien du peuple, n’explique pas les raisons pour lesquelles un si grand homme a été humilié de telle façon. Mais les intellectuels et artistes dont il était le favori le liront comme une autocritique déguisée de la part du régime, et donc de son patron, M. Deng. Il est vrai qu’entre-temps, les hommes qui avaient « eu la peau » de Hu Yaobang ont été à leur tour envoyés cultiver leur jardin. »
Dans les heures qui suivirent la mort de Hu, des affiches manuscrites avaient fleuri à l’Université de Pékin (Beida) pour le louer. Plus tard, dans la nuit, des mains anonymes étaient venues déposer quelques gerbes de fleurs en papier blanc, signe de deuil, ornées de poèmes, au pied du Monument aux héros du peuple sur la place Tiananmen. La vie politique chinoise restant faite de symboles, on se rappelle le précédent de l’hommage funèbre au Premier ministre Zhou Enlai, le 4 avril 1976, en ce même lieu, qui avait tourné à la manifestation d’opposition anti-maoïste lorsque des gerbes similaires avaient été enlevées sans préavis par la police.
« Hu Yaobang est mort le 15 avril 1989. Le mouvement étudiant est né dès le lendemain, expliquait à Asialyst Wu’er Kaixi, l’un des leaders de la contestation sur la place Tiananmen, dans une interview réalisée en août dernier. Sa mort a été le fusible qui a donné naissance à cette gigantesque contestation sur la place Tiananmen. Nous voulions que la promesse donnée par Hu Yaobang soit respectée. Mais la mort de Hu Yaobang nous rappelle que la promesse de réformes politiques a été trahie. »

Zhao Ziyang, le tabou

Aux premières heures du jour le 19 mai 1989, alors que des milliers d’étudiants observaient une grève de la faim place Tiananmen pour exiger du pouvoir qu’il reconnaisse la nécessité de davantage de démocratie, le nouveau secrétaire du Parti Zhao Ziyang, successeur à ce poste à Hu Yaobang, avait pris la parole pour supplier les manifestants de mettre fin à leur mouvement.
« Nous sommes venus trop tard, s’était exclamé Zhao Ziyang, des larmes coulant sur ses joues. Vous avez de bonnes intentions. Vous voulez que votre pays devienne meilleur. Les problèmes que vous soulevez trouveront un jour une réponse. Mais les choses sont compliquées et il nous faut trouver un chemin pour résoudre ces problèmes. Tout Pékin discute de votre grève de la faim, vous devez y mettre fin. » Mais les étudiants décidèrent de continuer leur mouvement, sous les yeux de Mikhail Gorbatchev. Le dirigeant soviétique achevait une visite officielle en Chine dont l’objectif était de renforcer les contacts entre les deux pays au niveau du Parti et du gouvernement.
Non seulement Zhao Ziyang n’eut pas gain de cause auprès des étudiants, mais il devait être très rapidement limogé par Deng Xiaoping, puis assigné à résidence à Zhongnanhai, lieu de résidence des dirigeants chinois en bordure de la Cité interdite, empêché de tout contact avec le monde extérieur.
Mort le 17 janvier 2005, Zhao Ziyang a été enterré le 18 octobre 2019, près de quinze ans après son décès, au cimetière de Babaoshan, dans la banlieue de Pékin. Sa tombe est depuis cette date interdite d’accès et surveillée jour et nuit par des hommes en armes.
Aujourd’hui, Zhao est une figure respectée par les défenseurs des droits de l’homme en Chine. L’évoquer est toujours un sujet sensible dans le pays. Les commémorations en octobre dernier à l’occasion de l’anniversaires de sa mort, à l’âge de 85 ans, se sont déroulées sous une étroite surveillance. Les médias officiels n’ont jamais fait aucune mention de son inhumation. La recherche de son nom sur les réseaux sociaux ne fournit aucun résultat. Un peu comme si Zhao Ziyang n’avait jamais existé.
Par Pierre-Antoine Donnet

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).