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Coronavirus : l'Inde pourra-t-elle contenir la pandémie ?

Des écoliers en Uttar Pradesh reviennent à la maison le 14 mars 2020 après la fermeture des écoles pour combattre le coronavirus. (Source : NYT)
Des écoliers en Uttar Pradesh reviennent à la maison le 14 mars 2020 après la fermeture des écoles pour combattre le coronavirus. (Source : NYT)
Avec les habitants de ses bidonvilles de plus en plus touchés par le coronavirus, l’Inde sent monter la peur d’une infection plus rapide que prévue. Alors que le bilan s’alourdit, le système de santé est déjà en difficulté et les médecins indiens se plaignent du manque d’équipement adéquat ou de formation sur le traitement des patients. Le pays de Narendra Modi partage, à son énorme échelle, des défis et des méthodes comparables à l’Occident, souligne Olivier Guillard dans cette tribune.
En ces premiers jours d’avril, en ce printemps 2020 malmené sur tous les continents par la plus grave crise épidémique que le monde ait connu depuis un siècle, les médias du monde entier demeurent accaparés par les statistiques tragiques évoquant la volumétrie des cas de Covid-19, son implacable et inquiétante mortalité. L’espace médiatique est depuis peu saturé par l’avalanche d’articles décrivant comment la Chine est devenue le premier assisteur des pays éprouvés par le nouveau coronavirus : qui en leur fournissant du matériel médical, qui en partageant bonnes pratiques, informations et retours d’expérience. En se concentrant sur le sort inquiétant puis les prémices d’une possible sortie de crise – à confirmer, bien sûr… – de l’ancien empire du Milieu, les médias occidentaux continuent, dans une large mesure, de traiter avec moins d’insistance, de détails et de moyens les mesures prises par un autre géant asiatique s’employant tout autant à contrer la pandémie : l’Inde.
Le 24 mars, les autorités de ce pays six fois plus étendu et vingt fois plus peuplé que la France ont décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire. En Europe, cette annonce n’a pas fait la une des journaux… Sur les réseaux sociaux, et Twitter en particulier, le traitement de l’information était quant à lui partiel, plus à charge qu’autre chose, les vidéos les plus vues en relation avec ce sujet montrant des policiers indiens usant de leurs lathis (longues matraques en bois) pour juguler les mouvements de foules…
*11 millions de visiteurs étrangers en 2019.
Quelle a été la stratégie retenue par New Delhi ces derniers mois ? Les autorités indiennes ont instauré fin janvier le contrôle thermique de tous les passagers en provenance de Chine et de Hong Kong. Le 4 février, ce contrôle est devenu obligatoire pour tous les passagers arrivant de Singapour et de Thaïlande. À cette date, 21 aéroports indiens avaient contrôlé près de 100 000 passagers arrivant sur le sol indien. Aujourd’hui, cette volumétrie concerne 1,5 million de passagers ; des contrôles stricts sont en place dans la totalité des 34 aéroports internationaux desservant ce pays sous-continental*. Alors que les touristes et les voyageurs (d’affaires notamment) de retour d’Asie propageaient silencieusement – contre leur gré et sans le savoir, bien sûr – le virus en Europe, l’Inde, la Malaisie, les Philippines ou encore Singapour cessaient dès le 2 février de délivrer des visas à cette catégorie de voyageurs. Outre ces mesures, l’Inde a établi de nombreux centres de quarantaine gérés par le gouvernement dans les villes disposant d’aéroports internationaux et recevant des passagers en provenance de pays touchés par le coronavirus.
Ce 4 avril, l’Inde recense 3 082 cas positifs de Covid-19 et 86 décès. Une volumétrie peu élevée qui s’expliquerait selon les spécialistes par le faible taux de dépistage. Comme pour nombre de nations – à commencer par la France -, la patrie de Gandhi a été confrontée à une pénurie de kits de dépistage, contraignant New Delhi à passer commande d’un million d’unités et à solliciter séparément l’OMS pour un million de kits supplémentaires. Cette assistance extérieure bienvenue autant que nécessaire se couple, comme dans l’Hexagone, d’un effort national visant à développer en parallèle la capacité indigène de production. Une entreprise de Pune, Mylab Discovery Solutions, a récemment mis au point le premier kit de test « Made in India ». Cette dernière serait à court terme en situation de produire 150 000 unités par semaine.
Les autorités sanitaires indiennes ont effectué des tests de dépistage sur plusieurs dizaines de milliers d’individus. Ce rythme encore insuffisant (8 000 personnes par jour) va s’accélérer significativement ces prochains jours. L’Inde a mobilisé en ce sens 17 000 centres de santé, plus de 120 laboratoires de tests pour augmenter la réponse de l’État à cette pandémie se jouant des continents, des latitudes, des frontières.
À l’instar de ce que certaines démocraties occidentales ont déjà décidé – voir la politique française servant de référence en la matière -, le gouvernement indien met également en place des procédures visant à assister financièrement les millions de travailleurs à temps partiel dans l’incapacité de gagner leur vie lors de cette inédite période de confinement. Afin de couvrir partiellement ces dépenses, le Premier ministre Narendra Modi a annoncé la création du Fonds d’assistance et de secours aux citoyens en situation d’urgence (PM CARES Fund), abondé par l’État, par les entreprises, les stars de Bollywood et les citoyens indiens ordinaires, entre autres bonnes volontés.
L’aide médicale et matérielle fournie par la Chine à divers pays, en Occident notamment, n’échappe guère au traitement médiatique. Moins visible, moins scénarisée, l’Inde assiste également, plus discrètement, certaines nations nécessiteuses, à commencer par ses voisines du sous-continent. Des équipes médicales indiennes ont ainsi été déployées au Népal et aux Maldives pour les aider à faire face aux besoins médicaux. L’Inde a fourni plusieurs tonnes de médicaments essentiels à Malé, capitale des Maldives. Une équipe de réponse rapide avec du matériel de test est attendue au Népal. Toujours dans sa périphérie immédiate, l’Inde a également envoyé vers l’Afghanistan, le Bangladesh, vers le Sri Lanka ou encore le Bhoutan, des masques, des désinfectants, des thermomètres numériques, des gants jetables, des blouses et des médicaments.
*Afghanistan, Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan et Sri Lanka.
À l’initiative de New Delhi, les dirigeants de l’Association sud-asiatique de coopération régionale (SAARC), regroupant les 8 pays d’Asie du Sud*, coordonnent les efforts et les moyens disponibles en vue d’une réponse régionale plus forte. Le Premier ministre indien a notamment proposé un fonds Covid-19 pour la SAARC, l’Inde s’engageant à contribuer à hauteur de 10 millions de dollars à cette initiative collective.
*À l’instar ces derniers mois d’une mobilisation populaire contre une nouvelle législation sur la citoyenneté ou encore des récentes violences intercommunautaires dans la banlieue de New Delhi.
Dans la seconde quinzaine de mars, la diffusion du Covid-19 en Inde est passée au stade 3. Les semaines à venir seront d’évidence critiques. Ainsi que l’a récemment déclaré le directeur exécutif de l’OMS, Michael J. Ryan, l’avenir du Covid-19 et son impact sur l’humanité seront en grande partie déterminés par la manière dont la pandémie sera gérée par les pays à forte population. En 2020, l’Inde abrite un sixième de l’humanité. Mécaniquement, la façon dont elle aborde cette effroyable pandémie aura un impact considérable sur le reste monde. Au-delà des contraintes matérielles liées à son gigantisme, nonobstant l’existence parallèle d’un florilège de questions domestiques délicates* à gérer, la « plus grande démocratie » du monde et son 1,3 milliard de citoyens sont prêts à affronter la crise sanitaire s’abattant sans distinction sur l’humanité tout entière, déterminés à mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition, à consentir aux sacrifices nécessaires ; ni plus ni moins que le monde occidental y consent aujourd’hui (dans la douleur). À charge pour l’Occident de soutenir sans réserve – dans la mesure bien sûr de ses possibilités contraintes du moment – et d’encourager les efforts et politiques déployés ces dernières semaines par son partenaire d’Asie méridionale. Une initiative relevant autant du bon sens que de la plus naturelle solidarité.
Par Olivier Guillard

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A propos de l'auteur
Spécialiste de l'Asie, chercheur au CERIAS (Université du Québec à Montréal), chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Géopolitique Appliquée, le Dr Olivier Guillard est notamment l'auteur du livre "Que faire avec la Corée ? Subir, honnir ou punir ? » (NUVIS, 2019) et co-auteur de "Géopolitique du XXIe siècle" (chapitre Afghanistan, Ellipses, Paris, 2024). Entre autres régions d’Asie, il a abondamment voyagé en Inde, en Corée du sud, en Afghanistan, en Birmanie, au Sri Lanka, au Pakistan, en Chine, en Thaïlande, en Indonésie, au Népal, au Cambodge ou encore au Bangladesh. Titulaire d’un Doctorat en droit international public de l’Université de Paris XI, il est aussi directeur de l’information de la société Crisis24 (GARDAWORLD), un cabinet de conseil et d’ingénierie spécialisé dans l’analyse et la gestion des risques internationaux.