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Analyse

100 ans du Parti communiste chinois : ne gâchez pas l'ambiance !

Le président chinois Xi Jinping en visite dans un village du comté de Gangca dans la préfecture autonome tibétaine de Haibei, dans la province du Qinghai au nord de la Chine, le 11 juin 2021. (Source : China Daily)
Le président chinois Xi Jinping en visite dans un village du comté de Gangca dans la préfecture autonome tibétaine de Haibei, dans la province du Qinghai au nord de la Chine, le 11 juin 2021. (Source : China Daily)
La Chine danse en ce moment une valse des contradictions. Xi Jinping appelle à redorer l’image du pays, sans écarter les « loups combattants » de sa diplomatie. Pékin a entériné des « lois anti-sanctions » pour contrer la stratégie de Biden avec le G7, mais ce n’est qu’ajouter à la chaîne des représailles qui dure depuis l’ère Obama. À quelques jours des célébrations du centenaire du Parti, le secrétaire général appelle à « créer une bonne ambiance » même à la suite d’accidents industriels. Chut ! Le PCC a 100 ans !
*既开放自信也谦逊谦和 »努力塑造 »可信、可爱、可敬 »的中国形象,再次提出要 »讲好中国故事 ».
Environ deux semaines avant la réunion du G7 et de la première visite de Joe Biden en Europe depuis son investiture, Xi Jinping s’est adressé directement à tout l’appareil du Parti lors de la réunion du Politburo le 31 mai dernier. Le numéro un chinois a demandé essentiellement à ce que l’on mette en place un système de communication stratégique tout en soignant le ton du discours. Qu’il soit « ouvert et confiant », « humble et modeste ». Xi a demandé aussi de « donner une image de la Chine à la fois crédible, aimable et respectable » pour, une fois de plus, « raconter de manière correcte l’histoire de la Chine »*. Dès lors, plusieurs observateurs ont annoncé la fin potentielle de la diplomatie des « loups combattants », qui, depuis le début 2020, a causé beaucoup plus de mal que de bien à Pékin. Surtout à son image sur la scène internationale.
*Un commentaire un peu à la Jin Canrong (金灿荣), le directeur adjoint du département de relations internationales de l’Université Renmin. Zhang a d’ailleurs accordé une entrevue après cette rencontre, entrevue qui ne fait que confirmer ses idées sur le fait que l’occident ne comprend pas la Chine et que justement il devrait faire mieux pour la comprendre. ***为了更好地与西方交流,我们要学会与西方交锋,交锋之后往往才能更好地交流.
La même réunion a accueilli un intervenant notable : Zhang Weiwei (张维为), un intellectuel shanghaïen très proche de Wang Huning*, connu pour son aversion à l’égard des États-Unis et le monde occidental de manière générale, et aussi pour avoir soutenu Bo Xilai et son modèle de Chongqing jusqu’en 2012. Zhang est venu en quelque sorte rassurer les membres du Politburo quant à la supériorité de la Chine, aussi bien politique qu’économique*. D’ailleurs, trois jours plus tard, le journal de la Commission centrale de discipline et d’inspection (CCDI) et de la Commission de supervision a publié un article sur les propose de Zhang : « Afin de mieux communiquer avec l’Occident, nous [la Chine] devons apprendre à l’affronter, écrit l’intellectuel. Après la confrontation, nous pouvons souvent mieux communiquer. »** Ces références, typiques du marxisme, confirment l’existence de contradictions profondes entre les multiples discours qui existent autour de la diplomatie chinoise. Surtout, elles confirment qu’un changement de cap est improbable.

Un discours qui ne devrait pas rassurer

La venue de Zhang Weiwei nous laisse donc des doutes sur les intentions réelles du discours de Xi. Cela dit, il est bien possible que le président chinois ait compris, a minima, que la diplomatie guerrière qui « défend la Chine » n’a pas eu les effets escomptés et qu’il faille songer à restructurer la propagande externe. Cependant, c’est Wang Huning qui est responsable de l’idéologie et du système fonctionnel de la propagande. Il faudrait donc comprendre le discours de Xi comme une tentative de contourner Wang, sans toutefois vraiment changer de cap. Pour Xi, il faut « aider » les étrangers hors de Chine à comprendre que le Parti veut vraiment le bonheur des Chinois, que le système – le Parti-État – fonctionne et que le « socialisme aux caractéristiques chinoises » est une bonne chose. Autrement dit, Pékin n’admet pas de fautes ni ne fait vraiment marche arrière. À lire entre les lignes, Xi Jinping nous dit : « On peut faire mieux pour vous convaincre. »
*Si le style devait changer, alors le Parti devrait se défaire de figures importantes de la diplomatie guerrière comme Zhao Lijian ou Hua Chunying. Ce qui marquerait le coup tout en leur attribuant une partie de la faute.
Fait intéressant : le discours de Xi Jinping n’est pas éloigné des commentaires de Joe Biden au tout début de son mandat. Pour le président américain, les tensions entre l’autoritarisme et la démocratie seront au centre des relations entre les États-Unis et la Chine. Or Xi tente justement d’expliquer pourquoi le système chinois fonctionne et pourquoi il est, selon la « doctrine de la confiance », supérieur à la démocratie. Le chef du PCC a ainsi décidé de parler de « solution chinoise » (中国方案), plutôt que de « modèle chinois » (中国模式), afin de souligner les accomplissements concrets du système. En ce sens, le discours pré-G7 de Xi vise encore à mettre l’accent sur la légitimité du Parti. En voulant « mieux expliquer » ce qu’est la Chine – surtout son système politique -, il ne cherche qu’à faire en sorte que tout le monde parle en mieux du style de gouvernance du pays. Les « loups combattants » seront peut-être plus calmes pendant un moment – en témoigne le ton plus doux de Zhao Lijian le 9 avril dernier -, mais il est peu probable que le style change*.

Tango des offusqués

*Certains suggèrent que ce nouveau souffle aurait été causé par la récente fuite aux États-Unis, vers février, du ministre adjoint de la Sécurité nationale, Dong Jingwei (董经纬). De fait, son nom ne se trouve plus sur Baidu, ni sur le site du ministère, ce qui est très curieux, surtout lorsque l’on sait que même Dong Hong (董宏) est revenu sur Baike. Même si l’hypothèse est difficile à vérifier, la défection d’un haut responsable ayant accès à des informations sensibles changerait nécessairement la donne pour les Américains. C’est peut-être pour cette raison que Xi, lors de sa visite au Qinghai le 8 juin a rappelé aux cadres de ne jamais oublier leur loyauté envers le Parti, ainsi que leur vœu de ne pas se rebeller contre ce dernier (干部永远不能忘记入党时所作的对党忠诚、永不叛党的誓言).
Cela dit, le vent a légèrement tourné. Encore floue avant le G7, la position de Biden consistant à « contenir la Chine » a fait son chemin en Europe. Durant sa visite très fournie, du G7 à l’entrevue avec Poutine, en passant par le sommet de l’OTAN, le locataire de la Maison Blanche a répété à l’envi Xi et lui n’étaient pas de vieux copains. De fait, Biden a montré une attitude plus ferme envers la Chine, comme si un second souffle l’animait*. Dans le même temps, il a tenté d’apaiser avec le président russe les tensions toujours vives entre le Kremlin et Washington, ce qui devrait lui permettre de concentrer son attention sur Pékin.
*中华人民共和国反外国制裁法.
Pendant que Joe Biden voyageait en Europe, l’Assemblée nationale populaire à Pékin en a profité pour dévoiler ses nouvelles « lois anti-sanctions »*. Et comme pour le reste, les Européens et les Américains ont crié à l’injustice. Tous paraissent avoir oublié que les États-Unis ont également des lois de ce type, à commencer par les sanctions imposées à HSBC dans le cadre du soutien de Washington à Hong Kong, ou encore aux sociétés chinoises comme Huawei pour avoir violé les sanctions commerciales américaines imposées à l’Iran. Sanctions, contre-sanctions, anti-sanctions, autant de pas supplémentaires dans le tango des offusqués sur la scène internationale. En attendant la prochaine réponse chinoise aux commentaires de Biden, les deux superpuissances paraissent impatientes de mordre à l’hameçon.

« Créer une bonne ambiance pour le centenaire »

*维护社会大局稳定,为建党百年营造良好氛围.
Les commentaires et les actions potentielles des Américains et des Européens n’augurent rien de bon pour le Parti à quelques jours des célébrations du centenaire du Parti. Le PCC cherche à se mettre en valeur le 1er juillet et ne cesse de parler de ce qu’il a accompli. Mais surtout, il ne cesse de parler des célébrations et de lui-même, et ce, même dans des situations jugées inopportunes. Exemple avec le message de Xi Jinping après l’explosion dans la ville de Shiyan au Hubei le 13 juin dernier – soit une journée après l’entrée en fonction du nouveau maire Huang Jianxiong (黄剑雄). Vu le nombre élevé d’accidents récents, « toutes les régions et tous les départements concernés doivent tirer des leçons les uns des autres, a affirmé Xi Jinping, afin de promouvoir le maintien de la stabilité sociale et la création d’une « bonne ambiance » pour le centenaire de la fondation du Parti »*.
À regarder de près l’ensemble des instructions de Xi, elles peuvent être en grande partie appliquées pour tout autre incident qui surviendrait dans une autre région de Chine. Xi demande également aux cadres locaux d’apprendre des erreurs les uns des autres, ce qui n’a guère marché : il suffit d’énumérer les multiples accidents de ces dernières semaines : 6 morts dans une usine alimentaire le 13 juin à Chengdu, 8 morts causés par la fuite de formiate de méthyle dans une usine chimique le 12 juin à Guiyang, 7 morts empoisonnés par une fuite de gaz toxique dans une usine alimentaire le 24 mai à Changning, 2 morts par empoisonnement dans une usine de traitement des eaux usées le 5 mai à Nanchong.
La dernière consigne du président chinois – « créer une bonne ambiance pour le centenaire » – fait écho au faux pas de Wang Zhonglin, gouverneur du Hubei. En février, alors qu’il était secrétaire du Parti à Wuhan, Wang avait demandé à la population d’être reconnaissante envers le Parti et l’autorité de Xi Jinping dans la gestion de la pandémie. Le message était mal passé. Aujourd’hui, les multiples accidents n’aident en rien à rassurer le Parti avant le début du mois de juillet.
Dans l’idéal, le Parti préfère garder le silence sur ces accidents. De même pour les révisions de l’histoire du Parti. Cependant, le fait de ne rien pouvoir dire témoigne de l’état dans lequel se trouve le PCC en ce moment : quand le silence règne, le Parti est sans doute sous haute tension. Et la situation ne risque pas de s’améliorer avant juillet, période durant laquelle le PCC risque au contraire de resserrer les mesures de contrôle au cas où certaines menaces (millénaristes ?) referaient surface. Ne l’oublions pas : le Parti demeure très superstitieux et le chiffre 100, tout comme les années se terminant par 9 ont une symbolique forte dans l’histoire chinoise.
Commencer un nouveau siècle avec des pressions extérieures – parfois utiles pour justifier certaines politiques intérieures contraignantes – et avec un bon nombre de doléances de la société chinoise, tout cela empêche le Parti d’avoir l’air aussi victorieux qu’il ne le voudrait. En réalité, les célébrations du centenaire s’adressent en premier lieu aux dirigeants du Parti, qui aiment se souvenir à quel point ce qu’ils font est juste. La population, elle, doit « faire comme si » et être au rendez-vous. Ce serait pourtant le moment de préparer les infrastructures pour la saison des pluies et des crues, histoire d’éviter le fiasco de l’an dernier.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.