Economie
Analyse

La Chine en 2021 : forte croissance ou sabordage politique?

Un cargo à conteneurs dans le port de Qingdao, dans l'est de la Chine. (Source : Brink)
Un cargo à conteneurs dans le port de Qingdao, dans l'est de la Chine. (Source : Brink)
Même si c’est un repli historique en quarante ans de développement économique fulgurant, la Chine a connu en 2020 une croissance de 2 % du produit intérieur brut, là où toutes les grandes économies sont dans le rouge à cause de la crise sanitaire. Au moment où une grande partie du monde reste pénalisée par l’épidémie, la forte demande en produits médicaux et en matériel informatique pour le télétravail a largement profité aux producteurs chinois. Les exportations du géant asiatique ont encore bondi de 18,1% sur un an le mois dernier. Cela ne fait donc pas débat parmi les experts : l’économie chinoise a terminé l’année 2020 sur une note positive. Mais que lui réserve 2021 ? De nombreuses opportunités, assurément. Seulement, le Parti saura-t-il en tirer profit ? Saura-t-il éviter de saborder le navire de la croissance ?

La variable Biden

Pour l’instant, l’équipe qui conseillera le président élu Joe Biden sur les questions chinoises se compose de nombreuses personnalités issues de l’administration Obama, comme Anthony Blinken, ancien conseiller adjoint à la sécurité nationale et secrétaire d’État adjoint sous l’ancien président. Ce changement de cap rompt de façon claire avec l’équipe sortante marquée par le bellicisme commercial et le jusqu’au-boutisme de Donald Trump, entouré de responsables tels que Peter Navarro et John Bolton – licencié depuis un moment déjà. Quelle que soit la composition finale de l’équipe qui conseillera Biden, elle devrait œuvrer de manière plus cohérente, sans mentionner les décennies d’expérience des conseillers potentiels, au caractère aussi plus traditionnel. Ainsi, Chinois et Américains devraient pouvoir rouvrir et entretenir un dialogue plus régulier, normalisant ainsi quelque peu leurs relations.
L’équipe de Trump est sans aucun doute belliciste. Cela dit, le problème majeur qui a affecté (et affecte encore) les relations sino-américaines – ainsi que l’ensemble de la politique étrangère américaine durant l’ère Trump – a été celui de l’incohérence et des changements hasardeux d’orientation politique, souvent opérés rapidement et sans avertissement ni explication.
Si cette façon de gouverner devrait disparaître sous l’administration Biden, la Maison Blanche devrait rester plutôt belliciste à l’égard la Chine. D’une certaine façon, l’administration Trump a fait une fleur à la future équipe de Biden : elle a jeté les bases et fait le travail de fond qui permettra au nouveau président démocrate, le cas échéant, de faire pression sur la Chine sans toutefois s’exposer politiquement sur le plan domestique. Par ailleurs, sachant les liens entre le fils du futur président, Hunter Biden, et certains hommes d’affaires chinois corrompus, la nouvelle administration passerait pour suspecte si elle devenait soudainement plus conciliante avec Pékin.
Certes, la Chine est devenue ces dernières années un sujet bipartisan aux États-Unis. L’administration Biden n’a qu’à activer le plan déjà mis en place par l’équipe Trump. Par exemple, Biden n’a pas parlé d’annuler la première phase de l’accord commercial – pourquoi le ferait-il ? De même, l’administration Biden dispose de suffisamment de munitions pour faire pression sur Pékin sur plusieurs autres fronts, notamment Hong Kong et le Xinjiang.
En fait, la Chine fournit la plateforme idéale pour parvenir à un consensus, alors que Biden cherche à réconcilier et à reconstruire les relations avec les alliés traditionnels des États-Unis en Amérique du Nord, en Europe et ailleurs. Ne l’oublions pas, plus la position diplomatique de Pékin est belliqueuse, plus elle poussera d’autres pays à soutenir le leadership des États-Unis sur la scène internationale. Tous ceux qui attendent avec impatience une forme de réchauffement entre Washington et Pékin sous Biden risquent donc d’être déçus.

Accords commerciaux et rhétorique agressive

La Chine a réussi à conclure deux accords commerciaux majeurs en 2020 : le Partenariat régional économique global (RCEP), signé à la mi-novembre, et l’Accord global sur les investissements avec l’Union européenne conclu provisoirement le 30 décembre et en attente d’être ratifié. Ces accords à eux seuls ont le potentiel de soutenir la croissance de l’économie chinoise tout au long de 2021. En même temps, en s’inspirant de ces deux accords, un autre traité commercial, moins important certes, pourrait voir le jour entre la Chine, la Corée du Sud et le Japon – projet qui se discute depuis un bon moment déjà. La signature de la deuxième phase de l’accord commercial entre les États-Unis et la Chine n’est pas non plus à exclure.
À première vue, ces accords commerciaux, conclus ou potentiels, devraient pouvoir stimuler la production intérieure de la Chine et donner un nouveau souffle à ses exportations. Bien entendu, la suppression des barrières commerciales, tarifaires surtout, signifie aussi que les produits étrangers dans le pays deviendront de moins en moins chers, ce qui, espérons-le, stimulera la consommation domestique. Cependant, il existe ici un autre dilemme important pour le Parti. La transition économique souvent annoncée par Pékin et fondée sur les consommateurs chinois pourrait encore être mise de côté au profit des exportations qui se voient, surtout via le RCEP, offrir une bouée de sauvetage. Pourtant, la stratégie fondée sur la consommation intérieure servirait mieux les intérêts économiques de la Chine à long terme. Difficile de savoir comment tranchera l’administration Xi.
Il est peu probable que les données macroéconomiques mensuelles en 2021 reflètent les effets du RCEP et de l’accord sino-européen sur l’investissement. Il faudra attendre le mois de décembre pour être fixé. Cependant, les politiques et les réformes mises en œuvre tout au long de l’année permettront de mieux jauger la direction macroéconomique générale choisie par le Parti.
Le PCC devra cependant demeurer sur ses gardes, car les sentiments antichinois ne se sont guère atténués sur la scène internationale. Malgré la signature provisoire de l’accord sino-européen, sa mise en œuvre pourrait ne pas couler de source, les deux parties risquant de vouloir compliquer les choses. L’autre problème hautement inflammable est bien sûr la posture diplomatique de plus en plus agressive de la Chine. Dans la mesure où le Parti ne peut pas, ou ne veut pas, contenir cette agressivité, les diplomates « loups guerriers » et leurs actions dans les médias porteront sans aucun doute préjudice aux intérêts économiques du pays, jusqu’à sérieusement compromettre ces deux accords. Au total, l’économie chinoise a devant elle des opportunités considérables, mais la rhétorique politique menace de tout faire chavirer.
Répétons-le, la nouvelle administration Biden continuera à faire pression sur la Chine à travers un large éventail de sujets. Alors que les négociations économiques sont généralement menées à huis clos pour être à l’abri des médias, Biden pourra braquer les projecteurs sur les droits humains et les conflits géopolitiques. Malheureusement, l’appareil de propagande du Parti et le ministère des Affaires étrangères s’enflamment trop facilement sur ce type de sujets. Ils auront du mal à s’abstenir d’attaquer les États-Unis, et parfois l’Occident en général. Voilà pourtant une bataille rhétorique futile que le Parti ne peut gagner même s’il ne résiste jamais à y participer. Pour l’Occident, ces attaques sont des points faciles à marquer et présentent une cause commune sur laquelle les alliés des États-Unis pourront s’unir. Là encore, le plus grand obstacle à la capacité de Pékin à tirer pleinement profit de ses accords commerciaux, demeure… Pékin.

Vers un resserrement fiscal et monétaire ?

Sans surprise, le Parti n’a pas stoppé ses politiques fiscales et monétaires accommodantes, mises en place au début de la pandémie. Mais si jamais la croissance en 2021 devenait « trop » forte, l’État devrait resserrer la vis, intervenir et prendre des mesures de refroidissement pour éviter les bulles d’actifs. Certes, un tel scénario reste peu probable dans la mesure où l’économie chinoise dépend fortement de la demande mondiale et que la plupart des autres pays ne sont pas encore revenus à un état normal. Mais il pourrait devenir réalité si les vaccins arrivaient à être administrés de manière efficace à travers le monde et que leur efficacité était suffisante pour parvenir à une immunité collective mondiale. Cela permettrait à de larges pans de l’économie globale (alimentation, hôtellerie, tourisme) de reprendre de la vigueur.
À ce stade, l’économie chinoise ne paraît pas suffisamment résiliente pour tenir face à un durcissement des politiques fiscales et monétaires. C’est, semble-t-il, ce que pensent les dirigeants du Parti. Ces politiques ont en effet pour une large part maintenu à flot l’économie chinoise tout au long de 2020. Elles ont aussi permis au Parti d’enregistrer une nouvelle année de croissance économique dans un environnement où la plupart des autres pays se seraient contentés de terminer 2020 avec une simple contraction minimale. Le Parti n’a donc pour l’instant aucune raison de revenir sur ces politiques, surtout si elles peuvent encore générer de la croissance économique.
Dans tous les cas, en cas de resserrement, il devra être extrêmement graduel et mesuré. Les autorités financières et monétaires chinoises devront surveiller de près la réaction de l’économie du pays à un tel changement de ton. D’où ce dilemme pour le Parti : combien de temps pourra-t-il maintenir l’actuel « laxisme » fiscal et monétaire ? Car plus ce laxisme se prolonge, plus des entreprises « zombies » continueront à drainer les capitaux et les ressources au détriment des secteurs performants de l’économie. En même temps, un environnement de crédit souple a également tendance à créer une sorte d’aléa éthique, comme aux États-Unis, dans l’UE et au Japon, où les faibles taux d’intérêt ont à long terme rendu, dans une certaine mesure, la politique monétaire inefficace et « stérile ».
Jusqu’à présent, cela n’a pas été le cas en Chine. Mais le risque augmente avec la persistance de l’environnement de crédit laxiste. 2021 sera une année critique pour le Parti qui doit non seulement se concentrer sur sa propre transition politique vers 2022, mais également suivre de près les performances de l’économie chinoise afin d’éviter la montée de la colère au sein de la population et l’instabilité sociale.
Par Alex Payette

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.