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Origines du Covid-19 : la piste d'une fuite du laboratoire de Wuhan relancée, la Chine aux abois

Peter Daszak et Thea Fischern deux des enquêteurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), arrivent à l'Institut de virologie de Wuhan, le 3 février 2021.(Source : France 24)
Peter Daszak et Thea Fischern deux des enquêteurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), arrivent à l'Institut de virologie de Wuhan, le 3 février 2021.(Source : France 24)
Une piste sérieuse est en train d’émerger sur l’origine du Covid-19. Le coronavirus pourrait bien provenir de chauve-souris ayant contaminé des ouvriers dans une mine du Yunnan au sud-ouest de la Chine en 2012. Des échantillons du virus auraient été prélevés par l’Institut de virologie de Wuhan, relançant l’hypothèse de la fuite accidentelle à l’origine de la pandémie. Dans le même temps, les appels se font de plus en plus pressants à travers le monde en direction de la Chine, sommée de toutes parts de faire enfin la lumière sur une pandémie qui a tué plus de 2,6 millions de personnes jusqu’à présent.
Qu’on se souvienne, il y a un peu plus d’un an, de ces images de pangolins malades, d’animaux sauvages vendus sur les étals du marché humide de Wuhan, de quelques chauves-souris égarées. Un scénario qui a longtemps masqué l’origine véritable du virus. Pour lancer la contre-attaque, la propagande de Pékin en était arrivée à accuser l’armée américaine d’être responsable de la contamination à Wuhan lors de Jeux militaires mondiaux organisés dans la ville en octobre 2019. Début septembre dernier, des médias officiels chinois avaient même diffusé sur les réseaux sociaux une vidéo évoquant « 200 mystérieux laboratoires de biosécurité mis en place par l’armée américaine tout autour du monde », susceptibles d’avoir laissé s’échapper le nouveau coronavirus. Puis elle était passée à une thèse tout aussi improbable de produits surgelés importés de l’étranger.
La réalité est, bien entendu, à chercher ailleurs. Une piste devient de plus en plus crédible, mais que les autorités chinoises cherchent par tous les moyens à étouffer : celle de la contamination d’ouvriers en 2012 dans une mine du Yunnan qui aurait ensuite circulé à bas bruits jusqu’à ce qu’une éminente chercheuse chinoise ne ramène le virus au laboratoire P4 de l’Institut de virologie de Wuhan. Y a-t-il eu un accident et le virus se serait-il échappé du laboratoire ?
C’est l’une des questions-clés que soulève, dans une lettre ouverte datée du 4 mars dernier, un groupe de 26 scientifiques internationaux. Ils dénoncent le manque d’accès offert aux enquêteurs de l’OMS à Wuhan au début de l’année et préconisent de ne pas écarter la piste d’une fuite accidentelle. Selon les signataires de la lettre, il faudrait pouvoir examiner les différents scénarios, notamment celui où un employé du laboratoire de Wuhan pourrait avoir été infecté accidentellement en prélevant des échantillons de coronavirus, pendant le transport d’animaux malades ou lors de manipulation de déchets provenant de ce type d’échantilonnage.

Culture du silence

Regardons plus attentivement cette piste menant du Yunnan à l’Institut de virologie de Wuhan. Un article très documenté publié le 22 décembre par Le Monde explique la séquence. Le 25 avril 2012, un homme de 42 ans est admis à l’hôpital de Kunming, la capitale provinciale du Yunnan, à quelque 1 500 km au sud-ouest de Wuhan. Il est sujet à une toux persistante depuis deux semaines, souffre d’une forte fièvre et surtout d’une détresse respiratoire qui s’aggrave. Le lendemain, trois autres patients, âgés de 32 à 63 ans, frappés de symptômes semblables, sont admis dans le même établissement. Le surlendemain, un homme de 45 ans y est à son tour hospitalisé. Un sixième, 30 ans, les rejoint une semaine plus tard.
Tous partagent plus ou moins les mêmes symptômes de pneumonie sévère. Leurs scanners thoraciques indiquent une atteinte bilatérale des poumons, avec des opacités en verre dépoli, qui sont aujourd’hui reconnues comme relativement caractéristiques du Covid-19, bien que non spécifiques. Trois d’entre eux présentent des signes de thrombose, une obstruction des vaisseaux là encore assez typique des complications du nouveau coronavirus.
Tous ont en commun d’avoir travaillé dans une mine désaffectée à Tongguan, dans le canton de Mojiang. Une mine peuplée de plusieurs colonies de rhinolophes – dites « chauves-souris fer à cheval » – où les six hommes ont passé jusqu’à deux semaines à cureter les galeries du guano des mammifères volants. Trois d’entre eux meurent à l’hôpital, après respectivement douze, quarante-huit et cent neuf jours d’hospitalisation. Les deux plus jeunes en réchappent après un séjour de moins d’une semaine, tandis qu’un autre, âgé de 46 ans, ne sortira de l’hôpital de Kunming que quatre mois après son admission.
Or ce coronavirus du Yunnan, l’institut de virologie de Wuhan en a collecté des échantillons dès 2012. Une information confirmée par la direction du laboratoire dans un article publié par la revue Nature le 17 novembre dernier. Que s’est-il passé depuis ? Pékin garde le silence le plus absolu sur cette piste et la mine en question est aujourd’hui hermétiquement fermée, maintenue soigneusement à l’écart des regards indiscrets. La culture du silence et de la dissimulation du gouvernement chinois une nouvelle fois mise en lumière, mais cette fois-ci sur un sujet planétaire. Des équipes de journalistes étrangers ont été chassées sans ménagement par des villageois en colère tandis que des caméras ont été installées à l’entrée de la mine et que des barrages routiers bloquent tout passage sur les voies d’accès au site.

« 85 % de chances »

La mission des experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Wuhan pour tenter de déterminer l’origine du virus en février dernier s’est soldée par un fiasco intégral. Non seulement les autorités chinoises avaient négocié pied à pied les termes de l’enquête avec l’OMS au détriment de l’indépendance de l’expertise, non seulement les experts, réputés certes, avaient été tous cooptés par Pékin mais, selon une enquête du New York Times, leur travail a dû se contenter de travaux déjà conduits sous l’égide de Pékin.
Le chemin parcouru est immense depuis un an. Au tout début de l’épidémie, toute évocation de la piste des laboratoires était catégorisée comme pure théorie du complot, ou associée aux attaques antichinoises de Trump et de son administration. Or, cette hypothèse n’est en réalité pas venue du camp de l’ex-président républicain, comme l’a bien expliqué Jérémy André, correspondant du Point à Hong Kong. Jamie Metzl, chercheur à l’Atlantic Council, un think tank américain, ancien membre du cabinet de Joe Biden au Sénat et ex-conseiller de l’administration Clinton, a été le premier à Washington à soutenir qu’un accident de recherche avait pu conduire à la pandémie catastrophique de 2020.
Cette figure proche de l’establishment démocrate a exposé, dès avril 2020, les nombreux arguments et les preuves l’amenant à conclure qu’il y a « 85 % de chances que la pandémie ait commencé par une fuite accidentelle ». C’est justement Jamie Metzl qui a coordonné la lettre ouverte des 26 scientifiques publiée le 4 mars. Un avis qui pèse, venant d’un spécialiste de la santé publique et des recherches en ingénierie génétique, d’un familier de la Chine, et d’un expert moins suspect de vouloir politiser le dossier que Donald Trump ou Mike Pompeo.
Le 11 mars dernier, le Premier ministre chinois Li Keqiang a promis que la Chine continuerait de coopérer avec l’OMS pour poursuivre avec elle les recherches sur l’origine du virus. « Nous continuerons de travailler avec l’OMS pour mener ce travail plus loin », a-t-il soutenu. Des centaines de scientifiques à travers le monde ont joint leur voix pour prendre la Chine au mot. Sa crédibilité en dépend.
Le célèbre sculpteur et metteur en scène chinois Ai Weiwei, qui vit désormais au Portugal, a tourné un film, Coronation, sur l’épidémie à Wuhan, en dirigeant à distance douze vidéastes amateurs. Selon l’artiste, « le monde ne saura probablement jamais ce qui s’est réellement passé à Wuhan. […] Le régime communiste est très puissant et pour lui, garder ce secret est une priorité. »
Par Pierre-Antoine Donnet
Voir le documentaire d’Ai Weiwei, Coronation :

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A propos de l'auteur
Ancien journaliste à l'AFP, Pierre-Antoine Donnet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages consacrés à la Chine, au Japon, au Tibet, à l'Inde et aux grands défis asiatiques. En 2020, cet ancien correspondant à Pékin a publié "Le leadership mondial en question, L'affrontement entre la Chine et les États-Unis" aux Éditions de l'Aube. Il est aussi l'auteur de "Tibet mort ou vif", paru chez Gallimard en 1990 et réédité en 2019 dans une version mise à jour et augmentée. Après "Chine, le grand prédateur", paru en 2021 aux Éditions de l'Aube, il a dirigé fin 2022 l'ouvrage collectif "Le Dossier chinois" (Cherche Midi). Début 2023, il signe "Confucius aujourd'hui, un héritage universaliste", publié aux éditions de l'Aube. Son dernier livre, "Chine, l'empire des illusions", est paru en janvier 2024 (Saint-Simon).