Société
Fenêtre sur Corée du Sud

Corée du Sud : #MeToo et la double discrimination

Détail d’un dessin paru dans le quotidien Choson, le 7 mars 2018
La peur aurait-elle changé de camp en Corée du Sud ? Après la tempête #MeToo qui fait trembler une société encore marquée par les traditions confucéennes, voici l’effet #PenceRule – ou « règle Mike Pence », du nom du vice-président américain. – De peur d’être accusés de violences sexuelles au travail, certains hommes dans les entreprises coréennes auraient recours à des solutions radicales : terminées les sorties le soir avec les copines du boulot, finis les déplacements professionnels avec l’autre sexe, les communications entre les femmes et les hommes seraient mêmes, dans certains cas, réduites à des échanges sur messageries.
C’est évidemment le très conservateur Choson Ilbo qui pose la question : le mouvement #MeToo est-il en train de créer une nouvelle discrimination envers les femmes dans les entreprises en Corée du Sud ? Le quotidien sud-coréen a mené l’enquête. Certains hommes ont peur, affirme le journal. Ils seraient même terrifiés à l’idée de poursuivre une relation de travail avec leurs collègues femmes.

« Règle Mike Pence »

Ce supposé effet boomerang de #BalanceTonPorc aurait pour conséquence la mise à l’écart des femmes sur le modèle de la règle dite « Mike Pence. » Le vice-président américain a fait le déplacement en Corée du Sud pour les Jeux Olympiques de Pyeongchang. Avec les femmes, Mike Pence dit observer une règle de conduite très simple, du moins pendant les repas : « (il) ne dîne jamais seul avec une femme, autre que (son) épouse Karen. » Sacré Mike ! Les têtes à têtes se font donc désormais entre mecs, et les femmes pleurent, à en croire le journal Choson. Voyages d’affaires, diners professionnels, les hommes et les femmes en entreprise ne sont bien sous aucun rapport. On s’évite dans les dîners professionnels. On ne part plus ensemble en voyage d’affaires.
*Les Coréens utilisent environ 250 noms de famille. C’est le prénom qui permet de savoir qui est qui ?
« Il est désormais demandé aux femmes de rentrer à la maison lorsque les collègues masculins sont de sortie le soir » affirme une employée qui témoigne sans donner son prénom*. Autre récit, celui d’une salariée d’une entreprise maritime qui n’a plus de contact autre que par messages textes avec sa hiérarchie. Son chef ne lui parle plus directement par crainte « d’avoir des problèmes », dit-il. C’est enfin une jeune femme de 25 ans qui s’inquiète sur le site d’information edaily. Elle aussi ne confie que son nom. Elle sort d’un entretien d’embauche. Visiblement, cela ne s’est pas très bien passé : « On ne m’a pas posé de questions sur mes compétences, mais uniquement sur mon avis concernant la discrimination envers les femmes au travail. »

Confusion & Confucius

Venue d’Hollywood, la déflagration #MeToo touche à tout les métiers en Corée du Sud. Elle fait tomber les magistrats, les metteurs en scènes, les hommes politiques. Le dernier qui en a fait les frais était gouverneur de la province de Chungcheong du Sud. Grande figure de la gauche, Ahn Hee-jung a annoncé qu’il quittait la vie politique après avoir fait ses excuses à son ex-secrétaire qui a « souffert à cause de lui ». Quelques heures plus tôt, cette dernière confiait en direct sur la télévision JTBC, s’être fait violer à quatre reprises par son patron lors de déplacements à l’étranger. En Corée du Sud comme en Occident, la parole des femmes se libère. Mais, ici, elle libère peut-être encore plus qu’ailleurs.
*Selon un rapport de Human Rights Watch, la Corée du Sud a elle aussi du chemin à parcourir ; le harcèlement restant malheureusement considéré comme « normal » chez de nombreux mâles (lire notre article).
Dans un pays où le harcèlement sexuel est considéré par certains comme « normal »*, le phénomène #MeToo suscite des réactions épidermiques. Souriez, vous vous sentez visé ! Résultat : même les « agneaux » voudraient couper les ponts avec l’autre sexe. L’idée n’est pourtant pas nouvelle. On la retrouve dans les préceptes de Confucius : « Nam yo chil sae bu dong sok », disent les enseignements de Maitre Kong traduits en coréen. En français : « Les femmes et les hommes ne doivent plus s’asseoir ensemble à partir de l’âge de sept ans. » Une séparation de principe qui rappelle la sainte trilogie « épouse, mère et ménagère » du prédicateur américain Billy Graham, et par ricochet la nouvelle « règle Mike Pence », qui n’est, au fond, rien d’autre qu’une nouvelle forme de sexisme.
Par Stéphane Lagarde

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A propos de l'auteur
Stéphane Lagarde est l'envoyé spécial permanent de Radio France Internationale à Pékin. Co-fondateur d'Asialyst, ancien correspondant en Corée du Sud, il est tombé dans la potion nord-est asiatique il y a une vingtaine d’années.