Economie
​​Expert - Le Poids de l'Asie

Le tropisme asiatique des États-Unis

Le président américain Donald Trump serre la main de son homologue chinois Xi Jinping lors de la signature de gros contrats au Grand Hall du Peuple à Pékin le 9 novembre 2017. (Crédits : AFP PHOTO /Fred Dufour)
Le président américain Donald Trump serre la main de son homologue chinois Xi Jinping lors de la signature de gros contrats au Grand Hall du Peuple à Pékin le 9 novembre 2017. (Crédits : AFP PHOTO / Fred Dufour)
Les chefs d’État des pays de l’APEC se réunissent à Da Nang ce jeudi 9 novembre. La Coopération économique de l’Asie-Pacifique rassemble les économies et non les pays riverains du Pacifique. Une subtilité qui permet à Taïwan d’y participer avec la Chine, Brunei, le Canada, l’Indonésie, le Japon, la Corée, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et les États-Unis. En organisant le premier sommet de l’APEC à Seattle en 1993, le président Bill Clinton prévenait les Européens que si le « Grand Marché » créé l’année précédente se transformait en « forteresse », l’Amérique basculerait vers l’Asie. Vingt ans plus tard, Barack Obama adoptait la stratégie du « pivot vers l’Asie », abandonnée ensuite par Donald Trump : le nouveau locataire de la Maison Blanche a refusé de ratifier le Partenariat Transpacifique, le TPP, le jour de sa prise de fonction, le 20 janvier 2017. Ce dimanche 3 novembre, il déclarait s’envoler pour « l’Indo-Pacifique ». Deux siècles de commerce extérieur américain montrent que le tropisme asiatique des États-Unis date de leur indépendance et que, face à l’émergence de rivaux, les Américains ont eu les mêmes réactions.

Les États-Unis en Asie

À la fin du XVIIIème siècle, Américains et Asiatiques partagent une même opposition à la Compagnie des Indes Orientales. Protestant contre une taxe sur les importations de thé, des Américains occupent un navire de la Compagnie anglaise et jettent à la mer des ballots de thé : la « Boston Tea Party » est le premier acte de la guerre d’indépendance. Libérés de la tutelle britannique, les Américains sont confrontés à l’interdiction imposée par la marine anglaise de commercer avec les Caraïbes. Des marchands s’embarquent alors vers l’Asie pour vendre des peaux de loutre et du ginseng à la Chine. Plus tard, ils achètent de l’opium dans l’Empire Ottoman et en Inde, et le revendent en Chine.
*Lire A. T. Mahan, The Influence of Sea Power on History, publié en 1890.
S’emparant de la Californie en 1848, les Américains accèdent à l’Océan Pacifique qu’ils envisagent de transformer en un « lac américain ». En 1868, répondant aux demandes des baleiniers qui veulent faire escale dans l’archipel nippon, Washington dépêche trois « Bateaux Noirs » et impose l’ouverture du Japon. Ayant acheté l’Alaska à la Russie, les États-Unis annexent ensuite Hawaï et leur victoire sur l’Espagne leurs donnent Guam et l’archipel des Philippines. Autant de « marches vers la Chine, une carcasse destinée à être dévorée par les aigles occidentaux »*.
Deux siècles de commerce extérieur américain avec le monde et l'Asie (1820-2016).
Deux siècles de commerce extérieur américain avec le monde et l'Asie (1820-2016).
La croissance américaine s’accélère après la guerre de Sécession qui unifie le marché et les États-Unis évincent le Royaume-Uni pour devenir en 1890 la première puissance manufacturière mondiale. Entre 1870 et 1920, ils doublent leur part dans le commerce international, passant de 8 % à 16 %. Ils deviennent alors aussi la première puissance commerciale. La part de l’Asie dans leurs échanges grimpe de 5 % à 14 % pour atteindre 25 % en 1941. Le commerce avec l’Asie retrouvera ce pourcentage dans les années 1980 et des commentateurs évoqueront à ce propos le glissement de l’économie mondiale de l’Atlantique vers le Pacifique. Depuis, ce pourcentage a augmenté à 36 % en 2016.

Les partenaires asiatiques des États-Unis

Jusqu’en 1880, la Chine est le premier partenaire asiatique des États-Unis. Elle cède ensuite la place au Japon qui vend des biens traditionnels – soieries, céramiques, laques, papier – aux pays industrialisés et des produits manufacturés – tissus et filés de coton, conserves alimentaires, ciment ou allumettes – à leurs colonies. La Première Guerre mondiale donne un coup de fouet aux exportations nippones et dans les années 1930, le Japon devient le quatrième exportateur mondial (après les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne). L’Amérique est alors son deuxième partenaire commercial après la Chine. Mais la crise de 1929 et l’adoption des tarifs Smooth Hawley affectent les échanges nippo-américain avant la détérioration des relations bilatérales qui s’achève sur la guerre.
En 1944, la Chine, quant à elle, réalise la moitié de son commerce avec les États-Unis. A Washington, le département du Commerce prévoit qu’une fois la paix revenue, le commerce extérieur chinois atteindra 1 milliard de dollars dont la moitié avec l’Amérique faisant de la Chine son premier partenaire ! Mais la victoire de Mao sur les troupes nationalistes en 1949 vient contredire toutes ces prédictions. L’intervention de l’armée chinoise dans la guerre de Corée en 1950, combinée au vote d’un embargo sur la Chine et aux choix économiques du gouvernement maoïste, provoquent l’effondrement du commerce extérieur chinois et amènent les Américains à aider le Japon à se relever.
Après la reconstruction de l’après-guerre et trois décennies de croissance, le Japon devient le premier partenaire des États-Unis. Les commentateurs inventent le terme de Nichebei (Nihon pour Japon et Bei pour États-Unis) pour décrire l’imbrication des deux économies. Les entreprises nipponnes investissent en Amérique et le Japon investit ses excédents commerciaux en bons du Trésor. La montée en puissance de l’économie japonaise suscite un « Japan Bashing » par les hommes politiques qui accusent le pays du soleil levant de désindustrialiser les États-Unis. En septembre 1985, concluant à la surévaluation du dollar, le G5 demande au Japon et à l’Allemagne de relancer leur demande. La réévaluation du Yen (endaka) amène les entreprises japonaises à délocaliser vers les pays asiatiques qu’elles transforment en tremplins vers le marché américain. Ce qui diminue la part du commerce nippo-américain augmente celle du commerce avec le reste de l’Asie.
Commerce des Etats-Unis avec la Chine, le Japon et le reste de l'Asie (1880-2016)
Commerce des Etats-Unis avec la Chine, le Japon et le reste de l'Asie (1880-2016)
La reprise des échanges entre les États-Unis et la Chine précède la visite du président Nixon à Pékin en 1971 et la normalisation des relations diplomatiques. Ces échanges augmentent lentement : en 1978, l’Amérique échange encore huit fois plus avec Taïwan qu’avec la Chine populaire vingt fois plus peuplée. Il fait attendre l’attribution du statut de la « nation la plus favorisée » en 1980 pour assister à une poussée vigoureuse des exportations chinoises, qui s’envolent après l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001. La Chine investit son excédent en bons du Trésor et l’imbrication des économies américaine et chinoise amène à évoquer la « Chinamerica » – véritable réincarnation du Nichibei ! Les Américains dénoncent alors la sous-évaluation du yuan qui expliquerait la désindustrialisation de leur pays. Le creusement du déficit américain avec la Chine, qui a continué depuis l’élection de Donald Trump, s’est accompagné de la baisse des excédents japonais, coréen et taïwanais. En délocalisant en Chine, les entreprises de ces pays ont « transféré » leurs excédents. Le processus continue avec le Vietnam et le Cambodge qui accueillent actuellement les entreprises chinoises et les filiales asiatiques, ce qui contribue à la hausse de la part des échanges avec ces pays dans le commerce extérieur américain.
Ce survol historique relativise les discours sur l’impact de l’Asie sur la désindustrialisation des Etats-Unis. Cette dernière résulte davantage la d’évolutions macro-économiques (écarts de productivité entre secteurs) et micro-économiques (externalisation des activités de services). Par ailleurs, les chaînes globales de valeur modifient la géographie du commerce extérieur que dessinent les statistiques douanières. Mesuré à l’aune de la valeur ajoutée incluse dans les échanges, le déficit américain avec la Chine est moins élevé qu’il n’y paraît, tandis que le Japon dégage un excédent confortable.

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A propos de l'auteur
Jean-Raphaël Chaponnière est membre du groupe Asie21 (Futuribles) et chercheur associé à Asia Centre. Il a été économiste à l’Agence Française de Développement, conseiller économique auprès de l’ambassade de France en Corée et en Turquie, et ingénieur de recherche au CNRS pendant 25 ans. Il a publié avec Marc Lautier : "Economie de l'Asie du Sud-Est, au carrefour de la mondialisation" (Bréal, 2018) et "Les économies émergentes d’Asie, entre Etat et marché" (Armand Colin, 270 pages, 2014).