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Expert - Politique chinoise

Chine : que faire des "secrétaires particuliers", au cœur des luttes de pouvoir ?

Xi Jinping va-t-il en finir avec le système trouble des "secrétaires particuliers" ? (Source : Brookings Institution)
Xi Jinping va-t-il en finir avec le système trouble des "secrétaires particuliers" ? (Source : Brookings Institution)
C’était en 2014 durant la chute de Zhou Yongkang, l’ancien tsar de la Sécurité publique en Chine, accusé d’avoir soutenu Bo Xilai, étoile déchu du Parti. On sonnait alors la fin de la « bande des secrétaires » (秘书帮 – mishubang) – ces individus qui deviennent au fil du temps des « aides » pour les dirigeants puis des confidents. Cette clique avait été directement liée par la suite à d’autres responsables comme Ling Jihua (et sa « bande du Shanxi »). Si Xi Jinping exprime souvent son dédain pour les « tuantuan huohuo » (团团伙伙), ces « factieux » qui existent à l’intérieur du Parti, c’est surtout de « l’ancien régime » de Jiang Zemin dont il parle, dont il tente de séparer et, dans une certaine mesure, dont il essaie de se protéger. A présent, la majorité des « cliques » ont certes été éliminées par le président chinois et son désormais ex-patron de la « lutte anti-corruption » Wang Qishan depuis 2012. Mais une bonne quantité de « mishu », fidèles à leur habitude, se rapprochent du pouvoir grâce à leur bienfaiteur. La question passe inaperçue depuis un moment déjà au profit des différents « Congrès » du Parti ou des deux Assemblées. Passage en revue de quelques personnalités-clés en dessous des radars.

Des « mishu » partout ?

Sur l’ensemble, il nous est possible d’identifier plus d’une vingtaine de mishu, ces individus près du pouvoir qui semblent avoir les meilleures chances d’accéder à la sphère privée des plus hauts dirigeants chinois. Cela dit, le fait d’être mishu est autant bénéfique que nuisible en fonction du climat politique. Pour la plupart, les « secrétaires » de Zhou Yongkang, Bo Xilai ou de l’ancien vice-président Zeng Qinghong, pour ne nommer qu’eux, ont été purgés avec leur patron, suivant la tradition de punition collective.
Mais y a-t-il nécessairement des mishu partout ? En réalité, le phénomène peut se diviser en trois dimensions : politique, militaire et personnel. Il se répartit ensuite de façon aléatoire sur l’ensemble du parcours d’un individu donné. Dans une bonne proportion des cas, les mishu sont directement liés aux instances des comités permanents du Parti et des gouvernements des villes et provinces. Directement en charge des réunions et parfois même du bureau des Affaires générales, les « secrétaires » sont appelés à travailler étroitement avec les responsables de premier plan dans la structure du Parti-État et souvent « amenés » avec eux lors de promotions importantes. On peut penser ici à Ding Xuexiang, promu aux côtés de Xi Jinping dans le Politburo.
Néanmoins le nombre de mishu a baissé depuis 2015 suite à la « lutte anti-corruption » – cette relation menant parfois à de la collusion. Par ailleurs, ces « secrétaires » ne représentent pas toujours une forme de succession, même si le président Xi lui-même fut secrétaire de Geng Biao (耿飚), vice-Premier ministre au retour de Deng Xiaping au pouvoir à Pékin.

Où sont les mishu ?

Considérons une liste d’une bonne vingtaine de mishu (à visionner ici). D’une part, la majorité de ces secrétaires particuliers appartiennent encore à l’ancienne garde. D’autre part, leur carrière n’ira pas beaucoup plus loin pour une majorité d’entre eux. Par exemple, You Quan et Sun Zhigang (64 ans), en sont tous deux à leur dernière rotation et ne pourront monter plus haut. Yu Qiujun, mishu de Zhang Gaoli est à présent trop vieux pour aspirer au rang provincial. Zhao Xuewei, sans doute le plus mystérieux d’entre tous, a simplement disparu en 2016, pour des raisons présumées de corruption. Lin Xiong et Guo Yingguang occupent des postes menant à la retraite. Deng Renjie, un homme d’affaires sur qui on connaît peu de chose, ne semble pas transiter vers la sphère politique. Chen Shiju, ex-bras droit de Hu Jintao, se retrouve encercler au bureau des Affaires générales. Idéalement, Ge Changwei et Bai Songtao devraient déjà avoir atteint le rang vice-provincial. Ling Yueming et Tian Xuebin, s’ils ne sont pas promus ce mois-ci, devront se contenter d’une pré-retraite. Xiang Zhaolun, mishu de Wen Jiabao, est coincé au ministère de la Culture (très peu propice aux promotions transversales). Quant à Yin Hong, secrétaire-adjoint de Shanghai, il est encore en sursis après le départ de Han Zheng et la « reprise » de la municipalité par Xi.
Dans cette liste, restent sept mishu que nous pouvons qualifier de « prometteurs ». On se souvient de Zhou Liang, le protégé à présent connu de Wang Qishan, et de Zhong Shaojun, le « mishu militaire » de Xi Jinping et son homme de confiance à Zhongnanghai. Zhong, né en 1968, possède encore beaucoup de potentiel d’ascension politique, tout comme Zhou Liang d’ailleurs (1971), au cours des cinq prochaines années.
Du reste, Liu Kewei (vice-gouverneur du Ningxia), Gan Lin (directeur de la propagande au Sichuan) et Wang Yibiao sont trois cadres peu remarquables et qui n’ont que peu de chance d’atteindre le sommet, d’autant qu’ils sont sous le patronage de Liu Yunshan (proche de Jiang Zemin) et de Hu Chunhua (allié de Hu Jintao), tout juste « placardisé » par Xi Jinping. Wang Yongqing et Jiang Jinquan sont dans une situation différente. Wang Yongqing bénéficie encore de la protection offerte par Meng Jianzhu et l’ancienne clique de la « zhengfa » (la commission des Affaires politiques et légales du Parti) de Zhou Yongkang. Cela dit, Meng ne pourra pas demeurer en poste encore très longtemps et les yeux de la commission disciplinaire se sont déjà tournés vers la zhengfa provinciale, « nettoyée » avant le départ de Wang Qishan. Jiang Jinquan est lui le second de Wang Huning, une des éminences grises ayant résistée à trois présidence jusqu’à devenir en octobre dernier du nouveau comité permanent du Politburo. Jiang devrait normalement être promu ce mois de mars afin de préparer l’après-Wang Huning et assurer la continuité de sa pensée stratégique auprès du pouvoir.

Le dirigeant et son/ses mishu : prendre le pouls d’une faction

La question épineuse des secrétaires particuliers le devient surtout lorsque ils commencent à se faire prendre (pour plusieurs raisons) par la commission disciplinaire. Lorsque les mishu se font « shuangkai » (被双开) – suspendre et expulser du Parti -, c’est souvent le signe que le « sommet de la montagne » (shantou) vacille et que le « patron » est probablement dans la ligne de mire. La chute des mishu sonne d’ordinaire l’un des coups d’envoi avant la vraie razzia disciplinaire.
Ces liens politiques étroits entre les mishu et leur patron soulèvent aussi la question de leur survie après le départ de leur mentor. Trois choix s’offrent à eux – considérant que les vrais liens de « guanxi » (réseau) n’existent plus depuis la 4ème génération de dirigeants – : 1) changer de camp, 2) transiter vers le milieu des affaires et 3) se tailler une porte de sortie (par exemple : aller vers la structure de la Conférence consultative ou d’une assemblée populaire en province).
Plus récemment, Yin Yong (殷勇, 1969), le mishu et bras droit de Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque Centrale et membre de la « faction des réformateurs », fut « relocalisé » à Pékin, sous la férule de Cai Qi. Les postes en province sont d’une importance capitale pour les promotions verticales. Aussi cette promotion transversale devrait-elle être une bonne chose. Tout comme l’éloignement de Guo Shuqing au Shandong, l’éloignement de Yin Yong de la banque centrale survient à un moment-clé dans la transition du secteur bancaire en Chine : Zhou Xiaochuan, un réformateur éprouvé, devra céder sa place ce mois-ci. Ses alliés proches ont été écartés un par un pour laisser la place à trois possibilités : 1) Liu He, le « Monsieur Économie » de Xi Jinping, 2) Jiang Chaoliang, patron du Hubei et 3) Guo Shuqing, le « nouveau policier du secteur bancaire ». Cela dit, les yeux se tournent plus vers Liu He. Nous saurons prochainement quelle place prendront les « mishu stars » comme Zhou Liang au sein de la prochaine administration. Avec son mandat à vie et sa réforme constitutionnelle entérinée, Xi Jinping réécrit les règles du jeu. Il semble vouloir réduire la portée du système informel de mentorat incarné par les secrétaires particuliers à l’intérieur du Parti-État. A suivre.

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A propos de l'auteur
Alex Payette (Phd) est co-fondateur et Pdg du Groupe Cercius, une société de conseil en intelligence stratégique et géopolitique. Ancien stagiaire post-doctoral pour le Conseil Canadien de recherches en Sciences humaines (CRSH). Il est titulaire d’un doctorat en politique comparée de l’université d’Ottawa (2015). Ses recherches se concentrent sur les stratégies de résilience du Parti-État chinois. Plus particulièrement, ses plus récents travaux portent sur l’évolution des processus institutionnels ainsi que sur la sélection et la formation des élites en Chine contemporaine. Ces derniers sont notamment parus dans le Journal Canadien de Science Politique (2013), l’International Journal of Chinese Studies (2015/2016), le Journal of Contemporary Eastern Asia (2016), East Asia : An International Quarterly (2017), Issues and Studies (2011) ainsi que Monde Chinois/Nouvelle Asie (2013/2015). Il a également publié une note de recherche faisant le point sur le « who’s who » des candidats potentiels pour le Politburo en 2017 pour l’IRIS – rubrique Asia Focus #3.