Culture
Entretien

Festival du Film Coréen à Paris : quand le court-métrage parle de la difficulté d'être mère

La bannière du 15e Festival du Film Coréen à Paris (FFCP).
La bannière du 15e Festival du Film Coréen à Paris (FFCP).
Malgré les difficultés et les incertitudes liées à la pandémie de coronavirus, l’équipe du festival du Film Coréen à Paris (FFCP) avait décidé courageusement de maintenir sa 15ème édition. Chaque année, le festival rassemble des dizaines de milliers de spectateurs, cinéphiles, amoureux de la Corée ou simples curieux. La décision n’était pas simple à prendre, maintenir l’événement signifiait relever de nombreux défis : invitation impossible des réalisateurs ou des acteurs, respect obligatoire de la distanciation physique et des gestes barrières, sélection de films plus resserrée… Le second confinement oblige malheureusement le festival, prévu du 27 novembre au 3 octobre, à s’arrêter après seulement trois jours de projections. Malgré cet énième coup dur, l’équipe du FFCP compte bien terminer son édition dès que les conditions sanitaires le permettront.

Entretien

Peu avant l’ouverture du festival, Asialyst avait rencontré Julien Chardon, le programmateur de la section « shortcuts ». L’occasion de revenir sur les courts-métrages à l’affiche du festival et sur l’organisation de l’événement.

Julien Charon , programmateur de la section court-métrage (Crédits: Myriam Gantet)
Julien Charon , programmateur de la section court-métrage (Crédits: Myriam Gantet)

Pourquoi faut-il voir des courts métrages ?

Le court-métrage est un très bon prisme de la société. Quand on a l’occasion d’en voir beaucoup, réalisés dans un laps de temps donné par des hommes ou des femmes qui habitent une zone géographique et culturelle précise, on a un bon aperçu du fonctionnement de la société à ce moment-là. Par exemple, sur les deux années qui ont suivi le naufrage du Sewol, on n’a reçu quasiment que des films sur le deuil. C’était vraiment très fort. Cela en devenait difficile de faire des sélections qui soient un peu joyeuses. Beaucoup de films parlaient de l’incapacité des institutions à gérer les drames ou encore de la difficulté de perdre des proches.
Depuis le mouvement #MeToo également, on sent chez les réalisatrices et les réalisateurs une volonté de mettre la femme en avant, de montrer comment elle est victime de la société, comment elle peut s’en sortir mais aussi ce qui en fait une héroïne. Le court-métrage, c’est vraiment ça, un précis de la société. Il est aussi beaucoup plus proche d’un essai. Les réalisatrices et les réalisateurs y ont plus de liberté dans l’écriture.

En quoi consiste la section court-métrage au festival ?

À l’origine, le FFCP s’appelait le Festival du Film Franco-Coréen à Paris, parce qu’il fonctionnait en duo avec un festival en Corée. Des films français étaient diffusés à Séoul et des films coréens à Paris. Les deux équipes travaillaient en collaboration pour trouver les films locaux et les envoyer à l’autre. Mais la partie installée à Séoul n’a pas été pérenne et seule est restée la partie basée en France. Ces deux festivals étaient organisés par des étudiants. Très tôt, la section court-métrage est devenue la partie compétitive parce qu’il était plus facile d’établir un jury pour des courts-métrages que pour des longs.
Personnellement, j’ai commencé à travailler sur la sixième édition en montant la bande-annonce du festival. Alban Ravassard, mon prédécesseur à la programmation des courts-métrages, a eu l’occasion de créer un prix spécialement pour l’animation après avoir lancé un prix pour le meilleur scénario. Cette année-là, j’ai regardé cent cinquante films d’animations pour la sélection : Il m’a proposé de participer à la sélection des courts-métrages et j’ai repris le rôle de programmateur quand il a passé la main.
Les prix sont un bon moyen d’intéresser les sponsors. Cela leur donne une occasion supplémentaire d’être mis en avant. Pour rappel, le festival est à cent pour cent bénévole et personne ne gagne d’argent, mais l’organisation reste quand même très onéreuse. Il faut donc trouver des partenaires, des gens qui sont prêts à aider et c’est le moyen qu’on a de leur donner une vitrine.

Une thématique particulière est-elle ressortie de la sélection cette année?

Cette année, je crois qu’il y a deux films par séance qui parlent de la maternité. Ils montrent comment la mère est malmenée en Corée du Sud, que ce soit pendant la période du post-partum ou dans sa relation avec sa famille. Il y a des jeunes mères ou des vieilles mères qui se sentent abandonnées par leurs enfants et qui sont en quête de rêves et d’espoir. Il y a aussi une maman qui se confronte à l’homosexualité de sa fille avec tout ce que ça veut dire en Corée aujourd’hui, c’est-à-dire une double injonction d’amour inconditionnel et de confrontation à la société. Quand tu vas au travail, on te demande si ta fille s’est trouvée un mari. Est-ce que tu réponds que ta fille est homosexuelle ou est-ce que tu réponds : « Oh non elle fait ses études… » ?
A Good Mother de LEE Yu-jin raconte comment une mère fait face à l'homosexualité de sa fille. (FFCP)
A Good Mother de LEE Yu-jin raconte comment une mère fait face à l'homosexualité de sa fille. (FFCP)

Combien de films recevez-vous par an et comment se fait la sélection ?

On en reçoit de plus en plus. Il y a six ou sept ans on en recevait environ 300. Cette année on en a reçu 550 entre mars et fin mai. Cela représente environ 130 heures de courts-métrages. Nous n’en sélectionnons que six heures à la fin. Dans un premier temps, chacun des cinq sélectionneurs regarde une centaine de films et en retient une vingtaine. Le choix n’est pas évident parce qu’il faut à la fois retenir ses coups de cœurs, les films qui nous plaisent mais aussi les films qui ont des qualités techniques irréprochables même si nous aimons moins. Certains films ne sont pas parfaits mais ont du potentiel…
Quand c’est fait, on prend une journée pour discuter de chacun des films et lister leurs points positifs et négatifs. Certains sont des coups de cœurs absolu et d’autres sont très vite repoussés parce qu’il ne sont pas à la hauteur. Enfin, il y a toute cette gamme de films qui ne s’imposent pas d’eux mêmes et parmi lesquels il faut faire des choix. Là, on parle de près de soixante-dix films dont beaucoup ont des sujets équivalents et qui vont avoir des esthétiques similaires. Il faut choisir ceux qui nous plaisent le plus en termes d’émotions, de sujet, et qui seront le plus à même de séduire le public… On se bagarre forcément un peu. Et puis, quand un sujet revient beaucoup, même si on n’est pas très d’accord avec, il faut le montrer. Il y a des films qui sont très dur à regarder, qui nous marquent au fer mais si on ne les montre pas en salle, on ne remplit pas la mission du festival.

Cela fait plusieurs années qu’il y a une quasi parité réalisatrices-réalisateurs dans la sélection…

Jusque-là, je n’avais pas compté, mais j’ai vu que plusieurs festivals le faisaient, alors j’ai regardé. On a effectivement une très bonne parité et je suis content d’apprendre que c’était aussi le cas les années précédentes. En réalité, on ne regarde pas vraiment qui a réalisé le film. L’important est de savoir si le film nous a marqué ou non. Petite anecdote, il y a trois ans : on a reçu un film de Jero Yun [The hitchhiker, NDLR] qui avait été sélectionné à Cannes. Du coup, il avait le liseré de Cannes au générique. Cela nous a un peu dérangé parce que, pour une fois, on avait un indice de carrière du film. On s’est demandé si on devait le sélectionner ou non à cause de ça. Finalement, c’était compliqué d’écarter un film qui nous avait plu juste parce qu’on connaissait le réalisateur.

Est-ce que le public du festival évolue ?

J’ai l’impression que oui. Quand je n’étais que sélectionneur, il y avait une courbe croissante de la fréquentation avec 60 personnes dans la salle par séance et des pics à 80, 90, mais je trouvais que c’était souvent les mêmes personnes. Les gens étaient fidèles mais il n’y avait pas tant de nouvelles têtes que ça. Pour remettre du flux, on a remis un jury étudiant. C’est beaucoup de boulot mais c’est super parce qu’on a beaucoup de candidatures, des fans mais aussi des personnes qui ne connaissent pas la Corée et qui veulent saisir l’occasion pour l’expérience que ça représente. Ceux qui ont été jury reviennent, ils créent des petits groupes qui communiquent, ramènent des amis, etc. L’année dernière, les records de fréquentation ont explosé. Nous fêtions les cent ans du cinéma coréen et nous étions poussés par le succès de Parasite. Quand il y a un événement comme ça, toutes les sections sont mises en lumière.

Quels sont les profils des bénévoles qui organisent le festival ?

Je dirais qu’il y a de tout, mais ce qu’ils amènent tous, c’est l’énergie. C’est le moteur essentiel, l’envie et l’énergie, ce n’est même pas nécessairement la passion pour le cinéma ou la Corée. J’adore le cinéma coréen, mais quand je suis arrivé, c’était surtout pour la possibilité de décortiquer du court-métrage que du court-métrage coréen à proprement parler. Après le court-métrage coréen est fabuleux. Il est hyper libre dans la manière d’écrire par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir en France : c’est plus énervé, on sent que les réalisateurs en bavent un peu plus que nous et c’est ça qui m’intéresse et qui me fait rester année après année.
Bien sûr, on a des fans de la culture coréenne qui veulent s’investir et c’est tant mieux. Ensuite, au moins la moitié des bénévoles sont des membres de la communauté coréenne en France qui ont a cœur de faire découvrir leur culture et de se retrouver, faire de l’expérience, du réseau. On en bave, mais on est ravis de ce que le public rend : des tas de gens nous disent combien ils sont heureux d’avoir vu ces films.

Ce serait impossible de rémunérer les bénévoles ?

Aujourd’hui, c’est impossible. On n’aurait même pas de quoi rémunérer une seule personne à l’année. Il faudrait beaucoup plus de fonds, sans parler des soucis administratifs. Il faudrait qu’on devienne une entreprise mais ça voudrait dire qu’il faudrait qu’on fasse de l’argent et un festival, ça ne fait pas d’argent. Il y a beaucoup de monde rien que sur la semaine du festival, il suffit de regarder les photos de clôture. À l’année, juste pour les courts-métrages, on est cinq. Sur les longs, ils sont cinq aussi. On a aussi deux chargés de partenariats, les relations presses… Rien que moi, si je compte toutes mes heures, je travaille l’équivalent d’un à deux mois à temps plein et je ne suis pas celui qui travaille le plus. Un festival comme ça, entre deux pays, où il faut aller chercher les sponsors à l’étranger, ça demande une énergie considérable. Durant la semaine de festival, avec ceux qui font l’accueil des invités et du public, ceux qui s’occupent des traductions et des sous-titrages, ceux qui s’occupent de la technique, on est plus d’une soixantaine sur scène à la fin de chaque édition et c’est sans compter les photographes.
Propos recueillis par Gwenaël Germain

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A propos de l'auteur
Gwenaël Germain est psychologue social spécialisé sur les questions interculturelles. Depuis 2007, il n’a eu de cesse de voyager en Asie du Sud-Est, avant de s’installer pour plusieurs mois à Séoul et y réaliser une enquête de terrain. Particulièrement intéressé par la question féministe, il écrit actuellement un livre d’entretiens consacré aux femmes coréennes.