Economie
Analyse

Comment la Chine peut se désendetter grâce à la guerre commerciale de Trump

Le président chinois Xi Jinping au sommet de l'APEC, le Forum de coopération économique de l'Asie-Pacifique, à Port-Moresby le 17 novembre 2018. (Source : CNN)
Le président chinois Xi Jinping au sommet de l'APEC, le Forum de coopération économique de l'Asie-Pacifique, à Port-Moresby le 17 novembre 2018. (Source : CNN)
Et si la guerre commerciale lancée par Donald Trump pouvait profiter à la Chine ? Certes, le pays de Xi Jinping n’est pas en position de force dans la bataille des droits de douane. L’empire du milieu n’importe pas assez de biens et services américains pour peser dans la balance. Mais le levier est ailleurs : la Chine s’en sortira si elle en profite pour se débarrasser de la dette abyssale qui plombe son économie en plein ralentissement de croissance. L’administration de Xi a lancé une série de réformes financières. Elles sont plus urgentes que jamais. Quelles sont-elles ? Peuvent-elles aboutir ?

Contexte

Doit-on croire à une résolution prochaine de la guerre commerciale sino-américaine ? C’est ce que Donald Trump a laissé miroiter ces derniers jours. Il doit dîner avec Xi Jinping le 1er décembre prochain à Buenos Aires, juste au lendemain du prochain G20 dans la capitale argentine. D’ici là, Liu He, le conseiller économique du président chinois devrait préparer le terrain avec Steven Mnuchin, le secrétaire américain au Trésor. Vendredi dernier, le président américain a parlé « pacifiquement » du conflit commercial avec la Chine. Selon lui, les États-Unis ont fait des progrès dans la résolution de la dispute en recevant des réponses de Pékin à leurs demandes. Mais, le locataire de la Maison Blanche a ajouté qu’il restait toujours « quatre ou cinq » sujets de contentieux : « La Chine veut un accord, elle a envoyé une liste de mesures, une longue liste, mais elle ne me semble pas encore acceptable. A ce stade, je pense que nous faisons vraiment au mieux avec la Chine. » Le président américain a ainsi réaffirmé qu’il n’hésiterait pas à imposer de nouvelles taxes sur les produits chinois s’élevant à 267 milliards de dollars, si les deux pays ne trouvait pas d’accord. « Nous n’aurons peut-être pas à le faire, car la Chine veut un accord », a-t-il ajouté.

Côté chinois, on ne veut pas non plus se laisser faire. Au forum de l’APEC ce samedi 17 novembre à Port Moresby en Papouasie-Nouvelle-Guinée, Xi Jinping a répondu à Donald Trump : la Chine s’engage à donner un meilleur accès aux entreprises étrangères à son marché intérieur. Le président chinois a appelé les dirigeants de l’Asie-Pacifique à « protéger le système commercial global ». « L’humanité, a-t-il lancé, devra choisir entre la coopération ou la résistance – l’ouverture pour des avantages mutuels ou un jeu à somme nulle. (…) L’Histoire a montré que la confrontation, qu’elle prenne la forme d’une guerre froide, d’une guerre chaude ou d’une guerre commerciale, ne produisait pas de gagnants. » Dans un jeu de passe d’armes qui a divisé l’APEC au point d’empêcher pour la première fois la publication d’une déclaration commune finale, le vice-président américain Mike Pence a lui déclaré que les États-Unis ne lèverait pas les sanctions douanières tant que la Chine ne satisferait pas les demandes américaines. La confrontation s’annonce toujours très périlleuse.

Le 24 septembre dernier, les États-Unis ont taxé à 10% les importations annuelles chinoises pour un montant de 200 milliards de dollars. Ce taux passera à 25% à compter du 1er janvier 2019. En outre, Donald Trump a menacé d’imposer 267 milliards de dollars de taxes douanières en cas de représailles de la Chine. Ce qu’elle a fait. Le même 24 septembre, Pékin, à son tour, a imposé des droits de douane de 10% sur plus de 60 milliards de dollars de marchandises en provenance des États-Unis.
Qui va donc « gagner » cette guerre commerciale déclenchée début 2018 ? Comment Washington ou Pékin doivent réagir aux mesures de l’autre ? Les médias et le secteur académique n’en finissent plus de spéculer. Mais tous semblent avoir négligé un aspect important de l’affaire. Les journalistes et une majorité de chercheurs n’ont pas su faire le lien entre cette problématique et les changements structurels en cours au sein de l’économie chinoise.
Cependant, les médias comme les chercheurs l’ont bien noté : la Chine ne peut gagner cette bataille si elle se fonde uniquement sur une stratégie tarifaire. C’est qu’elle n’importe tout simplement pas assez de biens et services américains pour que ce type de droit de douane puisse avoir un impact réel. Or, justement, cette différence structurelle entre les deux superpuissances économiques dictera le résultat de la « guerre », du moment qu’elle conserve sa dimension douanière. Le dollar donne un avantage unique aux États-Unis : le pays peut échanger de la monnaie contre des biens matériels, ce qui fait de lui une puissance importatrice sans rival. La Chine, elle, ne possède pas cet avantage car son économie est encore fondée sur un reliquat du modèle productiviste des années 1980-90. Elle n’a donc pas du tout la même capacité de résilience. A ce titre, l’Empire du Milieu paraît s’engager dans une bataille perdue d’avance. Plusieurs analystes l’ont d’ailleurs souligné : l’économie chinoise pourrait accuser de sérieux coups en 2019 si le conflit avec les États-Unis devait durer.

L’assainissement urgent de l’économie chinoise

Malgré tout, cette guerre commerciale a donné l’occasion à la Chine de « faire le ménage » dans le désordre économique et financier engendré par plusieurs décennies de très forte croissance. Industrialisée grâce aux exportations et dirigée par un « État-développeur » doté d’un bassin de travailleurs bon marché et d’une monnaie « faible », l’économie chinoise a fortement ralenti depuis 2008. La voilà face à un nombre grandissant de problèmes systémiques, dont une énorme quantité de créances douteuses accumulées au cours des années 1990. Ce défi vertigineux de la dette a compromis non seulement la croissance future, mais aussi la longévité du parti communiste chinois, cet « Empereur organisationnel », à la tête du pays. La Chine est ainsi devenue plus vulnérable aux chocs économiques, intérieurs ou extérieurs.
En définitive, cette guerre commerciale a offert à Xi Jinping toute légitimité pour engager des réformes de fonds, afin d’assainir l’économie chinoise et de la réorienter vers la consommation intérieure et l’innovation. La première série de ces réformes vise directement à aider la transition économique. Depuis le début 2018, l’appareil administratif a fait des progrès sur l’ouverture du marché intérieur aux investissements étrangers. En juillet, les droits de douane sur plus de 1500 produits, notamment dans l’automobile, ont baissé, pour certains de plus de 50%. En ce mois de novembre, la Chine a annoncé une autre série de baisse concernant des biens de consommation, les équipements mécaniques et électriques, et le textile. Les résultats furent immédiats : dès août, l’importation de voitures – japonaises et européennes pour l’essentiel – a augmenté de 70%. Si ces réformes auraient pu être mises en place en temps de « paix commerciale », le conflit avec les Américains leur a donné un caractère d’urgence.
Mais les réformes ne s’arrêtent pas là. Une seconde série doit améliorer la stabilité financière et la capacité de résilience générale de l’économie nationale. Ce qui va de pair avec la campagne de désendettement du pays, lancée par Xi Jinping. Dans le même temps, les pouvoirs des instances régulatrices dans les secteurs boursiers, bancaires et des assurances ont été élargis. Les deux derniers secteurs sont désormais contrôlés par une seule et même « super-agence » : la commission chinoise de régulation bancaire et des assurances. Elle doit permettre une meilleure supervision intersectorielle de l’ensemble des produits financiers. Les secteurs bancaires et de l’assurance ont connu ces dernières années une triste montée en force des activités bancaires « parallèles » (shadow banking). En cause, les PME chinoises sont « exclues » des canaux de financements traditionnels en raison du manque de garantie initiale ou collatérale. Cette montée en force du système parallèle a largement contribué à l’explosion de la dette des entreprises du pays. C’est la tendance que cherche à freiner la récente réglementation.

Passifs financiers

Parallèlement à la campagne de désendettement, la puissante Commission nationale pour le développement et la réforme a annoncé en juin que les sociétés immobilières et d’infrastructures, en plus des gouvernements locaux, verront leurs fonds levés par le biais d’obligations offshore. Celles-ci devront servir au remboursement de la dette existante. Il leur sera interdit d’utiliser les fonds levés par ces produits financiers pour investir dans des projets immobiliers locaux ou encore pour reconstituer leurs fonds de roulement. Dans le même esprit, en septembre, le Conseil des Affaires d’État, nom officiel du gouvernement chinois, a publié de nouvelles directives concernant le désendettement pour 30 entreprises étatiques. Ces directives interdisent aux gouvernements locaux de dissimuler des passifs financiers par le biais d’obligations d’entreprises.
La guerre commerciale sino-américaine n’a pas encore causé de dommages substantiels ni même irréversibles. Le conflit a même des chances – faibles, certes – d’être résolu dans le courant 2019. Le 2 novembre, le président Trump a demandé à son administration de rédiger un accord commercial potentiel avec la Chine. Plusieurs sources médiatiques ont alors spéculé sur une résolution possible du conflit durant le sommet du G20, sommet durant lequel doivent se rencontrer les deux présidents. Rien n’est moins sûr pour l’instant. L’important est peut-être ailleurs : cette guerre commerciale a souligné sans l’ombre d’un doute la nécessité de réformer en profondeur l’économie chinoise.
Cet article est un extrait synthétique de « The Sino-US Trade War: Survival, Domestic Reforms and the Belt and Road Initiative », par Alex Payette et Sun Guorui, in Contemporary Chinese Political Economy and Strategic Relations: An International Journal, Vol. 4, No. 3. Le manuscrit sera disponible ici en décembre 2018.

Soutenez-nous !

Asialyst est conçu par une équipe composée à 100 % de bénévoles et grâce à un réseau de contributeurs en Asie ou ailleurs, journalistes, experts, universitaires, consultants ou anciens diplomates... Notre seul but : partager la connaissance de l'Asie au plus large public.

Faire un don
A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.
Diplômé de l'Université de Pékin et de la London School of Economics Sun Guorui est chercheur spécialiste de la Chine et associé au cabinet de consulting en gestion de risque The Risk Advisory Group.