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Chine : les "secrétaires particuliers", partenaires particuliers de la corruption locale

En janvier 2019, le gouvernement a décidé démolir les villas illégalement construites à Qinling dans le Shaanxi, après la retentissante affaire de corruption mêlant les plus hauts dirigeants de la ville de Xi'an. (Source : CGTN)
En janvier 2019, le gouvernement a décidé démolir les villas illégalement construites à Qinling dans le Shaanxi, après la retentissante affaire de corruption mêlant les plus hauts dirigeants de la ville de Xi'an. (Source : CGTN)
En Chine, les assistants des hauts cadres du Parti en province permettent d’organiser la corruption à travers des réseaux informels très durs à détricoter. Exemple à Xi’an où l’interminable « affaire des villas de Qinling » fait toujours tomber des têtes.
*Il ne sera que rétrogradé, une décision confirmée quelques jours avant la mise en examen de Zhao Zhengyong.
Lü Jian (吕健, 1963) est originaire de Xi’an dont il était maire-adjoint depuis 2016. Le 31 mai dernier, il est arrêté avant d’être reconnu coupable le 14 juin de violations graves, en particulier dans « l’affaire des villas de Qinling ». Lü était le secrétaire particulier (mishu) de Wei Minzhou, l’ex-patron du Parti à Xi’an (2012-2016) mis en examen en 2017. Son arrestation tombe une journée après la publication du rapport du comité permanent de l’assemblée provinciale du Shaanxi qui confirme l’exclusion de Zhao Zhengyong (mis en examen en janvier 2019). Ce qui laisse penser qu’il existe un lien entre les deux affaires, surtout si l’on a observé le comportement de Lü après la chute de Zhao : aucune activité depuis le 11 février, soit deux semaines avant la décision concernant Jiao Weifa (焦维发), secrétaire général du gouvernement de Xi’an et mishu de l’ancien maire de la ville, Shangguan Jiqing (上官吉庆, 1963)*.

Un 19 juin qui en dit long

Lü Jian est directement mouillé dans « l’affaire des villas de Qinling ». Il a été mis en examen près d’un mois avant le premier verdict concernant Tian Dangsheng (田党生, 1951), directeur du bureau des ressources naturelles de Xi’an, et He Hongxing (和红星, 1953), directeur du bureau de la planification de la ville. Les deux hommes sont reconnus coupables d’avoir « vendu » la zone de Qinling pour une somme dérisoire, en plus d’avoir accepté des pots-de-vin, et d’avoir utilisé les fonds de l’État afin de financer un mode de vie ultra-luxueux. Tian et He ont été expulsés du Parti. He, directeur de l’unité de travail de Qinling, admettait plus tôt que la situation avait été mal gérée, et qu’il avait accepté les pots-de-vin en toute décontraction. Ces aveux ne feront qu’accélérer le processus, sans toutefois le sauver.

Une corruption très étendue

« L’affaire des villas » ne fait qu’empirer d’aveu en aveu, de mise en examen en procès. Elle implique de plus en plus de cadres du Shaanxi et de Xi’an. A l’image de Hu Chuanxiang (胡传祥), responsable de la lutte anticorruption et membre de la commission disciplinaire de la province de 2013 à 2018 : Hu est tombé aux mains du groupe d’enquête spécialement créé pour l’affaire Qinling en août 2018. Il est alors accompagné de deux hommes d’affaires, Li Bingmao (李炳茂, 1968), président du groupe Tiandiyuan, et son vice-président Ma Xiaofeng (马小峰, 1969). Les deux hommes ont écopé respectivement de 12 et 8 ans de prison en mai dernier. Ils auraient donné certains bâtiments à Hu Chuanxiang en échange de pots-de-vin et de transferts d’argent. Hu aurait, lui, utilisé des prête-noms afin de contrôler plusieurs compagnies locales, dont certaines ont construit des villas pour le groupe Tiandiyuan, lequel les a ensuite rachetées au même Hu Chuanxiang – par exemple dans le quartier de Fenglin (枫林意树小区). Hu a répeté le même manège avec le développement du district de Danxuanfang (丹轩坊小区) en 2013.
*Yao est aussi un natif de l’Anhui et arrive au Shaanxi à l’âge de 14 ans. **La compagnie avait été fondée en 2003. ***Il s’agissait en fait d’offrir un lieu de vacances à la famille de Zhao, loin du froid du Shaanxi.
Hu fut promu en 2015 à l’unité de la lutte anticorruption du Shaanxi, grâce à l’intervention de Zhao Zhengyong. Hu serait en fait l’un des proches de la femme de Zhao, Sun Jianhui (孙建辉), en plus d’être l’un des confidents de son mari. Zhao, quant à lui, serait par ailleurs très proche d’un certain Yao Chunlei (姚春雷 (1970)*, directeur général du groupe Dejing de Hainan, groupe qui a investi près d’un milliard de yuans pour obtenir les droits de gestion d’actif de l’hôtel Anantara à Sanya. Cet investissement, conjointement avec le groupe de Xi’an, fut révélé plus tard, en 2017-2018. Yao Chunlei, un ami de la famille depuis les années 1990, se rapprochera de Zhao Zhengyong grâce à des services rendus à sa femme. Par exemple, lorsque Zhao quitte la commission des affaires politiques et légales en 2005, Yao est transféré vers la Northwest China Grid Company Limited au poste de directeur général adjoint**. Lorsque Zhao devient gouverneur en 2011, Yao passe au consortium Shaanxi Coal, en tant que directeur adjoint du département de la planification stratégique. Il est alors responsable des investissements du groupe dans plusieurs secteurs. Lorsque Zhao devient secrétaire provincial, Yao est nommé directeur général du groupe Hainan Dejing (2013). Le groupe Dejing, qui appartient au groupe Shaanxi Coal, décide alors d’investir dans le secteur hôtelier***. Cet investissement ne rapportera rien, si ce n’est des pertes pour les groupes affiliés à Yao et à Dejing.
*Yu et Zhao proviennent tous deux de Ma’anshan (马鞍山) dans l’Anhui et se connaissent depuis longtemps. Leurs femmes sont aussi de bonnes amies.
Zhao a grandement influencé la formation du consortium du charbon au Shaanxi. Il aurait aussi eu une grande influence dans plusieurs autres secteurs et compagnies d’État : la société Hai’an et son président Yu Wei (俞洧, 1952)* et la société pétrolière Yanchang dirigée par Shen Hao (沈浩, 1953) de 2007 à 2015 et par He Jiuchang (贺久长, 1960) de 2015 à 2017. Tous deux collaborent à l’enquête portant sur Zhao Zhengyong.

Le charbon, les villas et les réseaux

« L’affaire Zhao Zhengyong » n’excède en rien les autres dossiers de corruption en Mongolie-Intérieure ou même au Qinghai. Mais elle n’en finit plus de se déverser dans les médias. Ce qui désole le plus, c’est que les informations étaient disponibles par bribes bien avant la mise en examen de Zhao. On savait qu’il avait restructuré le groupe Shaanxi Coal. On savait également que des villas étaient en construction depuis plus d’une décennie déjà. L’opacité des réseaux informels qui bénéficient de la corruption rend la lecture de la politique locale quasiment impossible. Avec sa recentralisation en cours depuis 2015, Xi Jinping tente de rapprocher le centre des localités afin de mieux « encadrer » la politique provinciale qui, laissée à elle-même pendant un certain temps, a connu une reformation des bandes régionales.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.