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Analyse

Chine : le "Shadow Banking", la bombe à retardement

Si le "shadow banking" ou "finance de l'ombre" s'effondrait, des pans entiers de l'économie chinoise seraient menacés. (Crédits : AFP PHOTO/FRANKO LEE)
Si le "shadow banking" ou "finance de l'ombre" s'effondrait, des pans entiers de l'économie chinoise seraient menacés. (Crédits : AFP PHOTO/FRANKO LEE)
Face au durcissement des conditions d’octroi de crédit, de nombreuses entreprises chinoises se tournent vers des créanciers en dehors du secteur bancaire. C’est le Shadow Banking, ou la « finance de l’ombre ». Appâtés par des taux d’intérêts élevés, de nombreux bailleurs de fonds, dont les collectivités locales, se positionnent sur ce marché. Ce système échappe à tous les cadres de régulations du secteur financier. S’il se met à tousser, ce sont des pans entiers de l’économie chinoise et les responsables politiques qui trembleront. Les premiers symptômes commencent à apparaitre. Pékin tente de prévenir l’effet domino.
Qui est Xing Libin ? Cet ex-tycoon chinois du charbon est un illustre inconnu en Occident. Pourtant, son nom fait frissonner tous les régulateurs en Chine jusque dans les couloirs de la puissante People’s Bank of China (la banque centrale chinoise). En 2012, au sommet de sa gloire il dépense 11 millions de dollars pour le mariage de sa fille à Hainan. Moins d’un an après, sa compagnie fait faillite. Deux milliards de dollars de dettes contractées via le shadow banking apparaissent au grand jour. Les bailleurs n’ont presque rien récupéré.

Une solution flexible en forte croissance

Malgré cette histoire, le shadow banking est en forte croissance en Chine. Avec 4,1 trillions de dollars en 2016, il est en grande partie responsable de l’explosion du ratio dette/PIB en Chine (277 % fin 2016 selon UBS). Pourquoi une telle popularité ? Selon Andrew Kemp Collier, ancien président de Bank of China aux États-Unis (voir notre encadré en bas d’article « Pour aller plus loin »), il « offre une source alternative de financement lorsque les banques ne veulent pas ou ne peuvent pas prêter. C’est particulièrement vrai pour les petites entreprises et les secteurs que le gouvernement cherche à réguler comme celui de l’immobilier. »
Le shadow banking permet aussi de s’affranchir de certaines contraintes telles que le montant maximum de prêts autorisés, les niveaux d’apports personnel ou le capital détenu. En contrepartie, les taux d’intérêts sont plus élevés qu’auprès d’une banque officielle. Les 67 Trusts qui dominent le marché, ainsi que les nombreux gestionnaires de fortune, agissent comme des banques sans pour autant être soumis aux obligations de celles-ci. Aucune contrainte de contrôle du risque financier de l’emprunteur, pas de fonds de garantie, pas de soutien de la banque centrale en cas de défaut de paiement. Dans une moindre mesure, les particuliers n’ayant pas les moyens de réaliser de gros placements commencent à s’intéresser à ce marché. Les plateformes de crowdfunding et crowdlending émergent en Chine (3-4 % du marché aujourd’hui). Elles sont dans le viseur des gros établissements bancaires. Très liées aux autorités chinoises, les banques veulent proposer des solutions similaires et récupérer les bénéfices liés à ce nouveau marché.

Un scénario qui se rapproche de la crise des subprimes

Depuis quelques années, le phénomène devient encore plus dangereux. La Chine connaît une financiarisation croissante de son économie. Couplée à une restriction de sortie des capitaux, cela crée une demande pour de nouveaux produits financiers. A l’image de ce qu’il s’est passé aux États-Unis avant la crise des subprimes, les créateurs de prêts externalisent le risque. Ils revendent le prêt à des tiers (collectivités locales, particuliers, entreprises…) qui toucheront les intérêts. Séduits par des taux avantageux, en comparaison des placements financiers classiques, les créanciers oublient que ces placements, effectués hors du système bancaire officiel, ne sont absolument pas garantis !
De nombreux préteurs ignorent même à quel projet est associé le prêt. « Je crois que c’est un espèce de pont mais je ne sais pas où », confie un jour un investisseur à Andrew Kemp Collier. C’est pourtant un élément déterminant pour estimer la viabilité d’un placement non garanti. Cette règle s’est rappelée brutalement aux créanciers de Xing Libin lorsqu’ils se sont rendu compte avec effarement qu’ils ne récupéreraient rien.

Des acteurs trop interdépendants

Réguler cette activité relève du numéro d’équilibriste tant les acteurs sont devenus interdépendants. Si les risques sont importants pour la stabilité de l’économie chinoise, le shadow banking contribue largement à soutenir la croissance par le maintien des niveaux d’investissements. C’est un enjeu politique, car le soutien de l’activité économique aide à contrôler la hausse du chômage en cours dans le pays. Surtout, il permet de remplir les objectifs de croissance assignés par les échelons supérieurs.
La situation est également ténue du point de vue financier. Les 67 Trusts sont partiellement possédés par des gouvernements provinciaux qui y ont vu un moyen de s’enrichir. Dans un contexte de « lutte anti-corruption », certains responsables y ont également vu une source de revenus alternative. En complément, le soutien de la croissance permet d’assurer d’importantes rentrées fiscales. Pour Chen Bo, directeur de l’Université des Sciences et Technologies de Huazhong, le marché de l’immobilier représente en moyenne 29 % des recettes fiscales des collectivités locales. L’effondrement de ce secteur n’est pas une option.

Un probable ralentissement forcé

Soucieux de ne pas s’exposer à des mesures de rétorsion qui pourraient être mises en place, ou tout simplement conscient que les risques sont devenus trop important, certains bailleurs de fonds commencent à ne plus réinjecter leurs gains. Cela ne suffit pas encore à ralentir la machine. L’absence, jusqu’à présent, de grosses pertes collectives empêche les investisseurs de tirer les leçons qui s’imposent.
Pour Andrew Kemp Collier, « le gouvernement procédera probablement à une réforme forcée ». En Chine, 70 % des dépenses sociales sont assurées par les collectivités locales. Si des collectivités venaient à ne pas récupérer leur mise de départ, ce sont à la fois des pans entiers de l’économie, dont les secteurs sous assistance respiratoire publique (y compris les nombreuses entreprises d’État non rentables), mais également le système de protection sociale qui s’écrouleraient simultanément. L’effet ciseaux entre une explosion du chômage et une implosion du système social serait terrible. Le coût social, donc politique, serait immense et Pékin ne le tolérerait pas.
Par Vivien Fortat

Pour aller plus loin

– Douglas Elliott, Arthur Kroeber, Yu Qiao, Shadow Banking : A primer, Brookings Institution, 2015.

– Andrew Kemp Collier, Shadow Banking and the Rise of Capitalism in China, Palgrave Macmillan, 2017.

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A propos de l'auteur
Vivien Fortat est spécialisé sur les questions économiques chinoises et les "Nouvelles routes de la soie". Il a résidé pendant plusieurs années à Tokyo et Taipei. Docteur en économie, il travaille comme consultant en risque entreprise, notamment au profit de sociétés françaises implantées en Chine, depuis 2013.