Economie
Analyse

Coronavirus : la Malaisie à la relance

Des milliers de Malaisiens de retour au travail alors que la plupart des magasins ont rouvert le 4 mai 2020. (Source : Camdencourrier)
Des milliers de Malaisiens de retour au travail alors que la plupart des magasins ont rouvert le 4 mai 2020. (Source : Camdencourrier)
La Malaisie est l’une des économies les plus ouvertes aux échanges. De fait, elle est moins affectée par les effets directs de la crise du coronavirus que par les conséquences de la pandémie sur l’économie mondiale.
L'épidémie de Covid-19 par pays et par million d'habitants le 4 mai 2019. (Source : Worldometers)
L'épidémie de Covid-19 par pays et par million d'habitants le 4 mai 2019. (Source : Worldometers)

Dérapage religieux et reprise en main

Les autorités malaisiennes ont réagi aux premières apparitions de cas de Covid-19 de manière triple : en obligeant des mises en quarantaine, en installant des détecteurs thermiques dans les aéroports et en interdisant dès le 27 janvier l’arrivée des personnes du Hubei puis des provinces du Jiangsu et du Zhejiang. Malheureusement, l’épidémie a pris un tournant tragique au lendemain d’un rassemblement religieux dans une mosquée de la banlieue de Kuala Lumpur. Refusant le test de dépistage, l’imam s’en est remis à la protection divine. Le nombre de cas a brutalement augmenté, grimpant de 158 le 12 mars à 2 031 deux semaines plus tard.
L'évolution de l'épidémie de Covid-19 en Malaisie du 1er mars au 3 mai 2020. (Crédit : Asialyst / Jean-Raphaël Chaponnière)
L'évolution de l'épidémie de Covid-19 en Malaisie du 1er mars au 3 mai 2020. (Crédit : Asialyst / Jean-Raphaël Chaponnière)
Le gouvernement de Kuala Lumpur s’était contenté de demander le respect des gestes barrières durant la prière du vendredi. Il a dû interdire tous les rassemblements et annulé tous les événements d’abord jusque fin avril puis jusqu’après la fin du Ramadan. Progressivement, il a fermé les frontières à tous les voyageurs en provenance de l’étranger – sauf pour les citoyens malaisiens – jusque fin avril. Le 16 mars, il a fermé les administrations et les commerces non essentiels, ce qui a aussitôt déclenché la panique. Pour freiner les mouvements de population, la police a dressé des barrages et le gouvernement a fait appel à l’armée, une mesure critiquée par l’opposition.
Alors que le nombre de décès augmentait brutalement, le décret du 27 mars sur le mouvement des personnes a limité aux seuls chefs de famille la possibilité de faire des courses – mesure revenue à deux personnes par foyer le 30 avril. Un décret dénoncé comme sexiste par Noraida Endut, professeur à l’université Sains Malaysia : la mesure décline le « chef » au masculin, ignorant les 240 000 mères célibataires. Elle a fait sourire dans le pays ceux qui doutent de la capacité des hommes, « chefs de famille », à choisir les légumes !
*Le seuil de pauvreté est très faible en Malaisie, trois fois plus bas que dans un pays à ce niveau de développement : 590 dollars par mois pour une famille avec trois enfants, estime la Banque Mondiale.
Le confinement instairé en Malalsie affecte durement le tourisme et la restauration, une activité en grande partie informelle. Après avoir annoncé un coup de pouce de 4,8 milliards de dollars le 27 mars, le gouvernement a décuplé la mise avec un plan de 58 milliards de dollars, soit 15 % d’un PIB parmi les plus élevés en Asie (20 % du PIB au Japon). Enumérant un ensemble de mesures pour les entreprises, ce plan a un versant social significatif avec des aides directes aux ménages pauvres (moins de 1 836 dollars de revenu annuel*), aux chauffeurs de taxi ou aux étudiants. Tous les ménages sont éligibles pour des rabais sur leur facture d’électricité. S’est ajouté le 6 avril un troisième plan de relance de 2,3 milliards de dollars pour soutenir les PME. Le 1er mai, le Premier Ministre a annoncé la réouverture ce mardi 4 mai de la plupart des magasins, hormis les lieux de loisirs.
Comme dans la plupart des pays, les migrants ont fait les frais de l’épidémie, qu’il s’agisse de ceux qui travaillent en Malaisie ou des 400 000 Malaisiens qui travaillent à Singapour, et qui doivent surmonter de nombreux obstacles pour franchir le Causeway qui sépare la péninsule de l’île !
Les perspectives de croissance économique en Malaisie de 2016 à 2020. (Source : Department of Stistics Bank Negara Malaysia)
Les perspectives de croissance économique en Malaisie de 2016 à 2020. (Source : Department of Stistics Bank Negara Malaysia)

Une contraction assez faible

*Comment expliquer un ratio aussi élevé du commerce extérieur au PIB ? Les écoliers apprennent qu’on ne peut pas diviser des pommes par des poires, mais les économistes divisent les exportations (qui ont des ventes) au PIB qui est la somme des valeurs ajoutées (les ventes diminuées des achats de fournitures). La mesure la plus pertinente de l’ouverture d’une économie est la valeur ajoutée des exportations (et des importations) ramenée au PIB. Mesuré depuis 2003 par l’OCDE et l’OMC, cet indicateur est peu utilisé car disponible avec beaucoup de retard.
La Malaisie est l’une des économies les plus ouvertes aux échanges : la somme des importations et des exportations représente l’équivalent de 130 % du PIB*. De ce fait, elle est moins affectée par les effets directs de la crise sanitaire que par les conséquences de la pandémie sur l’économie mondiale. Les matières premières, pétrole et gaz en tête, représentent un tiers des exportations et l’électronique un autre tiers. La Malaisie s’insère dans le « circuit intégré asiatique ». Naguère critiquée comme sans attache, cette industrie a pris racine : Penang est devenu un haut lieu de l’électronique mondial.
L’industrie malaisienne repose en partie sur l’emploi de main-d’œuvre immigrée. Le 22 mars, dans son scnério le plus pessimiste, le Malaysia Economic Research Institute (MIER) prévoyait une croissance située entre 2 et 0,7 % avec 2,6 millions de suppressions d’emploi, les trois quarts étant des travailleurs immigrés. Depuis, la situation mondiale a empiré et le Département malaisien des Statistiques une contraction de l’économie à hauteur de 2 %. Anticipant une érosion de l’excédent de la balance des paiements courants (1,6 % du PIB en 2019), des capitaux sont sortis et le ringgit a diminué de 7 % par rapport au dollar depuis le 1er janvier dernier.
Dans les années 1980, la Malaisie, premier exportateur mondial de caoutchouc naturel, a souffert de la chute des cours. Elle a ensuite su tirer parti de l’explosion du VIH : avec un cinquième du marché mondial, Karex Berhad est devenu le plus grand fabricant de préservatifs au monde (5 milliards par an). En rachetant des marques, il contrôle la chaîne de valeur. L’histoire se répète avec Top Globe : fort de ses 44 usines employant 180 000 salariés, le fabricant de gants chirurgicaux devrait voir sa part de marché mondial augmenter de 30 à 35 %.

Amende honorable

Dans son discours télévisé du 1er mai, le Premier ministre malaisien Muhyiddin Yassin a indiqué que l’économie avait perdu 558 millions de dollars par jour et un total de 14,5 milliards de dollars depuis le début de l’épidémie. Une bonne gestion de la santé donne un avantage au gouvernement en place, qu’il soit autoritaire comme en Thaïlande ou démocratique comme à Taiwan et en Corée du Sud. Issu d’un « coup d’État » parlementaire, d’une alliance entre des membres de la majorité et une partie de l’opposition, le gouvernement dirigé par Muhyiddin, ex-ministre de l’Intérieur de Mahathir, a d’abord multiplié les gaffes. Le Ministre de la Santé a conseillé de boire de l’eau tout juste bouilli, arguant que le virus ne supporterait pas la chaleur. L’exécutif s’est vu reproché son attentisme après l’envolée de l’épidémie fin février. Mais depuis, le Premier Ministre a fait amende honorable et son plan de relance a emporté l’adhésion, les hashtags #NotMyPM# cédant la place à #MyPM8#. Le gouvernement doit beaucoup à la compétence du directeur de la Santé, Dr. Noor Hisham Abdullah, à l’avant-garde de la lutte contre le Covid-19.
Par Jean-Raphaël Chaponnière

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).