Politique
Analyse

Chine : au Heilongjiang, Xi Jinping en funambule dans la valse des nominations

Le président chinois Xi Jinping avec des travailleurs agricoles à la fermme de Qixing, dans la province du Heilongjiang au nord-est de la Chine, le 25 septembre 2018. (Source : China Daily)
Le président chinois Xi Jinping avec des travailleurs agricoles à la fermme de Qixing, dans la province du Heilongjiang au nord-est de la Chine, le 25 septembre 2018. (Source : China Daily)
La promotion des cadres à la tête des provinces chinoises est un jeu de go très complexe, mais nécessaire à celui qui veut dominer la scène politique nationale en Chine. Parfois, il vaut mieux ne pas perdre du terrain, plutôt que de chercher vainement à en gagner. Xi Jinping n’ignore pas cette règle tacite. Exemple avec la nomination du nouveau gouverneur du Heilongjiang.
Environ deux mois après le départ de Wang Wentao (王文涛), nommé ministre du Commerce, Hu Changsheng (胡昌升), un vétéran du Sichuan et du Fujian, a été nommé gouverneur par intérim du Heilongjiang. Ce dernier est connu au sein du Parti comme celui qui est passé devant la promotion de Hu Haifeng (胡海峰), le fils de Hu Jintao en 2019. Sur la scène provinciale, il demeure un cadre avec assez peu de notoriété.
Parachuté le 29 janvier à la tête du Heilongjiang, son arrivée a mis un terme aux rumeurs d’une lutte de pouvoir pour le poste de gouverneur entre d’un côté Chen Haibo (陈海波), un associé de Li Keqiang lorsqu’il était dirigeant du Liaoning, et de l’autre, Chen Xu (陈旭), secrétaire du Parti de l’Université de Qinghua et protégée de Chen Xi (陈希), chef du département de l’Organisation du Parti et président de l’école centrale du Parti. Des deux, le favori était Chen Haibo, fort de son expérience en province. Il n’a donc pas réussi à se hisser au sommet. Idem pour Chen Xu, même si son cas est différent : même si elle est membre suppléant du Comité Central depuis 2017, comme Chen Haibo et même Hu Changsheng, elle ne possède aucune expérience en province. En outre, elle doit sa position au Comité Central au bon vouloir de Chen Xi. Or Chen Haibo l’a obtenue parce qu’il était secrétaire adjoint du Parti du Heilongjiang. Même Chen Xi n’avait pas connu d’avancement si rapide dans le Parti-État à sa sortie de Tsinghua. Il était devenu ministre adjoint de l’Éducation puis secrétaire adjoint du Liaoning. Ainsi, propulser Chen Xu trop vite à l’avant-scène aurait certainement créé du ressentiment dans les instances provinciales.
Que conclure de cette affaire ? La réponse est un entre-deux : Li Keqiang a perdu du terrain sans pourtant dire que Xi Jinping en a gagné. Le nouveau gouverneur Hu Chansheng a des liens avec la bande du Sichuan, qui s’est formée après la déchéance de Zhou Yongkang, mais sans plus. Par ailleurs, Hu a été testé au Fujian à la tête du département provincial de l’Organisation, base arrière de Xi, sans pour autant remplir le contrat minimal de deux ans. Cependant, Hu devait être transféré car Wang Ning (王宁), le gouverneur du Fujian, n’a que 60 ans et n’est donc pas près de céder son poste. La même chose vaut pour Chen Haibo : il devra partir du Heilongjiang, où les possibilités d’avancement sont très minces, voire même nulles. Lui permettra-t-on de remplacer l’un des secrétaires de province qui doivent prendre leur retraite cette année ? Le Gansu pourrait être la solution, alors que Lin Duo (林铎), secrétaire actuel du Parti, devra se retirer sous peu et que son adjoint, Sun Wei (孙伟), l’un des « secrétaire particuliers » (mishu) de Wu Bangguo, puissant membre de la « clique de Shanghai » de Jiang Zemin, n’a que peu de chance de passer en tête.
*Comme la Mongolie-Intérieure d’ailleurs.
Le Heilongjiang a son importance dans la lutte des factions au sein du Parti : il a longtemps servi de réserve de matières premières* aux alliés de Jiang Zemin. Mais c’est surtout Zhang Qingwei (张庆伟), le secrétaire du Parti du Heilongjiang, qui explique le délai entre le départ du gouverneur de la province, Wang Wentao, et l’arrivée de son successeur, Hu Changsheng. Auparavant, les secrétaires adjoints étaient pour la plupart directement promus secrétaire provincial. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi, ils sont de plus en plus nommés gouverneurs dans un premier temps. Au Heilongjiang, le problème vient du fait que Zhang Qingwei n’a que 59 ans et qu’il n’est pas du tout près d’être remplacé. Difficile dans ces conditions de trouver un cadre qui accepte de venir attendre en province avec si peu de garanties. Vu sa position et son importance comme membre éminent de la « clique de l’aérospatial », Zhang est légèrement capricieux et refuse parfois de donner du mou à son gouverneur. Enfin, Xi a besoin du soutien de cette clique : il ne peut donc pas trop se permettre de les écarter et donc de contrarier Zhang. Encore moins d’ici le congrès du Parti en 2022.

Quand un « secrétaire particulier » dirige l’Anhui

Xi Jinping doit également pourvoir des postes au sein du Conseil des ministres, à commencer par ceux dont l’âge approche les 65 ans, comme par exemple E Jinping (鄂竟平). À ce titre, on imaginait Li Guoying (李国英), en fin de rotation provincial avec sa nomination comme gouverneur de l’Anhui en 2017, revenir vers son unité de travail d’origine, le ministère des Ressources hydrauliques, au moment de la retraite de E Jinping. C’est le cas puisqu’il a été nommé début février secrétaire du Parti de ce ministère, après un peu plus de 5 ans en province.
*En matière de travail idéologique et de propagande.
Dans l’Anhui, comme dans le Heilongjiang, pour remplacer le gouverneur sortant, un cadre a été parachuté au dernier moment, le 29 janvier : Wang Qingxian (王清宪), qui représente la génération post-Liu Yunshan en province*. Cependant, son arrivée n’a pas porté atteinte à un second secrétaire adjoint.
*Qui comprend également Wang Fu (王赋), collègue de Wang Qingxian et secrétaire général du comité permanent du Shanxi de 2017 à 2018, et Hu Yuting (胡玉亭), collègue de Wang et successeur de Wang Yu entre 2018 et 2019. **Des rumeurs subsistent à ce sujet.
Wang fait avant tout partie de cette nouvelle « clique des secrétaires particuliers » (mishubang, 秘书帮) du Shanxi* – à ne pas confondre avec la précédente « clique des mishu » (秘书帮) de Zhou Yongkang et de Zeng Qinghong. Quoique, lorsque l’on regarde le parcours de Wang au Shanxi, pendant l’âge d’or de « l’association du Shanxi » (山西会) de Ling Jihua, on peut se demander s’il n’est pas l’un des associés des lieutenants de Ling ou encore de son frère Ling Zhengce (令政策)**.
La position de secrétaire particulier pour le gouvernement a la réputation d’être très utile pour monter en grade. En fait, malgré une cohésion relativement faible, ces cliques sont parfois décrites comme un réseau qui tente de se tailler une place entre la « clique des Jeunesses communistes » (tuanpai, 团派) et la « clique des princes du Parti » (taizidang, 太子党). Cela dit, les secrétaires particuliers sont également les premiers à être sacrifiés en cas de luttes factionnelles intenses : une partie importante des cadres de rang ministériel/provincial (ou plus) qui sont tombés entre le XVIIIe et le XIXe Congrès, avaient cette expérience sur leur CV.
*À présent, les cadres sont également responsables des cadres qu’ils auront promu durant leur mandat. **En référence à un des articles publiés dans le journal Mishu Work (秘书工作) par Ding en 2008.
Malgré les règles de promotion de 2019 pour les cadres ainsi que leurs nouvelles responsabilités en matière d’évaluation a posteriori*, les secrétaires particuliers, selon les mots de Ding Xuexiang (丁薛祥)**, sont la base même des affaires politiques du pays. Ils sont le gouvernement auxiliaire qui oriente les décisions du Parti et forment, en quelque sorte, un « think-tank institutionnel » sur lequel le Parti peut et doit s’appuyer.

Et Hu Haifeng ?

*Même s’il est impossible, pour l’instant, de confirmer sa véritable affiliation.
Les promotions de Hu Changsheng et de Wang Qingxian sont intéressantes en soi. Le départ de Hu Changsheng a laissé le siège de Xiamen inoccupé et, comme le Fujian est un endroit sensible pour Xi Jinping, le poste n’a pas tardé à être pourvu. Le jour du départ de Hu, Zhao Long (赵龙), un vétéran du Ministère des Ressources naturelles en poste au Fujian depuis juillet 2020, a simplement été promu de manière latérale. Fait notable : Zhao Long, par son parcours, a beaucoup plus de chances d’être l’associé d’anciens lieutenants de la clique de Jiang Zemin que d’être un proche de Xi*.
*Le maire de Qingdao, Meng Fanli (孟凡利), a quitté son poste en septembre 2020 pour le comité permanent de la Mongolie-Intérieure et la ville de Baotou. Meng n’a été remplacé qu’en décembre 2020 par Zhao Haozhi (赵豪志). Entre septembre et décembre, certaines rumeurs voulaient que Hu Haifeng soit en route vers le Shandong pour devenir maire.
La question demeure donc : reste-t-il encore de la place quelque part pour Hu Haifeng ? Après le fiasco de Xi’an, où sa promotion lui a glissé entre les doigts en 2019, après le raté de la deuxième promotion au département de l’Organisation du Fujian au cours du même mois, sans compter le troisième échec essuyé cette fois à Qingdao fin septembre 2020*, le fils de Hu Jintao peut-il espérer un meilleur poste en 2021 ? Ce n’est pas impossible.
*Ou bien le poste de maire de Xiamen, vacant depuis le 28 juillet 2020. **Ce qui ferait de Hu un cadre de rang vice-provincial né après 1970 – groupe connu sous le nom de 70后副部级干部.
En effet, Hu Henghua (胡衡华), actuel secrétaire adjoint du Parti dans le Shaanxi, a laissé derrière lui le poste de secrétaire du Parti de la ville Changsha le 17 octobre 2020*. Ce poste se combine avec une place au comité permanent de la province**. Ce pourrait être la chance que Hu Haifeng attendait depuis un moment. Mais Xi Jinping sera-t-il prêt à le laisser « aller vers l’Ouest » (xijin, 西进) ? Si tel était le cas, Hu pourrait être promu un peu avant ou durant les « deux assemblées » (lianghui, 两会) en mars. Mais si l’on considère la relation parfois houleuse entre Hu Jintao et Xi Jinping, Hu Haifeng pourrait rester prisonnier du Zhejiang encore un moment.
Pour l’heure, le fils du prédécesseur de Xi, qui est passé de la ville de Jiaxing à celle de Lishui en 2018, doit suivre les instructions du président chinois, proclamer mais aussi démontrer sa loyauté envers lui, s’il espère monter en grade en 2021.
Par Alex Payette

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.