Economie

Coronavirus : comment la Thaïlande a jugulé la pandémie

Des moines bouddhistes portant le masque pour se protéger du coronavirus récoltent l'aumône à Bangkok, le 31 mars 2020. (Source : Reuters)
Des moines bouddhistes portant le masque pour se protéger du coronavirus récoltent l'aumône à Bangkok, le 31 mars 2020. (Source : Reuters)
Autant la performance du Vietnam dans la crise du coronavirus surprend, autant celle de la Thaïlande pouvait être anticipée. en 2019, au classement mondial de la sécurité sanitaire établie par l’université américaine de Johns Hopkins, le Royaume figurait en 6ème position, devant la Corée (9ème) et la France (11ème). Le Vietnam, lui, pointait à la 50ème place. Cependant, l’excellence des hôpitaux ne suffit pas à rendre compte du succès thaïlandais dans la lutte contre le Covid-19.
L'épidémie de coronavirus en Asie du Sud-Est, en Corée du Sud et en France, par million de personnes. (Source : Worldometers)
L'épidémie de coronavirus en Asie du Sud-Est, en Corée du Sud et en France, par million de personnes. (Source : Worldometers)
Dès le 2 février, le ministre de la Santé Anutin Charnvirakul encourageait les Thaïlandais à fabriquer eux-mêmes leur propre désinfectant pour les mains et des masques pour freiner la propagation du nouveau coronavirus. À cette date, le Covid-19 avait contaminé 25 personnes, contre 20 000 en Chine. Alertée, la population thaïe s’est montrée très prudente. Peu fréquentés, cafés et restaurants étaient encore ouverts au début de la troisième semaine de mars. Si la Thaïlande a tardé à interdire l’entrée de touristes chinois – une posture mal vécue par la population -, l’interdiction par Pékin de voyager en groupe avait fait déjà chuter les départs depuis la Chine vers le Royaume, l’une des destination préférée des Chinois.
Fin février, le pays ne comptait officiellement que 42 cas décelés. Un rapport confidentiel du ministère de la Santé cité par Kavi Chongkittavorn évoquait plusieurs scénarii de pandémie et les mesures qui s’imposaient : quarantaine, tests, confinement partiel, gestes barrières, arrêt des entrées dans le Royaume et, à Bangkok, prise de température et gel antiseptique à l’entrée de tous les magasins. L’usage des masques, déjà utilisés une partie de l’année au moins contre la pollution de l’air, dans la capitale et à Chiang Mai notamment, relève du réflexe en Thaïlande. Il s’est instantanément généralisés dans le courant du mois de mars.
La création le 12 mars du Centre for Covid-19 Situation Administration (CCSA) a signalé la volonté du gouvernement de lancer la lutte contre la pandémie. Des mesures barrières ont été instaurées dont l’obligation de porter un masque dans les transports publics. La Thaïlande a joué la transparence. Le CCSA publie chaque jour à 11h30 les données sur l’état de la pandémie en s’appuyant sur les chiffres des hôpitaux, des centres de santé et également des volontaires de santé au niveau des villages. Alors que Singapour a ignoré les travailleurs immigrés, la Thaïlande prend en compte la situation des migrants venus de Birmanie, du Laos et du Cambodge.
Entre le 20 et le 23 mars, le nombre de cas a triplé. L’accélération a fait redouter une explosion de l’épidémie. Le doyen de la faculté de Médecine de l’université de Mahidol est alors intervenu pour lancer un avertissement : en l’absence de mesures drastiques, le nombre de cas dépasserait les 350 000 et le pays déplorerait 7 000 morts à la mi-avril.
Le 27 mars, le gouvernement a donc déclaré l’état d’urgence sanitaire. Il devrait être levé le 30 avril. À cette occasion, le Premier ministre Prayut Chan-ocha a précisé que lui seul, ou une personne nommée par lui, renseignerait le public sur l’évolution de la situation. En prenant ce décret, il a de facto restauré les pouvoirs qu’il s’était donnés en instaurant la loi martiale en 2004. Ce cadre exceptionnel a permis d’arrêter Danai Ussama, un artiste de Phuket qui avait critiqué sur Facebook l’attitude laxiste des autorités à l’aéroport Suvarnabhumi. Il risque cinq ans de prison et une amende de 3 045 dollars pour avoir posté des « fausses informations ».
L’état d’urgence sanitaire a étendu à toutes les provinces les mesures instaurées à Bangkok, dont la fermeture des grands centres commerciaux. La stratégie thaïlandaise de lutte contre le Covid-19 a épargné le secteur manufacturier, qui représente 30 % du PIB. Les autorités ont préféré ne pas instaurer de confinement généralisé, qui aurait handicapé les activités du secteur informel. Seules les personnes jugées à risque (moins de cinq ans et plus de 70 ans) ont été obligées de rester à la maison. Un dispositif de contrôle a été mis en place dans les transports interrégionaux, avec 250 check-points gérés par l’armée.
Le 4 avril, un couvre-feu nocturne a été introduit au niveau national pour contraindre les Thaïlandais à rester chez eux. Les mesures restrictives sont également devenues plus prégnantes dans les destinations touristiques comme Phuket, Koh Samui et Pattaya, touchées par le coronavirus. L’administration de la métropole de Bangkok a par ailleurs interdit durant presque tout le mois d’avril la vente d’alcool pour « réduire les échanges sociaux et la diffusion du Covid-19 ».
Aujourd’hui, la Thaïlande a jugulé la pandémie. Entre le 27 mars et 20 avril, si le nombre de cas a doublé, il s’est stabilisé à 40 personnes pour un million, soit cinq fois moins qu’en Corée du Sud et cinquante fois moins qu’en France. Le nombre de décès est également devenue stable. Des cas ont été détectés dans les 68 provinces mais sans que l’apparition d’un cluster. Ce qui suggère que le virus circule à travers le Royaume. Dans le Bangkok Post du 15 avril, le docteur William Aldis ancien représentant de l’OMS en Thaïlande, s’interroge sur la levée de l’état d’urgence. Attendue par une partie de la population, elle présente des risques, selon lui. La stabilisation du nombre de personnes infectées pourrait ainsi créer une attitude complaisante. William Aldis plaide pour une généralisation des tests, qui restent encore peu pratiqués – 2 043 pour un million d’habitants.
L'évolution des décès et des cas de contamination au Covid-19 en Thaïlande du 1er mars au 24 avril 2020. (Source : Worldometers)
L'évolution des décès et des cas de contamination au Covid-19 en Thaïlande du 1er mars au 24 avril 2020. (Source : Worldometers)

Le système de santé

Suivant l’exemple de Cuba, plusieurs pays dont la Tunisie ou la Hongrie ont capitalisé sur leur système de santé pour promouvoir le tourisme médical. La Thaïlande a l’ambition de devenir un hub médical à l’instar de Singapour. Si son système de santé se classe au 5ème rang mondial pour la sécurité selon l’université Johns Hopkins, il figure en 4ème position devant la Corée du Sud pour la rapidité de ses réponses aux épidémies. Il ne s’agit pas seulement des établissements qui attirent les patients étrangers. Le système de santé en Thaïlande s’appuie sur des hôpitaux dans les provinces et des centres de santé dans les villages. S’ajoutent, comme le montre Kavi Chongkittavorn, les « volontaires de la santé », une organisation créée dans les années 1980 lorsque le système de santé ne couvrait pas encore l’ensemble du pays et qui a continué de fonctionner. Ils sont près d’un million en alerte pour surveiller l’état de santé de la population. De fait, leur action a pallié la faible capacité de détection de la part des 77 laboratoires équipés et à même de réaliser 20 000 tests par jour. Leur capacité sera portée à 100 000 tests quotidiens, selon le CCSA.

L’impact économique

C’est une économie thaïlandaise affaiblie qui a été attaquée par le virus. Alors que la croissance peine à dépasser les 4 %, l’excédent courant élevé est en partie la conséquence de la stagnation de l’investissement. L’économie du Royaume a été moins touchée par le Covid-19 que par les répercussions de la pandémie sur ses partenaires commerciaux. Le National Economic and Social Development Board n’a pas encore publié les résultats du PIB du 1er trimestre de cette année et les informations disponibles restent partielles.
La récolte de riz souffre de la sécheresse et la production industrielle a diminué de 5 %. Quant au tourisme, qui occupe directement ou non un Thaïlandais sur six, c’est le secteur le plus touché par le Covid-19. Selon l’autorité touristique thaïlandaise, le nombre d’entrées n’excédera pas les 16 millions de visiteurs au lieu des 40 millions attendus en 2020. Le tourisme local sera divisé par trois.
Comment évaluer la situation de l’industrie ? Dans l’automobile, si les usines de Toyota ont continué de fonctionner, la baisse des ventes de voitures qui avait commencé avant l’épidémie a continué (- 16 % en janvier et février). Indicateur de l’activité de l’industrie électronique, la baisse des achats de composants à Taïwan n’a pas dépassé 7 %. Pour ce qui est de l’indice PMI (Purchasing Manufacturer Index) qui mesure les anticipations d’achat des entreprises est de 46,7 – un indice supérieur à 50 indique que la majorité d’entre elles prévoit une amélioration. Dans son rapport d’avril, le FMI prévoit pour l’année 2020 une contraction de 6,7 % du PIB thaïlandais, suivie d’une reprise de 6 % en 2021.
Cette crise aura un coût. Mi-avril, le général Prayut a déclaré à la télévision que les vingt familles les plus riches seront mises à contribution. Si la Thaïlande a réussi à vaincre la pandémie, le Royaume n’en demeure pas moins perclus par des inégalités sociales considérables et un Etat qui manque d’empathie. Après avoir expliqué que parmi les 37 millions de personnes au travail, 11 millions sont couverts par la sécurité sociale, 17 millions vivent de l’agriculture et 9 millions relèvent du secteur informel, Prayut a reconnu que le budget ne pouvait pas proposer à ces derniers plus de 5 000 bahts (130 dollars) par mois et par personne.
Par Jean-Raphaël Chaponnière

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).