Economie
Analyse

Chine : fin de partie pour le crédit entre particuliers ?

Le système bancaire parallèle ou "shadow banking" est en forte croissance depuis 2013, avec +43% entre juin 2017et 2018. (Source : South China Morning Post)
Le système bancaire parallèle ou "shadow banking" est en forte croissance depuis 2013, avec +43% entre juin 2017et 2018. (Source : South China Morning Post)
Le système bancaire en Chine est un colosse aux pieds d’argile. Cela fait plus d’une décennie que les créances douteuses sont dénoncées comme une bombe à retardement. Mais elles ne sont pas la seule menace qui pèse sur l’économie chinoise. Pour réduire le risque financier, Pékin veut diminuer le poids du shadow banking, ce système bancaire parallèle où les crédits sont accordés par des acteurs non bancaires. Une grande partie de ce secteur financier de l’ombre utilise aujourd’hui des outils à faibles risques, utilisés d’ailleurs aussi en Europe. Il s’agit du crédit entre particuliers (peer to peer, P2P). Mais après plusieurs faillites fortement médiatisées en Chine, ce type de plateforme en ligne est dans l’œil du cyclone.

Un candidat idéal pour palier les lacunes du crédit bancaire

Le crédit P2P via des plateformes en ligne, a tout pour séduire les Chinois. Coté investisseurs, il annonce des taux de rentabilité supérieurs aux produits financiers classiques. Coté emprunteurs, il offre des procédures simplifiées et des taux de crédit bien plus faibles que dans les banques. Il permet également pour des profils atypiques (entrepreneurs ou chômeurs de longue durée) d’avoir un accès au crédit. Selon les estimations moyennes, ces plateformes chinoises rassembleraient 4 millions de prêteurs.
La croissance de ce secteur a été particulièrement forte depuis 2013. Elle a connu un rythme soutenu : encore 43% entre juin 2017 et 2018. Pourtant, elle a subi de nombreux échecs. Près des deux tiers des plateformes de crédit entre particuliers en Chine ont fait faillite depuis l’apparition du dispositif. Dans de nombreux cas, les fondateurs de plateformes ont disparu dans la nature avec les fonds des investisseurs. Deux fraudes ont dépassé le milliard de yuans. Parmi elles, en 2012, l’entreprise Zillion Holdings a levé 38 milliards de yuans (plus de 4,7 milliards d’euros), avant de s’évaporer.

Un appétit constant des investisseurs chinois

Jusqu’à cette année, ces cas demeuraient cependant marginaux et gérables. Mais l’augmentation du niveau de vie des Chinois a entraîné chez eux un appétit croissant pour les produits financiers. Dans le même temps, les restrictions gouvernementales sur les investissements en bourse et sur les marchés financiers étrangers ont conduit les investisseurs à rechercher de nouveaux produits financiers rentables en Chine. L’apparition de nombreuses plateformes sans l’expertise ni la solidité suffisantes s’est combinée avec l’arrivée de nombreux escrocs. Depuis juin 2018, c’est la sinistrose : 50% des plateformes ont fait faillite, alors que le secteur a perdu 20% d’investisseurs et 20% de dépôts rien qu’en juillet.

Le régulateur bancaire chinois, pyromane involontaire

La Commission chinoise de régulation du secteur bancaire et des assurances (CBIRC) a pourtant conscience des risques liés à ces plateformes. Elle cherche à les réguler depuis 2016. Selon ses règles, les plateformes doivent être supervisées par les administrations locales, municipalités et provinces. Mais ces dernières en sont techniquement incapables. Elles bénéficient même parfois de prêts issus de ce shadow banking ! Les conflits d’intérêt sont légion.
C’est toutefois sur ce dernier point que reposait la confiance de beaucoup d’investisseurs. De nombreuses plateformes allaient jusqu’à afficher dans leur publicité des liens avec les gouvernements locaux et les entreprises d’État. Tandis que le Premier ministre Li Keqiang présentait son plan « Internet Plus », les investisseurs ont cru naïvement que les crédits P2P étaient garantis par les autorités.
C’est cette croyance à laquelle Guo Shuqing, directeur de la CBIRC, a voulu mettre un terme en annonçant de façon très explicite les risques du crédit entre particuliers. « Si un investissement vous promet 10% de rentabilité, préparez-vous à perdre tout votre argent », a prévenu le régulateur bancaire. Prophétie auto-réalisatrice ou accélération de l’ajustement, cette déclaration a déclenché la panique des investisseurs.

Des conséquences sociales qui préoccupent Pékin

Certains investisseurs ont perdu toutes leurs économies. Déçus, ils se sont retournés contre les autorités chinoises, allant même jusqu’à organiser une manifestation devant le siège de la CBIRC le 6 août dernier. Même si elle a été rapidement dispersée, la contestation sociale demeure et l’État se trouve visé. Si le risque économique reste faible au regard des montants concernés, le risque social est important et c’est lui que Pékin veut désamorcer. Face à ces troubles, la riposte se limite toutefois à une série de mesures qui consistent pour l’essentiel à demander aux autorités locales d’appliquer les lois existantes. L’État central promet également des enquêtes et des arrestations, mais l’implication de nombreuses autorités locales et entreprises d’État va compliquer la répression.
A ces difficultés réglementaires s’ajoute le risque inhérent à fermer certaines plateformes faute de conformité. Cette politique de réduction des risques (« de-risking » en anglais) pourrait avoir des effets indésirables. Ce faisant, les autorités chinoises s’exposent à devoir indemniser les investisseurs lésés.

Une « ère glacière » avant un renouveau ?

Qui peut cependant affirmer que toutes les plateformes chinoises de crédit P2P sont blanches comme neige ? Certaines survivront grâce à leur sérieux, notamment en matière de mise en conformité (« compliance ») et de qualité d’enquête sur les dossiers des emprunteurs.
Par ailleurs, les acteurs sérieux du secteur attendent beaucoup de la généralisation de la notation citoyenne, que les autorités commencent à mettre en place. La fusion de nombreuses bases de données leur permettra ainsi d’évaluer plus facilement les emprunteurs et de réduire les risques. L’identification précise des créateurs de plateforme, demandée dans la dernière série de réformes, doit permettre aussi de limiter les risques d’escroquerie.
Tang Ning, le fondateur d’une des principales plateforme en Chine, a prédit cet été que le secteur du crédit entre particuliers survivrait. Mais il doit se préparer à traverser une « ère glaciaire » qui n’épargnera aucune plateforme.

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A propos de l'auteur
Vivien Fortat est spécialisé sur les questions économiques chinoises et les "Nouvelles routes de la soie". Il a résidé pendant plusieurs années à Tokyo et Taipei. Docteur en économie, il travaille comme consultant en risque entreprise, notamment au profit de sociétés françaises implantées en Chine, depuis 2013.