Politique

L'ASEAN en 10 questions

Les leaders des 10 Etats-membres de l'ASEAN posent pour une photo de famille à Manille, le 29 avril 2017. (Crédit : MOHD RASFAN / AFP)
Les leaders des 10 Etats-membres de l'ASEAN posent pour une photo de famille à Manille, le 29 avril 2017. (Crédit : MOHD RASFAN / AFP)
C’était il y a cinquante ans. Le 8 août 1967, les ministres des Affaires étrangères de l’Indonésie, de Singapour, des Philippines, de la Thaïlande et le vice premier-ministre de la Malaisie se réunissaient dans la capitale thaïlandaise pour signer la déclaration de Bangkok, le document fondateur de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN). À l’époque, les observateurs des relations internationales prédisaient une durée de vie courte à cette organisation régionale dont l’ambition était de réunir tous les pays de la région. L’ASEAN vient non seulement de souffler ses cinquante bougies, mais elle compte aujourd’hui dix États membres, soit la quasi-totalité des pays d’Asie du Sud-Est. Le sultanat de Brunei a rejoint l’association le 7 janvier 1984, quelques jours seulement après avoir obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne. Il sera suivi par le Vietnam en 1995, le Laos et la Birmanie en 1997 et enfin le Cambodge en 1999.
Fort de ce succès, l’ASEAN a même initié des forums impliquant des États non-membres. La rencontre ASEAN+3 associe la Chine, la Corée du Sud et le Japon. L’ambitieux dialogue interrégional Asie-Europe (ASEM) se tient tous les deux ans. Le dynamisme économique de l’Asie du Sud-Est et son importance stratégique du fait de sa position de carrefour du commerce mondial, ont amené de nombreux pays à recalibrer leur politique étrangère afin d’approfondir leur relation avec les pays de l’ASEAN, dont les multiples formats offrent une plateforme de dialogue idéale.
Pourtant, l’organisation régionale n’est pas épargnée par les critiques. Elle est régulièrement accusée d’être incapable de relever les défis auxquels ses membres font face, qu’ils soient liés à des questions de développement ou sécuritaires. De nombreuses voix appellent ainsi l’ASEAN à se réformer, à se repenser. Ces appels ne sont pas nouveaux et posent une autre question : celle de l’ADN de l’ASEAN, de sa véritable capacité et même de sa volonté à changer. A l’occasion de ses cinquante ans, Asialyst vous propose de d’essayer de mieux comprendre cette organisation si particulière en dix questions.
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SOMMAIRE

1. Pourquoi l’ASEAN a-t-elle été créé ?
2. L’ASEAN est-elle une version asiatique de l’Union Européenne ?
3. Qu’est-ce que « l’ASEAN way » ?
4. L’ASEAN a-t-elle contribué à la paix et à la stabilité de la région ?
5. L’ASEAN a-t-elle constitué un levier diplomatique pour les pays d’Asie du Sud-Est ?r
6. Quelle relation l’ASEAN entretien-t-elle avec la Chine, acteur incontournable de la région ?
7. Comment la crise économique asiatique de 1997 a-t-elle affecté l’ASEAN ?
8. Que fait l’ASEAN pour les droits de l’homme ?
9. L’ASEAN compte-elle intégrer de nouveaux membres ?
10. Quelles sont les perspectives de l’ASEAN 50 ans après ?

1. Pourquoi l’ASEAN a-t-elle été créée ?

En 1967, à l’époque de la création de l’ASEAN, les cinq pays fondateurs ont la sensation d’être au pied du mur. L’Indonésie et la Malaisie sortent tout juste d’un conflit armé dévastateur : la Konfrontasi (1962-1966). Catastrophique, le lourd bilan humain et économique fait prendre conscience aux dirigeants de la région que le temps est venu d’apaiser durablement les tensions.
*Cf. Sophie Boisseau du Rocher, « L’Asie du Sud-Est et l’ASEAN face à des nouveaux défis », in Nouvelle géopolitique de l’Asie, sous la direction de Guy Faure, Ellipses, 2005, p100.
Mais c’est surtout le contexte de Guerre froide qui donne à ces pays un sentiment d’impuissance. L’affrontement idéologique entre les deux blocs paraît prendre en otage le développement économique et politique des jeunes nations d’Asie du Sud-Est. Toutes, à l’exception de la Thaïlande, viennent d’obtenir leur indépendance en payant le prix du sang. Et voilà que leur précieuse souveraineté est de nouveau menacée. Sur le plan intérieur, la légitimité des pouvoirs post-coloniaux en place est contestée par des mouvements de guérillas communistes soutenus principalement par la Chine de Mao. Sur le plan extérieur, les anciennes puissances coloniales et les États-Unis qui apparaissent comme le seul rempart dans la région face au communisme, cherchent à exercer leur influence sur des États qu’ils considèrent comme faibles*. La Thaïlande, la Malaisie, Singapour, l’Indonésie et les Philippines comprennent que seul un acte de solidarité fort pourra les extraire de cette dangereuse situation, et leur permettre de prendre leur destin en main.
*Cf. Sophie Boisseau du Rocher, Op. cit.
La création de l’ASEAN est donc avant tout un concours de circonstances. L’objectif de l’époque étant d’ériger un rempart institutionnel pour préserver les acquis en matière de souveraineté et un moyen de légitimer les régimes autoritaires en place en leur conférant une stature internationale*. À travers l’ASEAN, les dirigeants « des cinq » réaffirment non seulement l’indépendance de leurs États-nations, mais ils construisent également la paix pour permettre le développement économique, considéré à l’époque comme la meilleure arme contre le communisme.

2. L’ASEAN est-elle une version asiatique de l’Union Européenne ?

L’ASEAN est souvent comparée à l’Union Européenne. Prendre l’organisation régionale la plus intégrée du globe comme référence fait sens. C’est sans doute pour cette raison que l’ASEAN fait preuve de mimétisme sur le papier, notamment lorsque ses États membres réunis à Bali en 2008 décident de la mise en place d’une « communauté » reposant sur trois piliers : la Communauté économique de l’ASEAN, la Communauté politique et sécuritaire de l’ASEAN et la Communauté socioculturelle de l’ASEAN – non sans rappeler les trois piliers de la communauté européenne. Pourtant, il ressort de cette comparaison des conclusions souvent peu flatteuses pour l’ASEAN. Si les critiques qui lui sont adressées sont souvent justifiées, les deux organisations sont en réalité difficilement comparables.
*Cf. Sophie Boisseau du Rocher, L’ASEAN et la construction régionale en Asie du Sud-Est, L’Harmattan, 1998, p. 53.
L’ASEAN et la construction européenne ont démarré dans des régions qui n’ont pas la même histoire. Si l’objectif visant à créer les conditions de la paix sont présents dans les deux projets, la méthode et les acteurs diffèrent profondément. La construction européenne a été initiée par des dirigeants démocrates de vieux pays meurtris par la guerre, convaincus que le nationalisme était la cause des conflits sanglants qui ont déchiré le continent. L’ASEAN, elle, a été voulue par des dirigeants de régimes autoritaires qui percevaient le nationalisme comme un moyen de consolider leur pouvoir. Là où les pères fondateurs de l’Europe s’attelaient à déconstruire la souveraineté des État-nations, les dirigeants d’Asie du Sud-Est voyaient (et voient encore) l’État-nation comme le modèle de construction de leur pays*.
Contrairement à la construction européenne, l’ASEAN a ainsi vocation à sacraliser la souveraineté de ses États membres et se présente – comme son nom l’indique – comme une « association de nations ». Aux institutions supranationales et à la méthode dite « communautaire » qui caractérisent le fonctionnement intégré d’une partie de l’Union Européenne, l’ASEAN oppose la méthode ASEAN, ou « l’ASEAN way ».

3. Qu’est-ce que « l’ASEAN way » ?

*Sophie Boisseau du Rocher, L’Asie du Sud-Est prise au Piège, Perrin Asies, 2009, p.263.
« L’ASEAN way » regroupe l’ensemble des principes sur lesquels repose l’Association. Elle se manifeste par un accent mis sur le respect de la souveraineté de ses États membres et leur engagement à ne pas intervenir dans les affaires intérieures des autres. L’intérêt national prime donc sur l’intérêt de la communauté. Ces principes quasi sacrés, véritable ADN de l’ASEAN, sont inscrits dans son Traité d’Amitié et de Coopération, signé et entré en vigueur à Bali en 1976. Avec cet outil, l’ASEAN va chercher à imprimer sa marque sur le système international en proposant sa propre vision de la gestion des affaires du monde*. Aujourd’hui, de nombreux pays hors ASEAN ont accepté, à l’instar de la France, de signer ce traité qui représente un préalable à l’approfondissement des relations avec les pays de l’Association.
Dans la pratique des institutions, « l’ASEAN way » repose sur trois principes : une prise de décision par consensus et jamais à l’unanimité, un refus d’aborder les questions de politique intérieure des États membres, et une flexibilité permise par un secrétariat doté de peu de moyens. C’est ainsi que l’Association s’est dotée d’une véritable identité et s’est bâtie en contre-modèle des organisations supranationales. Ses détracteurs voient cependant « l’ASEAN way » comme le problème majeur de l’organisation régionale : il l’empêcherait de traiter des problèmes de fond auxquels la région fait face et la réduirait à un forum de discussion à l’efficacité limitée.

4. L’ASEAN a-t-elle contribué à la paix et à la stabilité de la région ?

Depuis sa création en 1967, l’ASEAN n’a pas connu de conflits armés majeurs entre ses membres. Le mise en place de mécanismes de dialogue institutionnalisés a considérablement renforcé la compréhension mutuelle des pays de l’association et a sans doute contribué à prévenir des conflits. Cela signifie-t-il pour autant que la région est stabilisée et en paix ? Il serait exagéré de l’affirmer.
Des conflits de basse intensité peu médiatisés en Occident persistent. En 2011, des échanges de tirs entre des soldats thaïlandais et cambodgiens font 18 morts. En cause : le vieux différend qui oppose les deux pays au sujet de la souveraineté sur le temple bouddhiste de Preah Vihear. En 2013, des ressortissants philippins débarquent dans l’État de Sabah en Malaisie pour faire valoir les revendications territoriales d’un groupe militant se faisant appelé les « Forces royales de sécurité du Sultanat de Sulu et du Nord de Bornéo ». Les affrontements avec l’armée malaisienne font plus d’une soixantaine de morts. A ces épisodes violents s’ajoutent la longue guerre civile qui déchire la Birmanie depuis plus d’un siècle, et les combats opposant aux Philippines des groupes armées indépendantistes et les forces de sécurité dans l’île de Mindanao.
Le bilan de l’ASEAN en matière de paix et de stabilité est donc à nuancer, d’autant plus que l’organisation régionale est restée en dehors de ces conflits au nom du principe sacro-saint de non-interférence et de la primauté de l’intérêt national. La plupart des groupes armés non-étatiques qui déstabilisent la région se nourrissent en partie des frustrations socio-économiques et des trafics permis par la porosité des frontières. Autant de problèmes transnationaux qui appellent une réponse régionale que l’ASEAN semble incapable de fournir aujourd’hui.

5. L’ASEAN a-t-elle constitué un levier diplomatique pour les pays d’Asie du Sud-Est ?

Du fait des principes qui régissent l’ASEAN, ses États-membres agissent avant tout en poursuivant leurs intérêts nationaux sans réellement prendre en compte l’intérêt de la communauté à laquelle ils affirment appartenir. Cependant, un épisode de la Guerre froide a poussé les pays d’Asie du Sud-Est à faire front commun, leur permettant d’utiliser efficacement l’ASEAN comme levier diplomatique : il s’agit du troisième conflit indochinois. En 1978, suite aux incursions répétées des Khmers rouges en territoire vietnamien, Hanoï prend la décision d’envahir le Cambodge et, par la même occasion, met fin au régime génocidaire de Pol Pot. Dès janvier 1979, les Vietnamiens installent leur homme au pouvoir : Heng Samrin. La communauté internationale réagit lentement, d’autant plus que le Vietnam bénéficie du soutien de l’Union Soviétique et que les États-Unis avaient appelé à plusieurs reprises à agir contre le régime des Khmers rouges.
*Lire Françoise Cayrac-Blanchard, « L’ASEAN et la crise indochinoise : de la diversité dans l’unité », in Revue française de science politique, Année 1982, Volume 32, Numéro 3, p.373.
Les pays de l’ASEAN voient dans l’invasion du Cambodge une remise en cause des principes qu’ils défendent : le refus de l’utilisation de la force et la non-interférence dans les affaires d’autrui*. Ils vont alors se mobiliser pour délégitimer l’occupation vietnamienne. La remarquable coordination de leur diplomatie dans les enceintes de l’ONU leur permettra de mettre Hanoï sous pression, d’en faire un État paria et d’obtenir à terme, son retrait du Cambodge.
Mais ce fut sans doute la seule fois dans l’histoire de l’organisation que les intérêts de ses membres se sont retrouvés ainsi alignés. Le manque de coordination sur la question majeure du contentieux territorial en mer de Chine méridionale illustre parfaitement l’incapacité actuelle de l’ASEAN à se penser comme un acteur politique sur la scène régionale.

6. Quelle relation l’ASEAN entretient-elle avec la Chine, acteur incontournable de la région ?

La relation entre la Chine et les pays de l’ASEAN est complexe et ancienne. À l’époque de la Chine impériale, les royaumes d’Asie du Sud-Est reconnaissaient la supériorité politique, militaire et culturelle de l’Empire du Milieu, et commerçaient avec lui via un système de tribut. Cette relation asymétrique semble se perpétuer aujourd’hui dans sa version contemporaine. Elle est caractérisée à la fois par une forte dépendance économique et une profonde défiance vis-à-vis d’une Chine dont la puissance ne cesse de s’affirmer, souvent au détriment des intérêts de ses voisins de l’ASEAN, comme le révèle son attitude en mer de Chine du Sud. Pékin considère l’Asie du Sud-Est comme son aire d’influence naturelle et l’exprime à travers un discours « asiatique » virulent. Le président Xi Jinping a lancé depuis quelques années un vaste projet stratégique de « Nouvelles Routes de la Soie » dont le volet maritime implique directement la plupart des États de l’ASEAN.
En face, ces derniers adoptent des attitudes variées en fonction du niveau de perception de la menace ou des opportunités que la Chine représente pour eux. Pékin ne manque pas de tirer profit de ces divisions pour peser de tout son poids sur l’ASEAN, jusqu’à lui imposer son propre agenda. En 2012, le Cambodge occupant alors la présidence tournante, avait bloqué sous la pression de Pékin, une déclaration de l’ASEAN fustigeant l’attitude de la Chine en mer de Chine méridionale. Phnom Penh refera de même quatre ans plus tard.

7. Comment la crise économique asiatique de 1997 a-t-elle affecté l’ASEAN ?

*Sophie Boisseau du Rocher, « L’Asie du Sud-Est et l’ASEAN face à des nouveaux défis », in Nouvelle géopolitique de l’Asie, sous la direction de Guy Faure, Ellipses, 2005, p111.
La crise économique de 1997 a vu s’effondrer les devises des économies les plus dynamiques de la région. C’est le premier grand défi auquel l’ASEAN a dû faire face après la fin de la Guerre froide. Le phénomène de contagion entre les économies interconnectées n’a pas été suivi d’un plan régional à la hauteur de la violence de la crise et les pays de l’ASEAN se sont illustrés par leur manque de coordination.
*Shaun Narine, « ASEAN in the Aftermath: The Consequences of the East Asian Economic Crisis », in Global Governance, Vol. 8, No. 2 (Avril–Juin 2002), p.179.
Cet épisode a non seulement ébranlé l’ambition de l’Association de s’affirmer comme le moteur du développement politique et institutionnel de la région, mais il a révélé les limites « l’ASEAN way ». La crise a également mis fin à l’image de « miracle » asiatique dont jouissaient les pays de l’ASEAN. Profondément affaiblie, l’Association tente alors de se réformer en s’efforçant de repenser le paradigme sur lequel elle repose : la non-interférence dans les affaires de ses États membres. Elle aura beau lancer le concept « d’interactions approfondies » (enhanced interaction), ses pays membres resteront fidèles à « l’ASEAN way » qui bloque pourtant le développement d’institutions plus intégrées.
Sur le plan économique en revanche, les pays de l’ASEAN ont depuis retrouvé leur vitalité. Ils ont achevé le 31 décembre 2015 la mise en place de la Communauté économique de l’ASEAN qui doit fusionner les dix économies en un marché unique de 600 millions de personnes d’ici 2020 (voir nos infographies sur la question). Les analystes prévoient qu’en 2030, l’ASEAN deviendra la quatrième puissance économique mondiale. La croissance de son produit intérieur brut devrait atteindre 2,5 trillions de dollars américains en 2017, dépassant les plus grosses économies du monde. Les conséquences sur le long terme de la crise de 1997 sont donc d’ordre politique avant tout.

8. Que fait l’ASEAN pour les droits de l’homme ?

Composée presque uniquement de régimes autoritaires, il est difficile d’imaginer un engagement fort de la part de l’ASEAN pour les droits de l’Homme. Il existe pourtant des documents qui abordent ce sujet majeur. La Charte de l’ASEAN entrée en vigueur en 2008 et qui dote l’organisation d’une personnalité juridique, reconnaît le respect et la protection des droits de l’homme comme principe directeur. La Charte permettra la création en 2009 de la Commission intergouvernementale de l’ASEAN sur les droits de l’homme (AICHR). Mais celle-ci reste à ce jour plus un alibi pour les gouvernements des États membres de l’ASEAN qu’une réelle institution indépendante.
La déclaration sur les droits de l’homme faite à Phnom Penh, au Cambodge, en juillet 2012, éclaire le positionnement de l’ASEAN sur cette question. Le document élaboré par la commission y déclare que l’exercice de ces droits ne peut entrer en contradiction avec « l’intérêt général » et le « bien-être du peuple ». Avec une telle déclaration, les pays de l’ASEAN livrent une interprétation bien particulière des droits de l’homme et entendent clairement faire primer l’intérêt national sur celui des individus au nom du traditionnel principe de non-interférence. Ce document a vivement fait réagir les ONG internationales : Human Rights Watch (HRW) a accusé la commission des droits de l’Homme de l’ASEAN de trahison envers les droits humains alors que la Commission internationale des juristes (International Commission of Jurists – ICJ) a tout simplement condamné le texte, considéré comme non compatible avec la législation internationale en la matière.

9. L’ASEAN compte-elle intégrer de nouveaux membres ?

Deux pays sont officiellement candidats à l’adhésion : le jeune Timor oriental qui a arraché son indépendance à l’Indonésie en 2002 et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. La candidature du Timor, présentée en 2011, apparaît comme naturelle. Elle a été dans un premier temps bien accueillie par l’ASEAN. Le petit pays a d’ailleurs fait de son intégration à l’association régionale une cause nationale et une priorité de sa politique étrangère.
Mais suite à plusieurs évaluations conduites par l’ASEAN aux résultats décevants, des États comme Singapour considèrent qu’il est trop tôt : le Timor oriental ne possède pas encore la structure administrative qui lui permettrait de respecter ses engagements régionaux. D’après les rapports, le jeune État n’a pas été capable de respecter la plupart des protocoles d’entente qu’il a signée avec l’ASEAN. Le pays souffre encore des séquelles de la guerre d’indépendance avec l’Indonésie. Si son retard en matière de développement pourrait être rapidement rattrapé grâce aux revenus issus de la rente pétrolière et aux institutions démocratiques qui semblent se consolider, pas moins de 41,8% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. Mais si son adhésion n’est pas encore d’actualité, le Timor oriental bénéficie tout de même d’un statut d’observateur et sa candidature est officiellement en cours d’examen.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée quant à elle jouit d’un statut d’observateur depuis bien plus longtemps : il lui a été accordé en 1976 ! La raison officielle pour laquelle cet État reste exclu de l’Association est difficile à trouver. Mais il semble que les pays de l’ASEAN ne se sont pas mis d’accord sur son rattachement géographique et ethnique à la région Asie du Sud-Est.

10. Quelles sont les perspectives de l’ASEAN 50 ans après ?

Souvent négligé par les chancelleries occidentales depuis la fin de la Guerre froide, le caractère hautement stratégique de l’Asie du Sud-Est semble de nouveau s’imposer aux observateurs et aux praticiens des relations internationales. La région abrite le détroit de Malacca par lequel transite presque la moitié du tonnage de marchandises échangées par voie maritime au niveau mondial ; elle est le théâtre du conflit en mer de Chine méridionale, ligne de confrontation entre les intérêts américains et chinois en Asie-Pacifique ; et elle est en passe de devenir le nouveau nœud du terrorisme international comme l’illustre la bataille de Marawi aux Philippines (voir notre dossier), qui entre dans son troisième mois de conflit.
L’ASEAN peine pourtant à se saisir de ces défis. Plutôt que de s’attaquer aux sources des problèmes, les régimes en place instrumentalisent les conflits et la menace du terrorisme pour consolider leur pouvoir à grand renfort de populisme et de nationalisme. L’émergence des classes moyennes permise par le développement économique pourrait venir contester ces régimes, mais les pouvoirs autoritaires semblent les avoir acquises à leur cause. L’ASEAN apparaît du haut de ses cinquante ans comme impuissante et divisée face à l’agressivité de Pékin et à l’émergence du terrorisme en Asie du Sud-Est. Fait révélateur : les patrouilles tripartites impliquant la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines dans la mer de Sulu, qui visent à surveiller les mouvements des terroristes djihadistes aspirant à grossir les rangs des combattants islamistes à Marawi, se sont constituées en marge du cadre institutionnel de l’ASEAN.
Pourtant, si le constat de son impuissance fait consensus, la nécessité de l’ASEAN n’est pas contestée : bien au contraire. Comme le souligne Sophie Boisseau du Rocher, l’organisation est indispensable en ce qu’elle contribue à « placer la région sur une carte du monde » et à lui donner une cohérence.
Par Luc Chasseriaud

Chronologie

1962-1966 : Konfrontasi, guerre entre l’Indonésie et la Malaisie.
8 août 1967 : déclaration de Bangkok et création de l’ASEAN par la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie, Singapour et les Philippines.
24 février 1976 : signature à Bali du traité d’Amitié et de Coopération en Asie du Sud-Est (TAC) par les cinq pays de l’ASEAN.
25 décembre 1978 : invasion du Cambodge par le Vietnam.
7 janvier 1984 : adhésion officielle du Sultanat de Brunei.
28 juillet 1995 : adhésion officielle du Vietnam.
2 juillet 1997 : début de la crise asiatique à Bangkok.
23 juillet 1997 : adhésion officielle du Laos et de la Birmanie.
30 avril 1999 : adhésion officielle du Cambodge.
20 novembre 2007 : adoption de la Charte de l’ASEAN qui la dote d’une personnalité juridique.
9 novembre 2012 : déclaration des droits de l’homme de l’ASEAN lors du sommet annuel à Phnom Penh, au Cambodge.
31 décembre 2015 : lancement de la communauté économique de l’ASEAN.
23 mai 2017 : prise d’assaut par des combattants islamistes de la ville de Marawi, située dans l’île de Mindanao, au sud des Philippines.

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A propos de l'auteur
Étudiant en Relations internationales à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) et à l’université de Sciences politiques de Taïwan (NCCU), Luc Chasseriaud se spécialise sur les questions politiques et stratégiques en Asie du Sud-Est. Il a effectué plusieurs stages pour le ministère français des Affaires étrangères en Malaisie, en Thaïlande, à Hong Kong et au Vietnam. Il parle chinois et vietnamien.

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